Julie Becker: «Je suis la première femme à la tête de la Bourse, mais en insistant tellement sur le genre, on a tendance à mettre de côté les compétences et l’expérience.» (Photo: Nader Ghavami)

Julie Becker: «Je suis la première femme à la tête de la Bourse, mais en insistant tellement sur le genre, on a tendance à mettre de côté les compétences et l’expérience.» (Photo: Nader Ghavami)

Pionnière malgré elle, Julie Becker est devenue la première femme à la direction de la Bourse de Luxembourg. Un rôle qu’elle endosse avec passion et engagement.

Madame Becker, quel a été votre parcours jusqu’à la Bourse de Luxembourg?

«Après des études de droit, j’ai intégré la salle des marchés, puis différents départements d’une grande banque de la Place… J’ai beaucoup bougé, j’ai changé d’activité presque tous les deux ans pendant 10 ans au sein du même groupe bancaire. J’ai aussi eu la chance de découvrir les activités de différentes institutions de la place financière, la Bil, puis le groupe Dexia, la Banque centrale de Luxembourg (BCL), puis la Bourse de Luxembourg.

Ce qui me motive, c’est de pouvoir entreprendre, donner du sens et avoir de l’impact.

Comment donner du sens dans le monde de la finance?

«En permettant, par exemple, le financement de projets environnementaux ou durables! C’est précisément ce que nous avons réalisé à travers la création de LGX (Luxembourg Green Exchange), la première plate-forme exclusivement dédiée aux instruments financiers durables.

Dans le cadre des accords de Paris, cette initiative a un impact positif direct. Le rôle de la bourse verte est de mettre en relation des promoteurs de projets durables ou des émetteurs d’instruments financiers verts avec des investisseurs qui veulent donner du sens à leurs investissements et avoir un impact environnemental, social ou durable.

Mais dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, l’objectif est aussi de sensibiliser, de mobiliser et de faire réfléchir. On a tous une responsabilité sociétale.

Vous deviez vous sentir bien seule en salle des marchés...

«En 1998, nous étions en effet une poignée de femmes, c’était un monde essentiellement masculin. Cela m’a fait prendre conscience des préjugés que l’on peut avoir. Pourtant, la diversité est, pour moi, synonyme de performance et de richesse au sein des équipes.

En général, les femmes manquent de confiance en elles.

Julie Becker, membre du comité exécutif de la Bourse de Luxembourg

Comment expliquez-vous ce manque de femmes dans ce secteur?

«Ça a beaucoup changé, il y a beaucoup plus de femmes dans le secteur financier. Mais je pense qu’en général, les femmes manquent de confiance en elles, elles ont peut-être un peu plus peur des risques et elles attendent qu’on vienne les chercher plutôt que de se manifester spontanément dans le cadre d’une évolution de carrière ou d’une opportunité professionnelle.

Il faut néanmoins trouver un équilibre en respectant les choix de chacun.

Aviez-vous établi un plan de carrière pour en arriver là où vous en êtes aujourd’hui?

«Pas du tout, mais je voulais en tout cas atteindre un certain niveau dans ma carrière avant d’avoir mon premier enfant. J’ai alors pris un congé parental à mi-temps, ce qui m’a permis de garder un pied dans le monde professionnel.

J’ai toujours été guidée par l’intérêt de la fonction et le besoin d’apprendre, mais je ne m’attendais pas du tout à être nommée au comité exécutif de la Bourse, j’ai eu la chance d’avoir un management qui croit en moi.

Vous êtes la première femme à être à la direction de la Bourse, est-ce un honneur ou quelque chose de lourd à porter?

«C’est un paradoxe, car oui je suis la première, mais en insistant tellement sur le genre, on a tendance à mettre de côté les compétences et l’expérience.

Hommes et femmes sont intransigeants envers les femmes qui s’investissent dans leur vie professionnelle et qui réussissent, nous sommes toujours jugées sur notre apparence physique.

Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide.

Julie Becker, membre du comité exécutif de la Bourse de Luxembourg

Comment concilier ses choix de carrière et sa vie privée?

«Il faut avant tout assumer ses choix, des choix qui sont conciliables.

Dans ma vie privée, je me fais aider pour mes enfants, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, car une femme épanouie est, à mon avis, une bonne mère.

Il faut aussi adopter une ligne de conduite claire et le faire savoir sur son lieu de travail. Lorsque je ne suis pas en déplacement, je mets, par exemple, un point d’honneur à dîner tous les soirs avec mes enfants.

Est-ce que des initiatives ont été mises en place pour faire avancer l’équité hommes-femmes à la Bourse?

«Il faut favoriser des initiatives par et pour les femmes: leur donner la parole, développer le networking pour les femmes. Le mot-clé, c’est ‘osez’.

Nous avons, par exemple, organisé un panel de discussion entre les trois administratrices de la Bourse, ouvert à tous les collaborateurs, et je crois que les hommes étaient tout autant intéressés par la thématique. Françoise Thoma a notamment dit: ‘Vous êtes les CEO de votre propre vie.’

Je crois que l’équilibre hommes-femmes est déjà bien intégré à la Bourse, il y a une ouverture d’esprit qui a fait qu’une politique active de recrutement de femmes n’était pas nécessaire. Dans le secteur financier, les femmes occupent des fonctions très différentes, mais il faut donner la chance à celles qui se démarquent.

Il n’y a donc rien à améliorer chez vous?

«Si, bien sûr, il faut continuer à lutter contre les préjugés inconscients, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.

Il faut aussi prendre parfois certaines mesures pour accompagner le changement et soutenir la complémentarité des genres, comme l’initiative luxembourgeoise Équilibre, à laquelle nous adhérons et que nous soutenons.

Le CEO de la Bourse a ainsi déjà attiré l’attention de plusieurs organisateurs de conférences sur le déséquilibre en genre des panels lorsque les orateurs étaient exclusivement masculins.

Plus on apporte aux collaborateurs, plus ils vous apportent.

Julie Becker, membre du comité exécutif de la Bourse de Luxembourg

Qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour améliorer cet équilibre entre vie professionnelle et vie privée?

«Je suis en faveur d’une plus grande flexibilité. Plus on apporte aux collaborateurs, plus ils vous apportent. C’est une preuve de confiance.

Le télétravail est difficile à mettre en place, car il n’est pas institutionnalisé, tout dépend des fonctions exercées. Mais il y a une forte demande de nos employés, notamment des frontaliers. La solution des bureaux aux frontières est à l’étude, cela a du sens pour ceux qui ne veulent pas travailler de leur domicile.

À l’avenir, je pense qu’il y aura de plus en plus une relation entre indépendants et collaborateurs, pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle, c’est ce vers quoi nous allons.

Est-ce que vous faites bénéficier de votre expérience des collaboratrices féminines?

«Certaines me demandent en effet des conseils, que je donne volontiers. Mais plus que le mentoring, il faut encourager le sponsoring. C’est le rôle des managers d’aller chercher et identifier des talents. Les talents féminins sont souvent plus difficiles à chercher et convaincre dans le cadre d’opportunités d’évolution professionnelle.

De là à mettre en place des quotas?

«Je ne les aime pas, mais j’aime les résultats qu’ils génèrent. Il faut que les générations futures n’aient pas à passer par là. C’est un changement de longue haleine. Le plus dur sera de le pérenniser.»

Les trois dates-clés du CV de Julie Becker:

  • 1998 – Premier emploi à Luxembourg à la Bil
  • 2015 – Nomination au comité de direction de la Bourse
  • 2016 – Création de Luxembourg Green Exchange et nomination au HLEG (High-Level Expert Group on Sustainable Finance) de la Commission européenne

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