Venetia Lean, fille de David Rowland, et Jean-François Willems, respectivement COO et CEO de Banque Havilland.  (Photo : Luc Deflorenne)

Venetia Lean, fille de David Rowland, et Jean-François Willems, respectivement COO et CEO de Banque Havilland.  (Photo : Luc Deflorenne)

Banque Havilland pourrait représenter un modèle d’établissement financier débarrassé des artefacts qui ont mené certains de ses pairs droit dans le mur en 2008. Elle est née, en juillet 2009, des cendres de la filiale luxembourgeoise de la principale banque islandaise, Kaupthing.

Cette dernière, comme ses consœurs de la terre de glace, avait prêté et emprunté à long terme inconsidérément, de sorte qu’elle n’a pas possédé assez de liquidités pour se refinancer lorsque les créditeurs se sont présentés au guichet.

Elle s’est donc retrouvée en sursis de paiement, antichambre de la liquidation judiciaire au Grand-Duché selon la loi luxembourgeoise sur le secteur financier de 1993.

Mais elle s’est aussi et surtout retrouvée sur la route de David Rowland, magnat britannique de l’immobilier. L’intéressé cherchait justement à acheter une banque. S’il visait plutôt la Suisse pour perpétrer ce qui était perçu alors comme un coup de folie, l’installation dans ladite confédération prenait trop de temps à son goût… et l’occasion s’est présentée à Luxembourg. « Cela nous a semblé une superbe opportunité », témoigne Venetia Lean, fille ainée de l’entrepreneur anglais.

La structure en place était déjà opérationnelle et bénéficiait de ressources humaines. « Kaupthing n’était pas autant en détresse que les autres banques islandaises. Il s’agissait d’une base solide sur laquelle nous pouvions nous implanter », ajoute celle qui est aujourd’hui chief operating officer de Havilland.

Franz Fayot, l’un des deux administrateurs judiciaires ayant géré la société durant son sursis de paiement, entre octobre 2008 et juillet 2009, partage cet avis. « Tous les ratios étaient assez excédentaires au moment de l’acquisition. » Mais la manœuvre demandait du travail et certaines concessions de la part des créanciers.

Deux entités ont été créées suite à la scission de la banque islandaise. Pour schématiser, une bonne banque et une autre servant en quelque sorte de poubelle. Banque Havilland a hérité des opérations de banque privée de Kaupthing. Le portefeuille de crédits créé par la banque islandaise dans les derniers mois de son existence afin de se refinancer n’a pas été repris par les Britanniques. Il est parti, avec d’autres actifs, dans la bad bank, un véhicule de titrisation conduit par Havilland dans lequel le Luxembourg, la Belgique, l’association pour la garantie des dépôts, Luxembourg (AGDL) et un consortium de 25 banques se sont partagé les titres de dette émis par Kaupthing, ainsi que leurs dividendes.

Venetia Lean souligne d’ailleurs que « l’État a soutenu l’acquisition ». Après avoir repoussé l’offre d’un fonds souverain libyen, puis celle de J.C. Flowers, les administrateurs ont adoubé l’offre de la famille Rowland pour recapitaliser la banque à hauteur de 50 millions d’euros. Il s’agissait de protéger les quelques milliers (environ 20.000) de déposants belges qui, dans les derniers mois de l’existence de Kaupthing Luxembourg, s’étaient rués sur les taux intéressants proposés par la banque. En guise de baroud d’honneur, elle avait tenté de se refinancer par des dépôts attractifs via une souscription en ligne…

Ménager les affects

Les créanciers restructurés ont également dû accepter un haircut sur les dettes de la banque. L’alternative était la liquidation, plus aléatoire pour eux. In fine, sur les 2,5 milliards d’euros d’actifs de la banque islandaise, 1,2 ont été repris par Havilland, 1,3 sont partis dans la société de titrisation.

