Carole Muller: «Je crois que nous sommes plus proches de nos employés, il y a le poids de la parole donnée.» (Photo: Maison Moderne)

Carole Muller: «Je crois que nous sommes plus proches de nos employés, il y a le poids de la parole donnée.» (Photo: Maison Moderne)

Sa carrière n’était pas toute tracée. Après quelques années d’expérience dans divers secteurs d’activité, Carole Muller a choisi de revenir dans l’entreprise familiale pour en prendre la tête en 2014.

Madame Muller, vous avez grandi au sein de l’entreprise familiale. Est-ce que votre destin était tout tracé?

«Pas du tout! Nous parlions de politique, d’économie, à table, lors des repas familiaux, mais pour moi, en grandissant, l’entreprise familiale représentait juste le travail de mon père, rien de plus. Il n’y avait pas du tout de pression sur nous pour prendre le relais.

Vous aviez d’autres centres d’intérêt?

«J’ai fait des études d’économie et de gestion à Aix-en-Provence, puis une école de commerce. C’est lors d’un stage au ministère des Affaires étrangères que je me suis intéressée à une carrière diplomatique. Mais j’avais un profil très ‘éco’, alors on m’a conseillé d’aller au Collège de l’Europe, ce que j’ai fait, à Varsovie, pour le volet diplomatie. Mais finalement, la politique était trop abstraite pour moi, je voulais être sur le terrain.

J’ai commencé comme contrôleuse de gestion dans l’entreprise familiale pendant six mois, puis j’ai rejoint le département commercial pendant deux ans. Puis je suis allée à l’École Lenôtre pour apprendre le métier de boulanger et à travailler avec mes mains. Finalement, j’ai rejoint PwC pour quelques années, je donnais des formations et j’étais en relation avec plusieurs ministères.

Dans quelles circonstances êtes-vous revenue chez Fischer?

«Mes cousins sont venus me chercher! Mais j’avais besoin d’un plan de carrière. À cette époque, la société se séparait entre Panelux, pour la production et l’export, et Fischer, pour le réseau de distribution. Je suis devenue directrice commerciale de Fischer, mon cousin Patrick Muller était le CEO. Il était déjà convenu que je prendrais la tête de Fischer, mais je n’avais pas de date précise, j’avais le temps.

Nous sommes plus proches de nos employés, il y a le poids de la parole donnée.

Carole Muller, administratrice déléguée de Fischer

Qu’est-ce que ça change d’être dans une entreprise familiale?

«Nous sommes quatre de la famille à faire partie de l’entreprise. Ce qui domine, c’est la confiance et le respect.

Je crois que nous sommes plus proches de nos employés, il y a le poids de la parole donnée. Nous ne sommes pas dépendants des aléas de la bourse, nous serons là à moyen et long terme. Nous sommes là depuis plus de 100 ans, j’espère que nous serons encore là dans 100 ans!

Je crois que cela m’aide d’être une femme dirigeante, car mes employés sont quasi tous des femmes. Elles peuvent venir me voir et se confient sur des problématiques très personnelles. Je les écoute, comme dans une famille. J’ai peut-être une autre sensibilité.

Vous êtes la première femme à diriger l’entreprise depuis sa création?

«Officiellement, oui. Mais historiquement, il y a eu beaucoup de femmes de l’ombre très actives qui ont été décisives dans le développement de nos entreprises familiales. J’ai une vieille tante qui m’a contactée récemment. Elle m’a dit: ‘Sache que tu n’es pas la première.’ Elle a probablement plein d’histoires à raconter, je vais la recontacter à la rentrée pour en savoir plus!

Du côté des employés également, il y a une certaine continuité?

«Notre responsable des boulangeries Fischer est là depuis 30 ans, elle a commencé comme vendeuse à 18 ans. Elle a arrêté le travail pendant quelques années à la naissance de son deuxième enfant, puis elle est revenue. Quand on fait confiance, il n’y a pas de raison.

Je pense que je connais la moitié de mes employés par leur prénom, c’est une nouvelle génération de management. Peut-être moins autoritaires, nous sommes plus dans une optique de discussion et d’ouverture.

Je dois goûter, comparer, m’inspirer de ce qui est fait ailleurs, c’est un réflexe.

Carole Muller, administratrice déléguée de Fischer

Comment vivez-vous votre position maintenant que vous êtes mère à votre tour?

«Mon père adorait son travail, je crois que c’est ça qui m’a donné envie, même si rejoindre l’entreprise familiale a été une option parmi d’autres, et ça sera la même chose pour mes enfants.

J’ai un fils de cinq ans et une fille de trois ans. Je les emmène quelquefois au bureau le week-end quand j’ai quelque chose à finir. Mais globalement, quand je les ai, je vais les chercher et je ne reprends l’ordinateur le soir qu’après leur coucher, à 20h30. En vacances, je m’arrête aussi dans toutes les boulangeries, je dois goûter, comparer, m’inspirer de ce qui est fait ailleurs, c’est un réflexe.

D’ailleurs, quand on demande à mon fils ce que fait comme métier sa maman, il répond: ‘Maman fait des gâteaux toute la journée et elle mange!’ Je ramène de temps en temps des restes de prototypes de gâteaux à la maison pour ne pas jeter. Il pense alors que c’est ce que je fais comme métier, goûteuse de gâteaux! [rires]

La clé réside dans l’éducation. Que faut-il changer pour qu’on arrive à plus d’égalité entre les femmes et les hommes?

«On apprend en général aux petits garçons à être courageux, et aux petites filles à être sages, il faut les deux!

Il faut apprendre aux garçons que les filles sont capables de tout, les livres sont encore pleins de stéréotypes concernant les métiers. Mon fils pense que les femmes ne peuvent pas être pompier, par exemple. Cela renforce une réalité.

Je participe donc à des visites scolaires pour montrer que je suis là. Certains élèves me demandent: ‘Mais c’est toi la cheffe de tout?’ C’est important de le montrer, aux filles comme aux garçons.

Les femmes CEO sont dans la position de tirer les autres femmes vers le haut.

Carole Muller, administratrice déléguée de Fischer

Vous pensez avoir un rôle à jouer pour faire changer les mentalités?

«Oui, j’ai pris conscience de cela. Les femmes CEO sont dans la position de tirer les autres femmes vers le haut.

Je conseille aux femmes d’oser, oser demander, il y a plus à gagner qu’à perdre.

Et les hommes dans tout ça?

«Je ne veux pas d’un féminisme agressif envers les hommes, c’est contre-productif. Les hommes et les femmes sont différents, mais ils sont complémentaires. Il faut que l’on travaille ensemble.

Hommes et femmes doivent se soutenir, notamment dans la sphère privée. C’est à chacun de prendre sa part des tâches, et aller chercher un enfant malade, cela incombe encore trop aux femmes.

Le poids de la charge mentale est quelque chose qui est très difficilement quantifiable, mais c’est ce sur quoi il faut travailler.»

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