Madame Hamilius, quand et pourquoi avez-vous été désignée liquidateur de Landsbanki Luxembourg ?
« La liquidation judiciaire est intervenue à la suite d’une décision du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Celui-ci m’a désignée comme liquidateur le 12 décembre 2008.
Landsbanki Luxembourg ne pouvait-elle plus faire face à ses engagements ?
« Landsbanki Luxembourg est une filiale indirecte de Landsbanki Islande. C’est Landsbanki Islande qui ne pouvait plus faire face à ses engagements. Landsbanki Luxembourg a donc demandé une mise sous sursis de paiement ou gestion contrôlée en saisissant le Tribunal luxembourgeois le 8 octobre 2008. Dans ce cas, une société commerciale ou un établissement bancaire doit faire examiner par des commissaires désignés par le tribunal si sa survie est possible ou s’il faut aller en faillite ou en liquidation judiciaire.
Que s’est-il passé entre le mois de décembre 2008 et ces perquisitions ?
« Les liquidateurs, c’est-à-dire M. Franz Prost de Deloitte et moi-même avons procédé à l’activité de liquidation. Je suis seule liquidateur depuis la démission de Franz Prost en mai 2009. Il y a deux volets dans la liquidation. D’abord, vous récupérez les actifs, c’est-à-dire de l’argent. Le corollaire est de savoir à qui il faut distribuer les actifs. Pour Landsbanki, il y a eu près de 2.000 déclarations de créances. Ensuite, il y a distribution de dividendes. En l’espèce, j’ai payé un dividende de 100 % à tous les créanciers privilégiés (notamment les salariés) et à tous les créanciers déposants et fournisseurs.
Pourquoi ces perquisitions du 17 avril ont-elles été réalisées?
« Je ne sais pas. Je dois vous rappeler que la perquisition n’a rien à voir avec mon activité de liquidation. La perquisition est une affaire islandaise, pas luxembourgeoise. Il s’agit de l’exécution au Luxembourg d’une commission rogatoire islandaise. Les prétendus malfaiteurs ont été désignés par les autorités islandaises, pas luxembourgeoises. Il ne faut pas confondre une perquisition et une mise en examen. La personne perquisitionnée est généralement détentrice de documents, qui peuvent être utiles à la découverte d’informations.
Vous essayez actuellement de recouvrer des créances auprès de personnes débitrices, parmi lesquelles figurent des propriétaires d’une maison dans le sud de la France qui ont contracté des emprunts hypothécaires.
« Encore une fois, je vous rappelle que tous les déposants de Landsbanki ont pu récupérer leurs fonds. C’est exceptionnel. Il reste deux créanciers qui ne sont pas fortement payés, c’est la Banque centrale du Luxembourg, dont une partie de la créance a déjà été remboursée, et Landsbanki Islande. La créance actuelle de la Banque centrale doit avoisiner les 250 millions d’euros, celle de Landsbanki Islande quelque 800 millions d’euros.
Qu’en est-il des personnes débitrices, comme le chanteur Enrico Macias, qui ont hypothéqué leur maison ?
« Environ 400 personnes physiques ou morales ont contracté des emprunts chez Landsbanki avant la liquidation, sous forme d’’equity release loans’. Chacun de ces prêts était garanti par l’inscription d’une hypothèque sur un bien immeuble de ces emprunteurs. Aujourd’hui ce sont des débiteurs de Landsbanki. Landsbanki ne leur doit rien.
Pour quelles raisons, les victimes sont-elles en France et en Espagne ?
« Landsbanki Luxembourg disposait d’établissements en Espagne et en France. Le produit a également été vendu par des conseillers financiers qui ont mis leurs clients en relation avec Landsbanki.
