« D’ici une à deux années, il y aura moins d’acteurs en concurrence. » (Photo : Bigpoint)

« D’ici une à deux années, il y aura moins d’acteurs en concurrence. » (Photo : Bigpoint)

Monsieur Hubertz, plus de 10 ans après la création de Bigpoint, vous êtes à la tête d’une entreprise internationale, avec plusieurs centaines de collaborateurs… Y pensiez-vous en créant votre premier jeu ?

« Non. La création de Bigpoint est plus le résultat d’une coïncidence que d’un succès planifié dès le départ. Avec un ami, nous avions eu envie de développer un jeu de football, pour nous amuser ensemble. On s’est dit : ‘pourquoi pas ? ’ Et nous l’avons fait, sans penser en faire un produit. Au bout d’un moment, jouer à deux n’était plus si intéressant que cela, et nous avons invité des amis à nous rejoindre… Tout d’un coup, les choses se sont mises en mouvement, d’une manière très virale. En très peu de temps, nous nous sommes trouvés à plusieurs milliers de joueurs. Le problème, c’est que la charge était trop importante pour notre serveur, qui du coup ‘crashait’ en permanence. Nous n’avions cependant pas envie de dépenser beaucoup d’argent pour acheter un serveur dédié. On s’est demandé ce que nous pouvions faire… La réponse était simple : trouver des sources de revenus pour améliorer les infrastructures. Avoir de la publicité n’était pas une option viable, vu le peu d’utilisateurs. Demander un abonnement à cinq euros par mois n’était pas réaliste non plus, c’est pourquoi nous avons choisi des options permettant aux utilisateurs de payer pour avoir un meilleur joueur, un meilleur entraîneur… Les personnes inscrites au système ont adhéré à cette solution, et se sont mises à dépenser de l’argent, donc à financer notre développement. C’est ainsi que tout s’est mis en mouvement.

Quels ont été, pour vous, les grands moments dans l’évolution de la société ? Y en a-t-il certains plus mémorables que d’autres ?

« Il y a quelques décisions qui ont été importantes à prendre. Par exemple lorsque nous avons décidé de sortir de l’univers des sports pour proposer des jeux d’aventure ou d’action. Ensuite, il y a eu la décision de dépasser les frontières allemandes. Pendant les cinq premières années, nous ne pouvions nous adresser qu’au public germanophone. Aujourd’hui, nous avons intégré de nombreuses langues supplémentaires, comme le français, l’anglais, l’espagnol ou le portugais… Mais également des langues moins répandues, comme le suédois ou le turc. Cela nous a permis d’arriver dans des marchés sur lesquels il n’y avait pas encore d’acteurs installés, donc sans véritable concurrence, ce qui nous a permis d’avoir une croissance rapide. Depuis,
le marché a changé. On a besoin de capitaux-risqueurs, les utilisateurs sont plus exigeants en matière de qualité ou de rapidité des serveurs, on recherche de l’exclusivité dans les services offerts. Pour revenir à votre question, l’ouverture de bureaux dans les pays que nous adressions a été une autre grande étape. En ayant du monde à Paris ou à São Paulo, on est capable de travailler sur une meilleure localisation de nos messages, de notre marketing et donc, d’être plus efficace.

Et le Luxembourg, dans tout ça ? Pourquoi y avoir ouvert une filiale ?

« Lorsqu’une entreprise comme la nôtre se développe, elle a besoin de fortes compétences, et pas uniquement dans le domaine technique. Il faut gérer les paiements, la trésorerie, les ventes… Il faut des talents, non seulement en interne, mais chez nos partenaires. Nous sommes internationaux, il faut donc également avoir des interlocuteurs capables de nous comprendre et de nous suivre. De manière générale, l’optimisation de tous nos processus est un facteur clé de succès. Nous avons trouvé tout cela au Luxembourg. Le réflexe naturel, lorsque l’on est à Hambourg, comme nous le sommes, est d’aller vers Berlin ou vers Francfort. Mais nous nous sommes dit qu’il fallait penser au-delà des frontières… Et le Luxembourg s’est, d’une certaine manière, facilement imposé.

La concurrence est forte sur le marché du jeu en ligne… Comment se différencier ?