Depuis, on n’a parlé de Banque Havilland que lors des visites des autorités des marchés, dans le cadre de leur enquête sur la faillite de Kaupthing. La direction de la banque britannique a éga­lement dû procéder à un écrémage au niveau du staff. « Nous avons souhaité être discrets et ce par­ticulièrement en raison des perturbations qui secouaient l’Islande à l’époque. » Il fallait gérer les affects, les coûts et réduire la voilure pour stabiliser la banque. 
Sur les 145 salariés présents en juin 2009, il n’en restait que 105 à la fin de la même année, 74 au 31 décembre 2010 et une cinquantaine aujourd’hui. Parmi eux, huit ont été recrutés après l’acquisition.

L’aînée des huit descendants de David Rowland rappelle un certain devoir de prudence. « Nous ne nous précipitons pas et souhaitons avant tout nous engager sur le long terme. Mon père voit cette nouvelle aventure comme un héritage qui doit perdurer sur plusieurs générations. » Les États et les créanciers ont également engagé argent et crédibilité. Il n’aurait pu en être autrement. La ligne de conduite, en bon père de famille, avait été définie dès les premiers contacts.

En effet, Havilland s’apparente à un family office avec une licence de banque.

Jean-François Willems, ancien responsable de l’activité corporate and investment banking de Kaupthing Luxembourg et dorénavant CEO de Banque Havilland détaille : « Nous adoptons un profil de risque très bas. Notre bilan est sain et nos investissements sont simples. » Pour mieux légitimer la stratégie, il fait référence aux premières années de la crise des subprimes, durant lesquelles marchés et institutions financières s’écroulaient. « Les individus fortunés qui avaient des sommes d’argent importantes placées dans les banques devaient pouvoir retrouver calme et sérénité. » David Rowland et ses riches connaissances partageaient les mêmes inquiétudes. Voilà ce qui a poussé l’entrepreneur à créer sa propre banque.

En nommant sa famille au conseil d’administration, il sait exactement où est investi son argent. Il balaie du même coup d’un revers de la main la sempiternelle problématique du rapport de gouvernance entre l’actionnaire et les parties prenantes. L’idée sous-jacente est simplissime : si la famille fait de l’argent, le client devrait pouvoir en faire aussi.

Jean-François Willems résume : « Nos clients sont des individus très fortunés. Notre actionnaire partage le même statut. Il sait ce que les clients attendent d’une banque. » Et si ces derniers sont encore principalement originaires des pays nordiques, du fait du passé islandais de l’établissement financier, d’autres sont arrivés avec les Rowland, en provenance du Royaume-Uni, du Moyen-Orient, de Russie et d’Asie, où la famille britannique jouit d’un réseau étoffé.

Banque Havilland avance aujourd’hui sur de bons rails. Ses deux premières années ont été profitables en termes de valeurs. La société annonce un profit de 8 millions d’euros en 2009 et de 10 mil­lions en 2010. La direction est également fière des ratios de liquidité et de solvabilité, qu’elle qualifie « d’exemplaires ».

Sur de bons rails

M. Willems analyse. « Nous avons respecté les temps de passage et les objectifs que nous nous étions initialement fixés, à certains égards nous les avons surpassés. La route était chaotique, mais nous y sommes parvenus. »

Le business model est dorénavant focalisé sur les individus très fortunés qui désirent passer par l’Europe pour structurer leur patrimoine. La récente acquisition de la filiale banque privée de Dexia à Monaco en apporte la preuve.

La stratégie de communication est donc en marche. Venetia Lean veut faire connaître la marque Havilland. « Les gens ne doivent plus seulement faire confiance à la famille Rowland. La même confiance doit être accordée à la banque, » dit-elle.

Elle nous apprend aussi que les clients peuvent monter des projets avec le milliardaire britannique, via sa société Blackfish Capital Management notamment. Le réseau d’affaires constitué par le portefeuille clients de Havilland constitue un considérable levier pour lever des fonds. D’autant que la banque organise des événements afin de favoriser les rencontres.

De cette manière, tout ce qui profite aux clients profite à l’entrepreneur, et inversement. Banque Havilland ressemble ainsi terriblement aux banques d’un autre temps.