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Photo: Andres Lejona 

Xavier Buck, à quand remontent vos premières velléités d’entrepreneuriat?

«Dès l’âge de 14 ans, j’avais créé un club informatique au Luxembourg, qui s’appelait le High Society Computer Club. A cette époque (milieu des années 80, ndlr.), les premiers ordinateurs étaient des Commodore ou des Amiga. Nous travaillions sur des logiciels enregistrés sur des cassettes ou des disquettes et nous les recopions et les testions. Nous avions, en quelque sorte, inventé le principe du ‘30 days trial download’. Notre club a compté jusqu’à 1.500 membres dans le pays.

Vous êtes donc tombé tout petit dans l’informatique…

«J’ai découvert l’informatique à l’âge de douze ans. Je suis passé de l’époque des premières consoles de jeu de type Atari ou CBS à celle des premiers ordinateurs tels que le Commodore 64 (le premier ordinateur personnel vendu à plusieurs millions d’exemplaires qui, comme son nom l’indique, avait une mémoire vive de… 64 ko, ndlr.). J’ai découvert cette nouvelle technologie avec passion et j’ai tout de suite voulu apprendre à programmer.

Tout naturellement, j’ai voulu suivre des études informatiques. Mais je me suis vite rendu compte que le cursus informatique à l’université n’avait rien à voir avec la passion et le suivi des technologies. Il n’était question que de pure conception, d’algorithmes, de mathématiques… Je suis alors passé de l’informatique aux sciences économiques, mais je n’ai pas été au bout de mon cursus, car je ne m’imaginais pas atterrir dans une banque pour y passer ma carrière.

Et c’est à cette époque-là que vous vous êtes lancé pour la première fois à votre compte…

«J’avais encore une activité dans le club informatique. J’ai alors décidé de créer ma première société, Multisoft, qui avait pour objet le commerce en gros et en détail d’articles de bureau et d’équipement de bureau et informatique. Concrètement, je proposais de l’aide aux entreprises pour la constitution de leurs propres réseaux. Mes premiers clients étaient des contacts que j’avais déjà établis au travers du club informatique. Mais j’étais tout seul pour faire tourner la société et je n’avais aucune expérience sur la façon de gérer une entreprise, s’adresser au marché, croître. Je stagnais plus qu’autre chose. J’ai donc décidé, après un peu plus d’un an, de dissoudre volontairement cette société.

Dans le même temps, j’avais été approché par la société Téléphonie, qui voulait lancer son activité de fournisseur d’accès Netline, et qui avait besoin de quelqu’un qui connaissait un peu le monde de l’Internet qui, à l’époque, commençait seulement à émerger. Nous n’étions pas beaucoup, alors, à naviguer dans ce milieu et à le maîtriser. Je suis devenu directeur commercial de la société et j’ai aidé à la conception du business plan et à la recherche d’actionnaires. Au début aussi, j’étais seul, mais nous nous sommes assez rapidement retrouvés à deux ou trois personnes. Téléphonie possédait, à l’époque, un des plus beaux portefeuilles de clients dans le monde des centraux téléphoniques, avec plus de 4.000 références.

Etre, un temps, salarié, n’était-ce pas, finalement, un passage obligé dans votre démarche entrepreneuriale?

«C’est vrai que pendant toutes ces années, j’ai pu voir comment fonctionne une société, comment on aborde la clientèle, comment peuvent se structurer et se développer des projets. J’ai aidé à construire cette société pendant trois ans, mais je me suis assez vite rendu compte que je pouvais aussi le faire pour mon propre compte. Cela m’a toujours démangé, sans que ce soit, derrière cette volonté, une question de possession propre. J’avais plutôt envie de donner libre cours à mes visions et de pouvoir choisir les directions à prendre. Or, au bout d’un moment, chez Netline, je n’arrivais plus à faire passer mes visions et à décider des directions à prendre.

Nous nous sommes alors lancés, en 2000, avec quatre autres personnes, dans la création de Datacenter Luxembourg. Il y avait Marco Houwen, qui était un des commerciaux de Téléphonie, Roger Greden, qui était un business angel (aujourd’hui à la tête, entre autres, d’EP Group, ndlr.), Manuel Marasi, qui était un de ses employés et Christian Frohnhofer, un journaliste français qui était chef d’une agence locale du Républicain Lorrain.

Quelles étaient les intentions premières de DCL?

 «Notre vocation initiale était celle d’un fournisseur de services Internet, mais orienté dans le but d’attirer des activités de commerce électronique au Luxembourg, en se basant sur la première directive européenne qui stipulait, à l’époque, que la TVA était appliquée dans le pays où se trouvaient les serveurs. C’était, en quelque sorte, du ‘copier coller’ de ce qui se faisait chez Netline, mais amélioré à ma sauce, avec surtout une vision internationale que je n’arrivais pas à faire passer alors dans cette société. Vouloir attirer des entreprises étrangères a tout de suite été notre ambition.