Oui, mais les prêts consentis ont donné lieu à des créances beaucoup plus importantes…
« Il faut tenir compte des intérêts débiteurs, qui ne sont pas remboursés et qui s’ajoutent au principal. Par ailleurs, les prêts ont été consentis en deux parts. Une partie a été remise à l’emprunteur pour son usage personnel, l’autre a été investie dans un portefeuille titres ou, au choix du client, dans une police d’assurances, ou un compte à terme. Or, les portefeuilles titres ont été particulièrement affectés par la crise de 2008, qui a conduit à l’effondrement des banques islandaises, Glitnir, Landsbanki et Kaupthing. Résultat : les actions et les obligations de ces établissements ont été fortement dévalorisées.
Ce n’est pas la liquidation qui a rendu les prêts exigibles. Mais si l’établissement bancaire a un prêt non remboursé et que les garanties ne sont plus suffisantes, le contrat de prêt est dénoncé et l’emprunteur doit rembourser. C’est la situation dans laquelle se trouvent un certain nombre de débiteurs en France et en Espagne.
Les avocats de Enrico Macias disent par exemple qu’il a emprunté 8 millions d’euros et qu’il en doit 43 aujourd’hui…
« C’est une fausse information. Monsieur Gaston Ghrenassia (Enrico Macias est son nom d’artiste,ndlr) a eu un prêt bien supérieur à 8 millions d’euros (la somme de 35 millions d’euros est évoquée, ndlr.). Un tel prêt ne pourrait engendrer un passif de 43 millions d’euros.
Malgré tout, pourquoi un tel écart ?
« Ce sont les intérêt débiteurs.
Les portefeuilles titres dont vous parlez étaient-ils constitués des actions de Landsbanki elle-même ?
« Non. Cela a été répandu partout, mais c’est faux. L’argent a été utilisé pour acheter des obligations à court terme de Landsbanki et des autres banques islandaises, pas des actions.
Tout l’argent était-il investi de cette façon ?
« Non. Seulement 3 à 4 % de l’argent était investi de cette manière. Le reste était placé dans des actions ou des obligations d’autres sociétés. Cela dit, certaines personnes avaient choisi d’investir une grande partie de leur prêt dans des obligations de banques islandaises. Ceux-là ont en effet subi une perte importante.
On peut supposer que Enrico Macias avait beaucoup investi dans les obligations islandaises…
« Le liquidateur est lié au secret bancaire. M. Macias en a déjà beaucoup parlé dans les médias français.
Comme les maisons ont été hypothéquées, votre mission consiste-t-elle maintenant à les vendre ?
« La vente de la maison intervient en tout dernier lieu, si le débiteur n’est vraiment pas en mesure de rembourser Landsbanki. Dès les premiers mois de la mise en liquidation, nous avons commencé à transiger avec ce genre de débiteurs. Une bonne partie d’entre eux ont remboursé ce qu’ils devaient. Nous avons assez vite proposé de rembourser 80 % de leurs dus. Cette proposition de remise n’a pas été faite à la tête du client. Elle a été homologuée par le Tribunal de Commerce.
Nous continuons aujourd’hui à transiger. À l’heure actuelle, nous adoptons d’autres modes de calculs, qui aboutissent à des taux inférieurs à 80 %. En fait, nous demandons à nos débiteurs de nous rembourser la partie du prêt à usage personnel, auxquels s’ajoutent les intérêts. Landsbanki, en liquidation, prend à sa charge la partie du prêt qui a été utilisée à des fins d’investissement. Toute cette partie du prêt est oubliée.
Ceux que vous appelez débiteurs s’estiment victimes d’une fraude. Ils estiment que la banque était déjà en difficulté quand on leur a proposé ces montages, qu’on n'aurait jamais dû leur vendre…
« Les procédures d’exécutions en cours en France ne sont possibles que s’il y a des jugements définitifs français autorisant la liquidation, de faire exécuter des saisies et des ventes. À ce jour, aucun jugement n’a estimé que Landsbanki a commis une escroquerie, un abus de confiance, une tromperie, à l’égard de ces personnes. Tous les jugements mentionnent que les gens étaient avertis.
De quels jugements et de quelles juridictions parlez-vous ?
« Je ne peux pas vous dire de mémoire. Mais certains de ces jugements ont déjà été confirmés en appel, comme à Aix-en-Provence. Il y a des procès à Paris, à Versailles, Douai, Grasse, un peu partout.
