Le député européen socialiste s’apprête à quitter la scène politique, au printemps prochain. À l’aube de ses 70 ans, Robert Goebbels pense à raccrocher la veste. «Il faut savoir terminer une carrière politique à temps. Je ne voudrais pas être 'sorti' par les électeurs, comme cela est arrivé à certains de mes amis», glisse-t-il mi-figue, mi-raisin.
Mais avant de quitter définitivement le terrain, le vétéran tient plus que tout à voir pérenniser «l’un des mécanismes européens le mieux reconnu et le mieux accepté par les citoyens, le principe de libre-circulation au sein de l’espace Schengen», dont il fut l’un des artisans.
Les réponses tardent
Robert Goebbels se dit extrêmement préoccupé par la question de l’immigration vers l’UE et les drames humains, tels celui de Lampedusa, dont la cruelle violence démontre les lacunes de la politique européenne.
Ou plutôt, faudrait-il dire, des politiques européennes. Car c’est bien là que le bât blesse. «C’est un sujet d’une très grande actualité et qui est très complexe. Nous avons besoin d’agir de concert, or l’Europe tarde à trouver une réponse pour se doter d’une politique migratoire commune. Chaque pays continue d’agir dans son coin, fait ce qu’il peut et ce qu’il veut.»
Le problème est complexe car ses ramifications sont nombreuses. Il y a, d’une part, celle relative au droit d’asile. «L’Europe accorde 100.000 statuts de réfugié politique chaque année, pour 400.000 demandes. Cela se fait en conformité avec la Convention de Genève – élargie – et je pense que les critères sont correctement appliqués. L’Europe reste ouverte, même si nous ne sommes pas la partie du monde qui accueille le plus de réfugiés, il faut bien le garder à l’esprit.»
Pour ce qui concerne le drame syrien, et l’exil des personnes en fuite devant la guerre civile, M. Goebbels salue la décision du Sommet européen, une aide (400 millions d’euros dont 85 millions débloqués immédiatement) pour les pays dans lesquels sont installés les camps de réfugiés, notamment la Jordanie et le Liban, ce dernier étant lui-même en proie à une grande instabilité économique et politique.
Plus de solidarité
L’immigration clandestine relève d’un autre débat, qui doit amener les pays à réfléchir à davantage de solidarité. «Ces 12 dernières années, 20.000 personnes seraient mortes noyées en tentant de rejoindre les côtes du Sud de l’Europe. C’est effroyable. Nous ne pouvons pas demander à l’Italie, la Grèce ou l’Espagne d’en supporter tout le poids. Les 28 États membres doivent s’organiser pour transférer ces personnes en divers endroits et faire face ensemble.»
C’est donc tout le système qui est à repenser. « Les États-Unis accueillent 800.000 immigrants légaux chaque année, qui ont participé et gagné à une loterie (la fameuse Green card, ndlr). C’est un système pragmatique, qui laisse une chance à chacun, et il vaut bien notre système administratif européen!»
Pour M. Goebbels, un objectif annuel de 500.000 immigrés légaux dans l’UE est parfaitement raisonnable. «Cela permettrait de donner un véritable espoir aux migrants économiques tentés par le voyage, tout en mettant un coup de frein aux réseaux clandestins mafieux.»
Compenser le «brain drain»
D’autant que l’Europe vieillissante a besoin de cette jeunesse migrante, «dont les études socio-démographiques montrent qu’elle est bien formée, la plupart des migrants ayant un niveau bac», souligne-t-il. Une façon, également, de compenser l’émigration auquel le Vieux Continent doit faire face; un «brain drain» imputable, en partie, aux politiques d’austérité menées en Europe et qui ont conduit 200.000 universitaires espagnols et 100.000 Irlandais à quitter leur terre natale pour franchir l’Atlantique ou le Pacifique, au cours des deux dernières années.
Ces mouvements migratoires, naturels et inscrits dans l’histoire humaine, ne doivent pas effrayer, souligne l’eurodéputé qui donne en exemple le petit Luxembourg – avec son record de non-nationaux – plutôt bien loti dans le concert des nations.
La libre circulation, principe fondamental
Pour une immigration raisonnée en Europe, il convient toutefois de veiller, selon lui, à «ramener les chiffres bruts au niveau des populations, État par État» et à ne pas se tromper de combat. «On accuse trop souvent, à tort, l’espace Schengen de faciliter le passage et les mouvements d’immigrés clandestins. C’est un faux débat. La libre circulation est un principe essentiel, cher aux Européens, qui doit être étendu à tous les pays prêts à jouer le jeu. La Norvège et la Suisse en font déjà partie. La Grande-Bretagne et l’Irlande ont vocation à y entrer, la Roumanie et la Bulgarie devraient déjà en être, s’il n’y avait l’opposition de l’Allemagne, de la France et de l’Italie…»
C’est donc avec satisfaction que Robert Goebbels a accueilli la décision du Sommet européen de doter Frontex (l’organe de surveillance des frontières extérieures) de moyens supplémentaires, avec notamment le renforcement des mécanismes d’Eurosur pour la surveillance du bassin méditerranéen. «On va permettre à tous les pays de l’UE d’avoir accès aux données sur le trafic dans la zone, afin qu’ils puissent réagir au plus vite et coordonner au mieux leurs actions.»
La mise en place d’une réelle politique migratoire commune repose en effet sur ces différents volets: une action ferme à mener contre l’immigration illégale, une ouverture pragmatique à l’immigration légale et un volet humanitaire fort, pour que le chemin de l’Europe «ne soit plus un enfer» pour les populations exilées par la guerre, comme le souligne le futur ex-eurodéputé socialiste.