Julien Licheron: «On observe un déplacement de l’offre vers des zones qui se situent loin de la capitale.» (Photo: Olivier Minaire / archives)

Julien Licheron: «On observe un déplacement de l’offre vers des zones qui se situent loin de la capitale.» (Photo: Olivier Minaire / archives)

M. Licheron, quels sont les types de biens les plus recherchés actuellement sur le marché luxembourgeois?

«Nous n’avons pas d’enquête sur la demande en logements des ménages. Nous la mesurons par les ventes et la manière dont l’offre est satisfaite. Mais on s’aperçoit qu’il existe une demande de plus en plus forte pour des logements de petite taille.

On assiste à une diminution de la taille moyenne des ménages et à une réduction du budget pour certains types de ménages, ce qui les contraint à faire des choix.

Ils chercheront généralement une meilleure localisation, au détriment de l’espace de logement. Depuis quelques années, une tendance lourde est donc la réduction de la taille moyenne des logements, même si ça ne se traduit pas forcément dans la moyenne puisque de plus en plus de grandes maisons sont aussi acquises.

La moyenne n’est donc pas forcément plus basse, mais on observe une plus grande dispersion des biens qui sont vendus.

Que faut-il retenir comme principales informations des derniers chiffres publiés par l’Observatoire de l’habitat?

«Le principal enseignement sur les chiffres de l’année 2015, c’est la poursuite des tendances qui se sont amorcées au début de l’année 2010, soit une croissance des prix des logements à un rythme qui fluctue autour des 4% par an.

Cette hausse est assez régulière et elle concerne à peu près tous les segments. Elle est un peu plus élevée pour les appartements neufs, mais c’est aussi lié à des changements réglementaires, notamment la hausse de la TVA début 2015, et une augmentation des normes de performance énergétique des bâtiments, qui ont renchéri un peu le prix de la construction. Mais, globalement, on n’a pas assisté à des changements importants.

Si on regarde les graphiques, la hausse semble quand même avoir diminué. Assiste-t-on à une inversion de tendance?

«C’est effectivement le cas pour le dernier trimestre 2015. On y observe une petite baisse par rapport au trimestre précédent. Mais, sur l’ensemble de l’année, on reste au même rythme que les exercices précédents. C’est pour l’instant un très léger fléchissement et nous n’avons pas encore de chiffres pour les premiers mois de 2016, afin de voir si cette petite réduction du taux de croissance de fin 2015 se poursuit.

La très forte demande est principalement liée à une croissance démographique extrêmement importante.

Julien Licheron, coordinateur de l’Observatoire de l’habitat

Les raisons de cette croissance restent-elles les mêmes?

«Oui, la très forte demande est principalement liée à une croissance démographique extrêmement importante l’année dernière.

On a recensé 13.000 nouveaux habitants sur l’année 2015, ce qui représente plus de 4.500 nouveaux ménages à loger. À cela s’ajoutent des besoins de renouvellement du parc d’habitations et la nécessité de remplacer des biens dégradés. On peut donc chiffrer les besoins à environ 6.500 nouveaux logements chaque année.

Ce qui reste loin de l’offre…

«Elle a effectivement beaucoup de mal à dépasser les 3.000 logements. Il existe donc un réel décalage entre offre et demande.

Au niveau des bâtiments achevés, nous ne disposons pas d’informations récentes quant à une éventuelle augmentation de l’offre.

En revanche, ce que l’on a perçu, et c’est une bonne nouvelle, c’est une augmentation des autorisations de bâtir, donc de nouveaux projets, sur les deux dernières années. Ça pourrait donc se traduire par une augmentation du nombre de bâtiments construits au cours des deux années à venir. Ça reste à confirmer, mais si c’est le cas, l’écart pourrait se réduire.

À plus long terme, comment voyez-vous évoluer cette tendance?

«Il n’existe pas réellement de projections de croissance des logements. Il faudra donc voir comment évoluent la croissance démographique et l’offre en bâtiments neufs. Mais depuis l’an 2000, soit depuis plus de 15 ans, on n’a pas connu de tendance haussière du nombre de bâtiments achevés. L’offre reste entre 2.600 et 3.000 logements construits par an.

Qu’est-ce qui explique qu’au Luxembourg, malgré la croissance démographique, on construit aussi peu de nouveaux logements?

«C’est lié à un ensemble de facteurs. Celui qui, à l’Observatoire de l’habitat, nous paraît le plus aigu, c’est la mobilisation du foncier. C’est un problème sur lequel le gouvernement travaille (voir p. 44).

Nous estimons que 2.700 hectares de terrains sont disponibles pour l’habitat dans les plans d’aménagement généraux (PAG) des communes. Ce sont des terrains déjà destinés à l’habitation, qui sont, pour une bonne partie d’entre eux, mobilisables relativement rapidement sans avoir à créer de nouvelles infrastructures.

Au Luxembourg, il n’existe pas vraiment d’incitants fiscaux à la remise sur le marché de ces terrains.

Julien Licheron, coordinateur de l’Observatoire de l’habitat

La difficulté est donc de mobiliser ce foncier. Parce qu’à 92%, il est détenu par des propriétaires privés. Principalement des particuliers, mais aussi des promoteurs ou des entreprises.

