Témoignage de Claude Marx, Directeur.
HSBC Private Bank (Luxembourg) S.A. est active depuis 20 ans au Grand-Duché dans le domaine de la banque privée. La banque compte 116 employés, répartis comme suit: un comité de direction de 5 membres, un front office (chargés de clientèle, asset management) de 40 employés, un département trésorerie de 8 personnes, ainsi que 63 employés back office, comptabilité et diverses fonction "support".
Les actifs sous gestion ont dépassé USD 5,3 milliards au 28 février 2005. La clientèle est pour moitié européenne (principaux marchés: la Belgique et la France), et pour moitié hors Union Européenne (principal marché: Amérique Latine, Etats-Unis et Canada, suivi du Proche- et Moyen-Orient).
Quel regard portez-vous sur le marché actuel' Le profil de la clientèle a-t-il fortement évolué ces dernières années?
Le marché a fortement évolué les cinq dernières années, et ce pour différentes raisons:
- la volatilité des marchés boursiers et des marchés de change;
- la baisse des taux d'intérêts à des niveaux historiquement bas;
- les efforts croissants de la part des gouvernements européens tendant à assurer l'imposition des revenus d'épargne ainsi que les amnisties fiscales proposées par un certain nombre d'Etats de l'UE (Italie, Allemagne, Belgique);
- la transparence des commissions et frais dans le domaine de la banque privée, grâce, entre autres, à Internet;
- la sophistication des produits bancaires.
Ces facteurs exercent une forte pression sur les marges bancaires:
- du côté revenus, diminution des marges d'intérêt en raison des taux historiquement bas, et des commissions en raison de la plus forte transparence et concurrence y résultant, ainsi que d'une plus grande prudence des clients notamment en matière d'ordres de bourse;
- du côté coûts, augmentation des deux principaux postes de dépenses: frais informatiques et salariaux, pour différentes raisons (p.ex. investissements informatiques, frais de formation);
Les clients sont devenus à la fois plus prudents après les années difficiles (2000-2003) et plus exigeants en matière de produits. Ils ne recherchent plus à battre un "benchmark" mais visent des rendements absolus, évidemment plus difficiles à réaliser.
Par ailleurs les clients recherchent des produits fiscalement avantageux, et prennent en compte leur organisation familiale et leur succession dans leurs décisions d'investissement.
Compte tenu de ces évolutions, quelles ont été les adaptations majeures qu'il vous a fallu prévoir en terme de produits?
Les facteurs mentionnés ci-dessus ont eu plusieurs impacts sur l'offre de produits.
- Les produits sont devenus plus sophistiqués (p.ex. produits structurés, avec ou sans capital/revenu garanti).
- L'offre de produits des banques s'est élargie et les banques offrent plus de produits tiers, à côté des produits maison. Les banques ont adopté ou vont devoir adopter le concept d'"open architecture" qui consiste à offrir les meilleurs produits de chaque catégorie, en ne favorisant pas systématiquement les produits maison. Ceci est particulièrement vrai dans la gestion par fonds d'investissements. Par ailleurs certaines banques ont commencé à donner accès à leurs clients les plus fortunés à une gestion multi-gestion, gérée en interne ou par une poignée de spécialistes externes.
- Le banquier ne se contente plus d'offrir des produits bancaires classiques, mais des produits qui prennent en compte la fiscalité du pays de résidence du client, ainsi que d'autres aspects tels que la planification successorale, les besoins familiaux de la deuxième génération. Certains produits sont un mélange entre produits bancaires et autres (p.ex. les enveloppes juridiques d'assurance vie, à l'instar des produits "branche 23" en Belgique), d'autres sont des produits externes au monde bancaire mais offerts soit par les banques en interne soit en collaboration avec des prestataires externes (p.ex. des sociétés, fondations ou trusts). Certaines banques privées offrent également des produits de type family office, prenant en compte les besoins bancaires et certains besoins non bancaires du client et de sa famille.
- Le client exige un reporting clair, transparent en ce qui concerne les frais, et parfois tenant compte des règles fiscales de son pays de résidence de manière à pouvoir être utilisé pour sa déclaration fiscale.
- A l'avenir le banquier privé essaiera de plus en plus à faire le lien avec d'autres métiers de la banque, par exemple en proposant au client la création d'un fonds dédié ou d'un société d'investissement à capital risque (SICAR), ou encore en lui offrant des services de banque dépositaire habituellement réservés à une clientèle institutionnelle.
- Côté technologie, le client souhaite au moins pouvoir consulter ses compte par Internet. La possibilité d'effectuer des transactions par ce canal n'est pour l'instant pas encore ressenti comme essentiel dans le domaine de la banque privée. Certaines banques offrent également à leurs clients des états de biens et analyses consolidés, prenant en compte l'intégralité des comptes du client auprès de la banque et auprès d'autres institutions financières au Luxembourg ou à l'étranger.
Comment se dessine les nouveaux contours de l'activité de private banking, dans le contexte d'harmonisation européenne? L'aspect "services" est-il amené à être plus essentiel que l'offre produit, en elle-même?