« Il y aura très certainement une forte consolidation du marché dans les mois à venir. En 10 ans, on a vu arriver les investisseurs privés et les capitaux-risqueurs, comme je l’ai déjà dit. La conséquence, c’est qu’aujourd’hui, il y a trop de jeux, trop d’acteurs, et tous ne sont pas forcément à niveau. Il va y avoir dans l’industrie des acquisitions et des mouvements de consolidation assez rapidement… Cela a d’ailleurs déjà commencé. En attendant, il y a de nombreuses manières de se différencier, que ce soit grâce à la créativité ou à l’utilisation de licences pour certains jeux. Mais encore une fois, on ne passera pas à côté d’une optimisation des coûts, comme sur n’importe quel marché… D’ici une à deux années, il y aura moins d’acteurs en concurrence, et les compagnies qui auront survécu à cette période en ressortiront plus fortes. Et puis, il ne faut pas non plus désespérer, la croissance du marché des jeux en ligne est encore à deux chiffres !

Le fait d’être européen sur un marché dominé par des entreprises issues de la Silicon Valley est-il un avantage ou une faiblesse ?

« Tout dépend de votre stratégie, de votre vision. Si l’on veut être un leader global, c’est difficile. Lorsqu’une entreprise est américaine ou chinoise, elle a directement un marché domestique d’une taille énorme, chose que l’on n’a pas en Europe, avec la multiplicité des langues et des réglementations. Cela aide à grandir plus vite.

Bigpoint est plutôt discret dans le domaine des jeux en ligne… Pourtant, tout le monde semble désigner les terminaux mobiles comme la « nouvelle frontière » du jeu en ligne…

« C’est une question de chiffres… Pour le moment, le jeu sur terminal mobile est encore un petit marché. Prenons l’exemple allemand. Si l’on regarde les prévisions, on parie sur un marché, fin 2017, à 60 millions d’euros de revenus. Donc, même si l’on a une part de marché de 50 %, on ne pourra faire que 30 millions de chiffre d’affaires. Ce qui est largement inférieur au volume d’activité pour n’importe quel jeu de Bigpoint aujourd’hui. C’est une question d’équilibre dans les investissements. Un jour, le marché du jeu mobile sera important, et ce jour-là, nous l’investirons massivement, que ce soit avec nos équipes ou avec des rachats d’entreprises existantes. En attendant, nous sommes présents, mais avec des partenaires et des fournisseurs extérieurs.

Les entreprises du jeu en ligne se sont souvent construites autour d’un fondateur ou sont encore très « personnalisées » … Cela va-t-il changer ?

« Nous allons tous évoluer, peut-être pour ressembler à des entreprises plus classiques. Nous avons différentes compétences en interne, et au fur et à mesure de notre croissance, nous devrons adopter de nouveaux modèles d’organisation. Il s’agira d’accueillir de nouvelles personnes, progressivement. Je pense qu’il faut bien entendu que les fondateurs restent à bord, ils ont toujours une connaissance et un savoir d’un intérêt incomparable pour l’entreprise. Mais il y aura évidemment des évolutions…

Sur le plan technologique, comment vont bouger les choses ? Entre HTML5 et Flash, certains prévoient une guerre…

« Je pense que la plupart du temps, les utilisateurs s’intéressent peu à ces questions. Ce qu’ils veulent, c’est jouer sur les terminaux qu’ils utilisent… Ils veulent de la qualité, ils veulent s’amuser, ils ne veulent pas forcément savoir comment les choses fonctionnent sur le plan technique, ce n’est pas leur affaire. Donc, concrètement, le HTML5 plutôt que Flash ? Oui, s’il y a un avantage. Non, s’il n’y en a pas. S’il n’y en a pas, c’est à l’entreprise de faire ses choix, quitte à redévelopper ses titres pour chaque plate-forme, chaque terminal qu’il veut adresser. »  

 

paperJam Business Club - Luxembourg-gaming.com
Après le succès de l’Online Gaming Forum de l’année dernière, Lu-Cix annonce la deuxième édition de l’événement. Il se tiendra à LuxExpo, le 14 novembre. Il réunira une cinquantaine d’acteurs du secteur, et sera l’événement incontournable pour qui est intéressé par le domaine, allant des entreprises de jeux aux prestataires de service cloud, en passant par les fournisseurs d’accès, les sociétés de paiement en ligne ou les fournisseurs de matériel pour les centres de données, et d’autres encore.

Mercredi 14 novembre à LuxExpo, Luxembourg-Kirchberg.
Plus d’informations sur www.club.paperjam.lu