La page ouverte par Déi Lénk compte une centaine de bâtiments apparemment abandonnés ou de terrains dont les propriétaires sont soupçonnés de vouloir faire grimper les prix. (Capture d’écran de wunnen.déi-lénk.lu)

La page ouverte par Déi Lénk compte une centaine de bâtiments apparemment abandonnés ou de terrains dont les propriétaires sont soupçonnés de vouloir faire grimper les prix. (Capture d’écran de wunnen.déi-lénk.lu)

Une carte du Grand-Duché, des points bleus, rouges et jaunes, un slogan percutant – «Hei ass nach Plaz» (Il y a encore de la place ici): le parti Déi Lénk jette un pavé dans la mare avec sa page internet wunnen.déi-lénk.lu. «Chacun(e) est appelé(e) à nous envoyer des exemples de logements qui sont vides depuis un bon moment et de terrains servant à la spéculation, ainsi que des exemples de prix immobiliers exorbitants et de logements de luxe», explique ladite page, qui appelle «les communes et le gouvernement à enfin prendre leurs responsabilités».

On se rappelle qu’à l’été 2014, le site allemand leerstandsmelder.de avait publié une carte similaire pour le Grand-Duché, pointant et détaillant une soixantaine de logements vacants. Une initiative qui ne dura que quelques jours, un échange avec la ministre du Logement de l’époque – Maggy Nagel – ayant convaincu le collectif citoyen à l’origine de cette carte de son caractère contre-productif.

«C’est une belle blague, mais en pratique ça ne peut pas fonctionner», réagit aujourd’hui Marc Lies, député-bourgmestre CSV d’Hesperange, devant la page de Déi Lénk. «D’où proviennent toutes ces données? Car déjà dans ma commune de 15.000 habitants, nous avons du mal à détecter les logements qui ne sont pas habités.» De son côté, le député LSAP Yves Cruchten y voit, derrière une idée «à première vue sympathique, un appel à dénoncer d’autres citoyens». Sans oublier la protection de la vie privée alors que la caméra de Google Street View avait été mal accueillie dans le pays il y a quelques années. «J’ai eu un appel d’une personne furieuse, car la maison dans laquelle elle fait des travaux est signalée sur le site et quelqu’un est venu la cambrioler.» Pour l’ADR, c’est «le retour de la DDR» (l’Allemagne de l’Est).

«La situation privée des propriétaires est souvent beaucoup plus complexe que ces affirmations grossières», rappelle aussi Marc Ruppert, secrétaire général du DP. Ce peut être une personne âgée partie vivre en maison de retraite, mais qui espère toujours retourner chez elle. Ou le logement peut être habité malgré son apparence décatie.

Il n’en reste pas moins que les communes et l’État peinent effectivement à ramener les biens non exploités sur le marché. Il y aurait ainsi 10.000 à 20.000 logements vides dans le pays. Déi Lénk préconise de frapper au porte-monnaie avec une taxation doublée chaque année pour les logements sortis du marché locatif comme pour les terrains en friche, sous peine d’expropriation.

Des propriétaires à convaincre

L’ADR s’en tient à la loi de l’offre et de la demande. «S’il y a assez de logements, les loyers et les prix de vente vont revenir à des niveaux raisonnables.» Et à Luxembourg, «il y a un phénomène de passage car 10% de la population se renouvelle chaque année», les nouveaux arrivants quittant la capitale au bout d’un an au vu des loyers exorbitants. L’ADR appelle enfin à une réduction drastique de la durée des procédures de construction.

Le DP juge aussi qu’il faut lever certains obstacles, comme des études environnementales trop contraignantes. Pour le reste, certaines recettes ont fait leurs preuves, comme le programme «Baulücken», qui a identifié 995 hectares de terrains à viabiliser. «Or ces emplacements sont pour 82% en main privée», souligne Marc Ruppert. Une initiative similaire dans le Land de Bade-Wurtemberg avait permis de rendre 20% des terrains à la construction, après discussions entre les autorités et les propriétaires.

«Il faut sensibiliser les propriétaires pour qu’ils remettent leur bien sur le marché, renchérit Yves Cruchten. Dans une deuxième phase, il faudra réfléchir à des taxes communales» - comme celles déjà en vigueur à Esch-sur-Alzette et Diekirch. De son côté, le CSV ne soutient pas la taxation des propriétaires, pointant une insécurité juridique – il préférerait des incitatifs fiscaux. «Il vaut mieux accélérer le retour des logements sur le marché, estime Marc Lies. Il faut donner plus de moyens financiers à l’agence immobilière sociale qui garantit aux propriétaires que le logement soit loué et rendu dans un état propre et convenable.»

C’est dans cette même optique que les communes de Differdange, Käerjeng, Pétange et Sanem ont créé une agence immobilière sociale commune en 2014. «En huit mois, elle a trouvé 40 appartements ou maisons vides» qui sont maintenant habités, se réjouit Roberto Traversini, député-bourgmestre Déi Gréng de Differdange. «Beaucoup de propriétaires avaient eu de mauvaises expériences. Nous les appelons personnellement ou leur envoyons une lettre et ça marche.» La coopération semble donc la bonne voie pour libérer des terrains ou des habitations inexploités. Mais ce ne peut être qu’une des clés pour régler durablement la crise du logement au Grand-Duché.