Martine Solovieff défend une justice «transparente» et «au service du public». (Photo: Nader Ghavami)

Martine Solovieff défend une justice «transparente» et «au service du public». (Photo: Nader Ghavami)

Madame Solovieff, c’est votre troisième rentrée en tant que procureur général d’État…

«Je ne parle pas de rentrée judiciaire et surtout pas de vacances judiciaires. Certes, l’article 150 de la loi sur l’organisation judiciaire prévoit que l’année judiciaire commence le 16 septembre (le 18 cette année, le 16 étant un samedi) et se termine le 15 juillet. Mais comme disait mon prédécesseur Robert Biever, parler de vacances judiciaires donne l’impression que nous sommes des commerçants qui ont fermé boutique et que plus rien ne se passe.

Nous sommes en service réduit, mais pour toute urgence et pour les affaires courantes, il y a toujours des magistrats disponibles. Nous avons un plan de service, chaque magistrat est d’astreinte pendant quelques jours et, en supplément, la majorité des magistrats viennent quand même au bureau. Car au-dehors, les événements et les faits divers ne s’arrêtent pas. Il est exclu de fermer boutique durant deux mois!

D’ailleurs, j’ai trouvé quelques statistiques. Entre le 15 juillet et le 17 septembre, la Cour d’appel a rendu 239 arrêts, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a rendu 1.448 jugements et ordonnances. La chambre du conseil, c’est-à-dire la chambre de l’instruction qui traite les affaires de mise en liberté provisoire, de restitution de permis et de restitution de saisie de véhicule, a rendu 377 ordonnances. Les juridictions de la jeunesse et des tutelles: 447 ordonnances et jugements, le tribunal de Diekirch 171 jugements et ordonnances, la justice de paix à Luxembourg 168 jugements et 4.606 ordonnances de paiement, celle d’Esch-sur-Alzette 229 jugements dont 29 en référé travail et 5.075 ordonnances de paiement, et celle de Diekirch 124 jugements et 2.358 ordonnances de paiement.

Nous travaillons en service réduit, mais nous continuons à travailler et la justice continue d’assurer un service public à l’égard du justiciable.

Trois ans après votre entrée en fonction, comment définiriez-vous votre façon d’exercer en tant que procureur général d’État?

«Je dirais qu’elle se définit par le dialogue et l’écoute. Je suis à l’écoute de tout le monde, j’essaie de trouver des solutions. Si ce n’est pas possible de prendre une décision collective, je la prends seule. Je suis quelqu’un de très spontané et j’ai été habituée, en 15 ans au Parquet, à prendre des décisions. On essaie d’aller de l’avant.

Mais la justice, ce n’est pas seulement une personne. Elle ne peut fonctionner que grâce à une équipe soudée: magistrats, greffiers, personnels administratifs et tous ceux qui font partie de notre administration judiciaire, dont le service de presse.

Il est important que la justice soit connue et transparente. Et pour ça, nous comptons sur la presse. Peut-être que précédemment, la justice – pas tellement au Luxembourg, mais en Europe - avait plutôt tendance à travailler en vase clos. En fait, nous n’avons rien à cacher, au contraire. Il faut que les justiciables apprennent à connaître les procédures et surtout nous assurons un service pour le public.

Je suis satisfaite, car le ministre de la Justice a accepté nos propositions intégralement.

Martine Solovieff, procureur général d’État

Cette nouvelle année judiciaire est en tout cas marquée par les recrutements planifiés par la loi du 27 juin dernier.

«Le dernier plan pluriannuel datait de 2005 et portait sur quatre ans. À partir de 2009, il y a eu la crise et le nombre de magistrats et de personnel administratif n’a guère évolué.

L’an dernier, le ministre de la Justice m’a demandé des propositions. Je les ai faites en concertation avec les tribunaux et la Cour. Je suis satisfaite, car le ministre de la Justice et le gouvernement ont accepté nos propositions intégralement. Sur quatre ans, nous allons pouvoir renforcer notre équipe de 32 magistrats.

Quinze postes sont créés cette année. Il y a aussi une grande innovation, qui suit l’exemple de la France et de la Belgique: la loi a mis en place un pool de juges, qui dépend du président de la Cour supérieure de justice, et de substituts, qui dépend du Parquet général. Cela nous donne une grande flexibilité. Cette année, le pool de juges comprend un premier juge et un juge; dans quatre ans, il sera composé de huit magistrats. Le pool de substituts compte un seul substitut pour l’instant et à terme ils seront quatre (deux substituts et deux premiers substituts).

L’objectif est de pouvoir combler les vacances de poste, qu’il s’agisse des congés maternité ou parentaux et des mi-temps. Avec ce système, le président de la Cour supérieure de justice peut déléguer un juge au niveau du tribunal de Diekirch. Cela permet de réagir assez rapidement.

Un juge du pool a d'ailleurs été délégué au tribunal de Diekirch, qui a par ailleurs vu ses effectifs renforcés par un juge et un substitut, tandis que le premier juge du pool a été affecté au tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Quant au substitut du pool, il a rejoint le Parquet du tribunal d'arrondissement de Luxembourg.

Une nouvelle chambre a également été créée au niveau du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Elle va s’occuper des affaires correctionnelles et œuvrera en chambre du conseil pour les affaires d’entraide judiciaire internationale et les procédures de règlement (renvois de détenus), afin de délester l’actuelle chambre du conseil qui conservera les renvois dans les affaires sans détenus, les mises en liberté, etc.

Le Conseil d’État avait mis en garde contre une «inflation de magistrats» dans son avis sur le projet de loi de recrutement pluriannuel. Qu’en pensez-vous?

«Nous avons recruté 18 nouveaux attachés de justice. Or, au Luxembourg, il existe un nombre restreint de juristes qui remplissent les conditions pour entrer dans la magistrature. La crainte du Conseil d’État est plutôt que si nous commençons à recruter massivement, il y aura peut-être moins d’intérêt pour les autres administrations.

Surtout, et je lui donne raison, il ne suffit pas d’augmenter les effectifs. Certainement pas. Et je ne me suis pas limitée à demander des postes supplémentaires sans revoir toutes les procédures.»

La deuxième partie de cette interview sera publiée jeudi sur Paperjam.lu.