La directive "fiscalité de l'épargne" n'aura qu'un impact limité sur la place financière, et ce pour deux raisons. Premièrement, avec des taux d'intérêts extrêmement pas, une retenue à la source sur les revenus d'intérêts n'affectera que peu la performance du portefeuille.
Deuxièmement, le champ d'application de la directive est limité en ce qu'il ne concerne que les revenus d'intérêts touchés par des clients personnes physiques résidents dans un pays de l'Union Européenne ou un des territoires dépendants ou Etats tiers visés. Les autres revenus (p.ex. dividendes, plus-values) sont exclus, tout comme les revenus touchés par une société, une fondation ou par le biais d'un contrat d'assurance-vie.
Ceci étant, d'autres mesures amèneront les clients européens à considérer de rapatrier leurs comptes vers une banque de leur pays de résidence: de nouvelles amnisties fiscales, la mise en oeuvre ou le durcissement d'un arsenal fiscal répressif (y compris pénal) pour les fraudeurs, des dispositions anti-abus et à terme un échange d'information entre les Etats membres de l'Union Européenne et avec certains Etats tiers. Le Luxembourg a donné son accord de principe à un tel échange à partir de 2011, sous condition... que certains autres Etats dont la Suisse y participent également.
Le banquier privé devra donc offrir, outre les produits et services traditionnels de type offshore, une gamme de produits et services et un reporting adapté pour la clientèle européenne onshore. Ce sera une condition sine qua non pour survivre à terme. Le banquier doit s'adapter en termes de:
- produits, afin d'offrir des produits traditionnellement offerts par les
seules banques du pays de résidence du client européen;
- reporting, afin que les états de bien et relevés de mouvements soient
ventilés conformément à la législation fiscale du pays de résidence du
client;
- formation des employés.
Quels sont les types de services qui peuvent faire la différence et faire qu'un investisseur choisira de rester - ou de venir - au Luxembourg plutôt qu'ailleurs?
Les clients existants resteront au Luxembourg et d'autres y viendront
- si le Luxembourg conservera un niveau de coût bancaire relativement peu élevé par rapport à d'autres centres financiers comme la Suisse,
- s'il adapte son offre de produits et de services tel que mentionné ci-dessus,
- s'il conserve sa culture de confidentialité.
Un banquier français ou allemand maîtrise très bien les produits français
ou allemands, mais n'a pas nécessairement une offre de produits allant des
obligations d'Etat danoises aux produits des marchés émergeants, ni des
systèmes offrant des comptes multi-devises.
Que répondre à ceux qui estiment que le private banking n'a plus d'avenir au Luxembourg?
C'est faux! Le Luxembourg a acquis au cours des 20 dernières années une expérience unique en matière de banque privée. Cette expérience lui a permis d'acquérir une clientèle essentiellement européenne, de proximité, de particuliers. Alors que cette clientèle se stabilisera dans les années à venir ou du moins ne connaître pas une croissance exponentielle, au moins deux marchés sont encore largement sous-exploités par la banque privée luxembourgeoise :
-la clientèle des pays ayant rejoint l'Union Européenne cette année ou la rejoignant dans quelques années. Cette clientèle pourra être démarchée directement ou de manière plus efficace par des intermédiaires, tels que conseils fiscaux, experts comptables, cabinets d'avocats ou tiers gérants;
- la clientèle non européenne. Le plus grand handicap du Luxembourg est que souvent le client potentiel au Mexique ou à Hong Kong ignore tout du pays, jusqu'à son existence. Le challenge est donc pour l'industrie financière en générale, et private banking en particulier, de se faire connaître et ceci se fera idéalement par le biais d'une agence de promotion au niveau de l'Etat, à l'instar de ce qu'ont fait l'Irlande, ou plus récemment Singapour ou Dubai. Il ne serait en effet pas efficace que chaque banque n'engage des dépenses afin de mettre à l'aise, dans un premier temps, le public cible avec le Grand-Duché! Aussi, il y a des arguments comme par exemple le coût bancaire peu élevé par rapport à la Suisse qu'il est difficile à promouvoir pour des banques faisant partie de grands groupes bancaires, mais qu'une agence spécialisée peuvent développer sans tabou.
Si le Luxembourg arrive à capter 10 à 20% de la clientèle suisse en Amérique Latine, ou Moyen Orient ou en Asie, il aura de beaux jours devant lui. Et un tel objectif n'est pas utopique. Le Luxembourg a d'énormes atouts pour séduire cette nouvelle clientèle, encore faut-il faire connaître ces atouts! Il y a 17 ans, le gouvernement luxembourgeois a organisé ensemble avec les banquiers et certains prestataires de services des missions de promotion pour l'industrie des fonds d'investissement luxembourgeoise notamment sur la Cote Est des Etats-Unis... avec le succès qu'on connaît.
Des missions de promotion bien organisées et ciblées sur le métier de la banque privée et certains autres produits tels que les SICARs ou d'autres instruments d'ingénierie patrimoniale pourraient bien faire d'autres miracles. Et assurer au gouvernement qu'à l'avenir le secteur financier tout entier, et en son sein le private banking en particulier, continuent à contribuer 30% des recettes fiscales!