Erna Hennicot-Schoepges: «Si j’ai pu réaliser certaines choses, c’est aussi grâce à mes collaborateurs efficaces.» (Photo: Romain Gamba)

Erna Hennicot-Schoepges: «Si j’ai pu réaliser certaines choses, c’est aussi grâce à mes collaborateurs efficaces.» (Photo: Romain Gamba)

Madame Hennicot-Schoepges, vous avez toujours fait confiance aux artistes et vous vous êtes toujours tenue à leurs côtés, parfois contre des voix fortes. Vous avez toujours lutté pour la liberté d’expression…

«C’est une évidence. Je ne me suis jamais immiscée dans le travail des créateurs ni dans celui des directeurs. La liberté des artistes avant tout. Du choc des idées et de la lumière. Même si ce n’est pas toujours facile à gérer. J’ai beaucoup appris par cette attitude d’écouter et de regarder, et ensuite faire part de ma réflexion personnelle. Et j’avais aussi le droit de dire: ‘ça me plaît’ ou ‘ça ne me plaît pas’. Mais interdire, non!

L’opposition autour de l’œuvre de Sanja Ivekovic, Lady Rosa, a été d’une virulence incroyable, y compris dans vos rangs…

«C’était dans l’espace public et c’était lié à un monument historique. C’était très délicat, vu la symbolique de la Gëlle Fra. Mais, pour moi, il s’agissait d’abord d’écouter ce que disait l’artiste, Sanja Iveković, et essayer de comprendre son projet. Sa mère est morte à Auschwitz et elle a voulu parler du sort des femmes dans les guerres et des viols commis pendant la guerre des Balkans. Dans l’exposition d’Iveković au MoMA, il y a une documentation de toute cette histoire. Heureusement que les articles étaient en allemand et que peu de gens allaient les lire à New York!

Où avez-vous trouvé les ressources dans ces moments où vous étiez très visée?

«Je n’ai pas lu les journaux, ni écouté la radio, ni regardé la télé. Ce que je devais savoir, je l’ai appris en temps utile. Et puis, j’avais le piano. La musique a toujours été un refuge.

La musique a toujours été un refuge.

Erna Hennicot-Schoepges

Passons à un autre grand chantier, celui de l’Université. Ça n’a pas été sans mal non plus.

«Non! Ça a aussi été une bataille à long terme. Après le débat parlementaire de 1992, la loi de 1996 a été déposée par mon prédécesseur, Marc Fischbach, et je l’ai fait voter. Elle faisait du Centre universitaire, de l’Institut pédagogique, de l’Institut des éducateurs et de l’Institut supérieur de technologie quatre établissements publics séparés, avec quatre conseils d’administration. Après cette loi est venu le processus de Bologne signé en 1998. Au Centre universitaire, la loi disait que le premier diplôme serait un diplôme de Deug, donc en deux ans, alors que Bologne disait trois ans. Quadrature du cercle. Notre système n’aurait plus fonctionné. Le domaine de la recherche s’était développé en parallèle. Mais pour faire avancer la recherche – les CRP avaient été créés en 1987 –, il fallait une université.

Pourquoi le modèle a-t-il été difficile à faire accepter?

«Parce que notre modèle, c’était un modèle en dehors du fonctionnariat, contrairement aux professeurs de lycée. C’est pour cela qu’en 1999, j’ai demandé à monsieur Juncker de séparer le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Je n’étais plus l’otage des syndicats ou de la Chambre des fonctionnaires. En 2003, j’ai rassemblé les professeurs intéressés par le projet d’université et les choses ont pu se concrétiser.

Erna Hennicot-Schoepges

Si elle n’avait pas fait de la politique, Erna Hennicot-Schoepges aurait continué comme pianiste professionnelle.

Quel regard portez-vous sur l’Université d’aujourd’hui?

«Je suis inquiète parce qu’on est en train de détruire le modèle qu’on avait développé en réintroduisant les questions de fonctionnarisation. On ne mesure pas l’envergure des conséquences de ce que va être ce projet de loi, déposé par monsieur Hansen (ministre délégué à l’Enseignement supérieur, ndlr). Par exemple, si on doit retourner à des règlements pour l’établissement des filières, ce n’est pas assez souple et ça prend trop de temps. Il faut laisser un maximum de liberté et d’autonomie à l’Université. Quant aux problèmes de gestion de l’Université, je pense qu’ils sont en partie liés aux personnes. Au nouveau recteur Stéphane Pallage de reprendre le gouvernail, à condition qu’on lui laisse assez de liberté d’agir.

Rétrospectivement, vous vous dites que vous auriez agi différemment sur certains sujets?

«Pas vraiment, non. Si j’ai pu réaliser certaines choses, c’est aussi grâce à mes collaborateurs efficaces, et j’aimerais citer Guy Dockendorf pour la Culture, Germain Dondelinger pour l’Université et Fernand Pesch pour les Travaux publics, sans oublier tous les autres. Ce que je regrette, ce sont les choses que je n’ai pas pu terminer. Je n’ai pas pu construire la Bibliothèque nationale. Je n’ai pas pu construire les Archives nationales. Et c’est bien dommage, parce qu’on a perdu un temps considérable. Heureusement, j’ai réussi à faire l’Université sans avoir la possibilité de la mettre vraiment en place. Il reste des grands chantiers, tant dans les domaines de l’éducation et de l’enseignement supérieur que de la culture. On manque de lieux de stockage, de solutions pour valoriser l’archéologie. La question de l’art luxembourgeois, par exemple, a été lancée par le Premier ministre Bettel. Il ne faut pas faire une séparation des artistes luxembourgeois. Un artiste est un artiste, et il a sa place là ou là. En revanche, la question du patrimoine et de la succession de certains artistes réputés mérite d’être posée.»