Or, il est très difficile d’inciter ces particuliers à vendre leurs terrains pour les mettre en construction. Au Luxembourg, il n’existe pas de fortes taxes foncières ni de taxes sur les terrains non construits, donc pas vraiment d’incitants fiscaux à la remise sur le marché de ces terrains.

Faut-il parler d’opérations spéculatives?

«C’est plus un problème de rétention que de spéculation. Les gens qui possèdent des terrains les gardent. Parfois parce qu’ils pensent pouvoir les revendre plus cher plus tard, mais aussi tout simplement parce qu’ils veulent disposer d’un patrimoine. Ça peut être un placement à très long terme.

Il y a un manque d’incitants à la revente pour des ménages qui n’ont pas de besoins financiers. Le foncier est un placement peu risqué et qui entraîne peu de coûts. Mais, au Luxembourg, les prix sont déjà tellement élevés que c’est celui qui voudrait spéculer sur le foncier qui en viendrait à prendre des risques.

Votre étude pointe des différences de prix importantes entre le canton de Luxembourg et les autres régions. Assiste-t-on avec le temps à un effet de rattrapage des zones plus périphériques lié au fait que de nombreux ménages doivent s’éloigner de la capitale?

«Pas vraiment. Ce qu’on observe depuis qu’on suit ce phénomène, donc depuis l’année 2010, c’est une augmentation plus rapide des prix sur Luxembourg-ville et dans les communes périphériques que dans les parties sud, nord et ouest du pays. Mais on observe néanmoins un déplacement de l’offre vers des zones qui se situent loin de la capitale. Elle s’est notamment renforcée dans le sud du pays, où de plus en plus d’appartements sont construits. L’offre s’est donc déconcentrée, mais les prix continuent à être fortement polarisés autour de Luxembourg. Il y a une demande spécifique pour les types de biens que l’on trouve dans la capitale. Dans le sud du pays, par contre, l’augmentation de l’offre, surtout d’appartements, a provoqué un effet à la baisse sur les prix.

Les différences de prix restent très marquées sur l’ensemble du territoire…

«Au niveau du foncier, on est dans un rapport de un à cinq. Au niveau des prix des maisons et des appartements, ce rapport est de un à deux. Il faut à peu près 6.000 euros du m2 pour un appartement ancien sur Luxembourg-ville, et un peu moins de 3.000 euros du m2 dans l’extrême nord du pays.

Que pensez-vous de l’idée d’affecter les anciennes friches d’ArcelorMittal à du logement?

«C’est une formidable opportunité de création de logements sans consommation foncière supplémentaire puisque ce sont des espaces imperméabilisés ou artificialisés, qui ont déjà une fonction. Évidemment, ça prend du temps. Comme ce sont de très grands projets, il faut un master plan pour l’ensemble du quartier. Il faut aussi dépolluer les sites. Mais, au final, c’est une potentialité de logements très importante.

Peut-on déjà chiffrer l’impact de la hausse de la TVA dans le secteur de la construction intervenue début 2015?

«Le Statec a réalisé une tentative de chiffrage des effets de cette augmentation sur les six premiers mois de 2015. Il en avait conclu que l’effet net de cette augmentation restait relativement modéré. Cela s’explique par deux raisons principales: d’abord parce que la hausse de la TVA a concerné essentiellement les logements neufs mis en location. Ensuite, parce que l’effet sera probablement dilué. Il était en effet possible de faire une demande d’autorisation de TVA à 3% jusqu’à la fin de l’année 2014, y compris pour des projets qui ne seraient entamés qu’un an plus tard. On va donc connaître un étalement sur deux ans des effets de cette TVA. Mais, pour l’instant, ils ne sont pas manifestes.

Aujourd’hui de nombreux logements vendus sont déjà de niveau 'AA'.

Julien Licheron, coordinateur de l’Observatoire de l’habitat

Les exigences de performance énergétique jouent-elles un rôle au niveau de la fixation des prix?

«Les exigences ont été rehaussées en 2012. Actuellement, on est sur du 'AB' obligatoire, soit la classe de performance énergétique A et la classe d’isolation thermique B. En 2017, on passera au niveau 'AA', ce qui veut dire que la maison passive deviendra la norme. Ça a clairement déjà eu un impact sur le prix de construction des logements. Et le passage à la maison passive obligatoire en aura un aussi. Ça s’est traduit par une hausse un peu plus élevée des logements nouveaux que des anciens. Mais cet effet de prix devrait aussi être mis en corrélation avec les gains en énergie que ces normes permettent. À moyen et long termes, ce sera peut-être un avantage pour les occupants de ces nouveaux logements.

Vers quoi s’orientent les candidats propriétaires ? Vers des logements déjà bien adaptés au niveau de la performance énergétique?

«Ce que l’on a pu observer, surtout entre les années 2009 à 2012, lorsque les gens pouvaient encore aller à des niveaux de performance 'DD', c’est qu’ils essayaient quand même de monter en gamme vers ce qui serait les standards futurs. C’est ainsi que l’offre s’est déplacée et qu’aujourd’hui de nombreux logements vendus sont déjà de niveau 'AA'. Leur réflexion a été de se dire qu’à la revente, il vaudrait mieux pouvoir proposer un bien avec des niveaux d’isolation et de performance énergétique déjà plus élevés.»