Pour la codirectrice du Clae, Anita Helpiquet, l’accueil des migrants au Luxembourg se fait «de manière assez digne». (Photo: DR)

Pour la codirectrice du Clae, Anita Helpiquet, l’accueil des migrants au Luxembourg se fait «de manière assez digne». (Photo: DR)

Madame Helpiquet, à quelques heures du grand rendez-vous annuel grand public qu’est votre festival, pouvez-vous tout d’abord nous dire quelles en seront les principales nouveautés?

«La structure de ce festival est toujours la même. Par contre, c’est vrai qu’il y a un fort engagement associatif et donc, tous les ans à chaque édition, il y a de nouvelles associations, de nouvelles cultures qui sont présentes. Dès lors, nous innovons chaque année à travers des débats, à travers une programmation musicale et à travers des rencontres littéraires. Avec, à chaque fois, de belles surprises en perspective.

Quel bilan tirez-vous de ces 35 ans? Comment ce festival a-t-il évolué dans le temps?

«Au départ, l’idée première du festival était d’avoir une visibilité dans l’espace public. Et à l’époque, les associations qui se sont créées – d’Italiens, de Portugais, d’Espagnols, etc. – ont créé le Clae en parallèle de l’Association de soutien aux travailleurs étrangers (Asti).

Le premier festival a eu lieu sur la place Guillaume avec simplement quelques stands, il y a donc eu beaucoup de chemin de parcouru depuis 35 ans maintenant.  

Ce qu’il y a aussi de remarquable au niveau de ce festival, c’est qu’au départ, au début des années 80, on a eu des associations qui avaient des revendications très souvent en lien avec le parti communiste et des slogans tels que ‘Participer pour décider’, ‘Droit de vote aux immigrés’, ‘Vivre, travailler et décider ensemble’, ou encore ‘Inventer l’avenir ensemble’.

On a donc eu une forte participation dès le départ – même avec un petit festival – avant que, dans les années 2000, le nom de cette manifestation, qui à l’époque s’appelait ‘Festival de l’immigration’, se transforme en ‘Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté’.

Ce festival permet d’affirmer une conscience et une solidarité citoyenne.

Anita Helpiquet – Codirectrice du Clae

Pourquoi ce changement de dénomination?

«Pour indiquer une plus grande ouverture par rapport au pays mais aussi un changement de paradigme. Car ce festival n’était plus conçu comme un simple espace public, mais bien comme une manière de transformer le lien à l’intérieur de la société, entre les différentes personnes. Et c’est surtout à partir de ce moment-là que le Clae a commencé à travailler sur la valorisation des cultures issues de l’immigration mais également sur des concepts tels que le métissage culturel.

C’est aussi à cette époque que s’est tenu le premier Salon du livre et des cultures, qui a rejoint le festival avant les rencontres ARTSmanif quelques années plus tard.

Le festival est devenu au fil du temps une grande fête populaire, mais ce qui est important pour nous c’est qu’il permet à travers la convivialité et l’amitié d’affirmer une conscience et une solidarité citoyenne dans un espace de commune humanité et, aux associations présentes, de présenter et de raconter leurs cultures.

Face à un phénomène migratoire dont il est toujours beaucoup question depuis 2015 – du fait notamment de guerres toujours en cours en Syrie et en Irak – comment jugez-vous la politique d’accueil de ces migrants telle qu’elle est pratiquée au Luxembourg?

«On peut dire que d’une manière globale il y a une certaine volonté politique pour accueillir ces personnes de manière assez digne. Sachant toutefois qu’il y a toujours un écart entre la volonté politique et la réalité vécue par ces personnes.

Il y a par exemple de graves problèmes structurels au niveau du logement au Luxembourg et qu’on ne peut pas les résoudre du jour au lendemain. Cela vaut aussi pour la situation dans les foyers qui était plus ou moins catastrophique jusqu’en 2015 et qu’il est toujours difficile de changer rapidement.

Pour nous, un migrant est d’abord une personne, un humain.

Anita Helpiquet – Codirectrice du Clae

Un accueil digne, dites-vous. Mais qu’en est-il de la volonté politique d’intégration de ces personnes?

«En matière d’intégration, celle-ci passe par plusieurs voies, de différentes manières. À travers le travail, l’engagement associatif ou encore la famille, en ayant des enfants qui vont vivre dans le pays.

Ce que nous observons – du côté des migrants – c’est que cette intégration se fait relativement vite, et on ne peut donc qu’être optimiste. Il y a plein de personnes qui sont déterminées à avancer et à faire leur chemin au Luxembourg même si ce n’est pas forcément facile, notamment de trouver un travail, puisqu’il y a le problème de la langue, des diplômes, de l’adéquation avec le marché du travail, sans même parler du problème du logement.

On voit aussi, notamment à travers le festival, des personnes qui veulent partager avec le pays d’accueil, ce qui se ressent fortement au niveau associatif.

Une question de politique encore: ici comme ailleurs, on fait une distinction entre migrants économiques et migrants issus  de zones de guerre ou de danger. Cette distinction se justifie-t-elle?

«D’abord, pour nous, un migrant est d’abord une personne, un humain. Ceci dit, à mon avis, le fait de vouloir répartir des personnes qui quittent leur pays en différentes catégories vise d’abord à ériger des frontières. Des frontières entre les gens, mais aussi des frontières physiques aux portes de l’Europe.

Parce qu’aujourd’hui, le vrai scandale de l’Union européenne, c’est qu’elle retient hors de ses frontières – en Libye ou en Turquie –  ces personnes qui pourraient venir aussi bien pour des raisons économiques que pour une demande de protection internationale.

Et donc se pose la question de la Convention de Genève, telle qu’elle a été pensée dans les années 50, qui devient caduque puisque ces personnes n’ont plus – de facto – la possibilité de rejoindre l’Union européenne pour faire une demande d’asile.

Un certain nombre de propositions seront faites au nouveau gouvernement.

Anita Helpiquet – Codirectrice du Clae

Quelles relations entretenez-vous avec le Conseil national pour étrangers, l’association dépendant du ministère de la Famille, pour laquelle un nouveau comité vient d’être nommé?

«Cet organe, depuis un certain nombre d’années, n’a pas forcément fonctionné. Et nous, au Clae, on a la forte impression que si on a réorganisé des élections, c’est parce qu’il y a une obligation légale derrière mais pas nécessairement une forte volonté politique que ce CNE soit consulté.

Tout ce qu’on souhaite donc c’est que cet organe puisse retrouver une certaine dynamique et qu’il soit force de propositions puisqu’on part du principe que la société civile est multiple et qu’on n’est pas forcément concurrents si on est plusieurs sur le terrain.

Les élections législatives se précisent. Dans cette optique, quel message, ou quelle demande souhaiteriez-vous adresser aux partis, et plus précisément à ceux qui formeront la prochaine coalition?

«Le Clae va organiser début décembre – comme tous les cinq ans – un congrès des associations après lequel un certain nombre de propositions vont être faites au nouveau gouvernement.

De manière globale, ce qu’il faudrait absolument repenser au Luxembourg, c’est tout de même l’intégration. Parce qu’on s’en sert beaucoup pour distinguer les personnes qui pourraient avoir une certaine légitimité et d’autres qui pourraient en avoir moins.

Et donc, il vaudrait mieux à notre avis essayer de penser les choses dans le sens de plutôt favoriser une inscription des personnes issues de l’immigration d’une manière globale, sans plus aucune distinction.»