Nous avons eu la chance de vraiment développer les activités après l’éclatement de la bulle Internet. Sinon, nous aurions sans doute levé beaucoup trop d’argent et nous aurions sans doute fait des bêtises avec. Au lieu de cela, nous avons vraiment dû nous serrer la ceinture et progresser doucement, en même temps que nos clients.

Vous avez ensuite multiplié les développements dans différents segments très spécifiques de l’Internet, étroitement liés aux noms de domaine (lire en page 92). Cette stratégie était-elle déjà programmée au moment de la création de DCL?

«A partir du moment où Datacenter existait, je savais que nous serions amenés à créer autre chose dans les mondes du commerce électronique et de l’Internet. Tout au début, nous voulions lancer un portail Internet. En 2000, c’était vraiment le ‘must’ et tout le monde imaginait devenir riche en lançant un portail. Et nous étions comme tout le monde… sauf que nous avons dû rapidement revoir notre stratégie après l’éclatement de la bulle Internet et nous reposer la question de savoir ce que nous voulions faire avec les compétences qui étaient les nôtres.

Nous comparions cette époque avec la ruée vers l’or et nous nous sommes dit que plutôt que de courir vers l’or, comme nous l’avons aussi fait au commencement, nous allions plutôt nous occuper de vendre les pelles, car nous avions rapidement constaté que ce serait plutôt les vendeurs de pelles qui gagneraient. Lorsque nous avons créé EuroDNS fin 2002, notre vision était plus claire. Nous savions qu’il serait difficile de nous imposer face à la concurrence, mais nous savions aussi qu’il n’était pas difficile de faire mieux que les autres. Cela peut paraître arrogant, mais il suffit pour cela de bien analyser ce que les autres font, de faire au moins aussi bien, mais d’ajouter quelques éléments de plus-value supplémentaires.

Quel a été l’élément déclencheur pour la création d’EuroDNS?

«Il y avait, d’une part, le constat que les sociétés avec qui nous étions en relations via Datacenter Luxembourg nous demandaient de plus en plus souvent de procéder à la gestion des enregistrements de noms de domaine dans différents pays européens. La demande était encore assez faible, mais un jour en me rasant, je me suis dit qu’une marque comme Gillette était dans le vrai: elle couvrait un besoin quotidien avec un produit qu’elle vend assez cher.

Rapporté au monde de l’Internet, quel est l’équivalent? De quoi aura-t-on absolument besoin dans le futur? Des noms de domaine. C’est d’ailleurs pour cela qu’a été développé le protocole IPv6 (lire  en page 90). Cette vision était juste, mais un peu prématurée à l’époque. Elle n’est en train d’arriver que maintenant. Mais là où j’ai eu de la chance, c’est dans l’explosion d’autres phénomènes en parallèle: celui de la demande du marché en création de portails ou encore celui des besoins d’une indexation optimale de ces portails par les moteurs de recherche. Il y a eu une réelle anticipation d’un besoin en noms de domaine qui est encore loin d’être couvert.

On imagine alors que les résultats économiques ne sont pas encore à la hauteur de ce qu’ils peuvent être…

«Il est vrai qu’aujourd’hui, nous nous trouvons, avec EuroDNS, dans une situation paradoxale, où nous ne gérons ‘que’ 700.000 noms de domaine et ne réalisons ‘que’ 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais nous bénéficions de la reconnaissance du marché qui nous positionne dans le Top 5 mondial. Nous avons réussi à nous positionner comme un acteur majeur avec notre marque plus rapidement qu’avec notre volume de clientèle. Cela va nous tirer vers le haut et garantir notre croissance pour les prochaines années.

Internet a-t-il constitué un terrain idéal pour bâtir un tel groupe?

 «Il est vrai que la quantité d’opportunités existantes et de secteurs à couvrir est immense. Mais d’un autre côté, être connu et visible sur Internet est plus difficile que dans le monde réel. Des Grand-rues, il y en a une par ville. Sur Internet, des Grand-rues, il n’y en a qu’une seule, qui doit se démarquer au milieu de dizaines de résultats lorsqu’on la cherche. Des milliers de sociétés ont dû arrêter leurs projets, car elles n’avaient jamais réussi à être visibles sur Internet. Trouver la bonne fenêtre de visibilité est plus difficile que de faire une analyse de marché pour savoir où implanter un magasin de sport…

Estimez-vous être un visionnaire dans votre domaine?

 «Oui, mais avec un cerveau qui voit tous les électrons libres et qui sait dans quel ordre les activer pour atteindre un but. Il ne s’agit pas seulement d’être visionnaire pour identifier un besoin ou une technologie, mais davantage être capable d’identifier tous les éléments dont il faut tenir compte pour y arriver… Au commencement, c’était surtout moi qui exécutais les tâches. Avec l’expérience et la croissance, il faut avoir le courage et l’haleine suffisants pour se lancer dans des dossiers plus complexes et construire en s’appuyant sur les bonnes personnes.»