María Mateo: «Grâce à son téléphone mobile, l’agriculteur contribue à la couverture commune à hauteur de ses moyens.» (Photo: Matic Zorman / archives)

María Mateo: «Grâce à son téléphone mobile, l’agriculteur contribue à la couverture commune à hauteur de ses moyens.» (Photo: Matic Zorman / archives)

María Mateo, cofondatrice de BitValley et porteur du projet Ibisa, a répondu à nos questions. 

Vous proposez aux petits agriculteurs émergents une organisation d’assurance décentralisée. N’ont-ils pas déjà accès localement à la micro-assurance? 

«Le modèle de micro-assurance des récoltes proposé aux petits producteurs ne répond pas à leurs besoins. Ils ne sont d’ailleurs que 0,5% à y avoir recours. Trop coûteux, en raison notamment de frais fixes de gestion importants, ce système impose un cycle déclaration-expertise-paiement long, qui fait que le paysan n’est pas indemnisé avant le début de la saison suivante, ce qui l’empêche d’investir dans une nouvelle récolte. 

Comment fonctionne Ibisa? 

«Ibisa est un système de partage de risques mutualisé. Grâce à son téléphone mobile, l’agriculteur contribue à la couverture commune à hauteur de ses moyens. Il abonde le fonds quand il dispose d’un peu d’argent, ce qui lui ouvre un droit d’indemnisation proportionnelle à sa contribution. Les observations satellitaires nous permettent d’établir tous les mois un index corrélé aux récoltes. En cas de dommages, une avance d’indemnisation est immédiatement déclenchée, toujours via le mobile du paysan mutualiste. Tout le processus de paiement est pris en charge par la blockchain grâce à un maillage de smart contracts. Il est donc automatique, rapide, fiable et vérifiable.

Ibisa s’engage à ne prélever que 20% de frais de gestion qui servent à rémunérer les acteurs de la chaîne vertueuse du projet: les facilitateurs, qui interviennent sur le terrain pour convaincre les petits producteurs et les accompagnent au quotidien; les veilleurs, qui évaluent les dommages éventuels grâce à leurs observations; les profileurs, qui conçoivent les couvertures de risques; et enfin les développeurs, qui améliorent les outils logiciels.

Pour parler de façon imagée, je dirais qu’Ibisa est aux assurances classiques ce que le taxi de brousse est aux réseaux ferrés.

María Mateo, cofondatrice de BitValley

Cet écosystème est essentiel au fonctionnement d’Ibisa. Pour parler de façon imagée, je dirais qu’Ibisa est aux assurances classiques ce que le taxi de brousse est aux réseaux ferrés. Le train est un système très centralisé, efficace pour desservir les grandes villes, mais pas adapté aux villages reculés. À l’inverse, les taxis de brousse forment un système distribué dans lequel chaque opérateur assume l’entretien et la gestion de son propre taxi, et où avec un minimum de règles, il devient possible de desservir le plus petit des hameaux. 

Ibisa mutualise les risques, mais également les remboursements. C’est une approche très différente de l’assurance traditionnelle qui indemnise au cas par cas?

«Notre équipe multidisciplinaire – composée de spécialistes de l’observation satellite, du calcul actuariel des risques, de la blockchain, de la micro-assurance ou encore de la théorie des jeux – a défini une approche innovante. Les parcelles ne sont pas contrôlées individuellement, mais au niveau communautaire, ce qui évite le recours coûteux à des images très haute résolution et permet de déclencher une indemnisation dès lors qu’un écart avec la situation moyenne des dernières années sur la zone considérée est constaté. Une fois la décision mutuelle de dédommagement prise, l’indemnité est versée à chaque agriculteur concerné, en proportion de sa participation.  

Quelles sont les prochaines étapes du déploiement de la place de marché Ibisa? 

«Début 2019, nous sèmerons nos premières graines Ibisa en Inde, au Bangladesh et au Kenya. Nous distribuerons à cette occasion nos premiers jetons à un certain nombre de facilitateurs et de veilleurs, indispensables au déploiement du dispositif sur le terrain. Ces premières implantations nous serviront à optimiser notre produit avant d’ouvrir plus largement la vente de tokens en fin d’année 2019. Nous prévoyons d’étendre Ibisa à d’autres pays à partir de 2020, puis d’ouvrir la solution à d’autres acteurs d’incitation agricole.»

Une partie de l'équipe de BitValley