Des immeubles ont-ils déjà été saisis ?
« Des procédures de saisie-exécution ont commencé, mais aucun immeuble n’a encore été vendu.
Les plaignants font aussi valoir que la place de Luxembourg ne s’honore pas dans ces pratiques, qu’il y a eu des défaillances réglementaires…
« Je ne pense pas que la mise en liquidation de Landsbanki soit à mettre en relation avec un défaut de surveillance de la CSSF (Commission de Surveillance du Secteur Financier). Je vous rappelle par ailleurs que les déposants et fournisseurs de Landsbanki n’ont rien perdu. Par ailleurs, les prêts dont on parle n’ont pas été inventés par Landsbanki. D’autres banques de la Place les ont pratiqués. Ils sont également pratiqués par d’autres banques françaises. Ce n’est pas typiquement islandais ou luxembourgeois.
Vous parlez de la CSSF, mais la Banque centrale n’avait-elle pas le devoir de mieux contrôler cet établissement ?
« Non.
Comment se fait-il que la Banque centrale du Luxembourg soit créancière de 250 millions d’euros ?
« La banque fait des prêts aux banques établies à Luxembourg. Elle a octroyé un prêt à Landsbanki.
Ce prêt n’était-il pas garanti par du collatéral ?
« Si. Ce sont des portefeuilles titres qui ont été donnés en gage à la Banque centrale.
Quels titres ?
« Toutes sortes de titres. En tout cas, pas de titres de Landsbanki.
Au final, les maisons doivent être vendues pour rembourser la Banque centrale du Luxembourg…
« C’est simplificateur. Le liquidateur ou le curateur doit récupérer les actifs pour rembourser ses créanciers.
Quelle était la durée des prêts consentis ?
« Les durées étaient variables, 10 ou 20 ans. Mais si les débiteurs remboursent leurs intérêts, les prêts courent toujours, car le liquidateur n’a pas le droit à y mettre fin. Un prêt est dénoncé parce que le débiteur n’exécute pas ses obligations contractuelles.
Les victimes de Landsbanki vous accusent de les traiter comme des débiteurs alors qu’ils s’estiment créanciers…
« Si un débiteur fait valoir, lors de la liquidation, qu’il a été victime d’agissements incorrects par Landsbanki, il demande des dommages et intérêts. Certains demandent des montants de dommages et intérêts équivalant au montant de leur prêt. Mais, certaines de ces personnes ne veulent pas comprendre qu’ils ne sont pas créanciers. Landsbanki ne leur doit rien. À ce jour, après trois ans et demi de procédures judiciaires, des jugements sont en cours, mais il n’y a eu encore aucun jugement définitif, allouant des dommages et intérêts à des emprunteurs.
On vous reproche aussi d’agir uniquement dans l’intérêt de la Place de Luxembourg, au détriment de gens qui ont perdu parfois toutes leurs économies…
« Le liquidateur n’agit pas dans l’intérêt de la place financière. Le liquidateur n’a pas à plaire à la CSSF, à la Banque centrale ou au ministre. Le liquidateur est indépendant et placé sous le contrôle du tribunal. Et nous avons au Luxembourg une séparation des pouvoirs. Je dépends du pouvoir judiciaire. Je ne veux pas plaire à la place financière.
Êtes-vous néanmoins sensible aux intérêts de la place financière ?
« Je suis sensible au fait que la liquidation de Landsbanki a permis un remboursement de 100 % à tous les créanciers, excepté la Banque centrale et Landsbanki Islande pour qui le remboursement est en cours. Ils se sont subordonnés. Cela mettra donc plus de temps. Cela démontre qu’un établissement bancaire qui fait faillite au Luxembourg rembourse ses créanciers. Ma relation avec la place financière s’arrête là.
Avez-vous déjà conduit d’autres liquidations de banques au Luxembourg ?
« Oui. Notamment la BCCI (Bank of Credit and Commerce International) qui a été mise en liquidation judiciaire en 1992. J’en étais le liquidateur de 2003 à fin 2011, lorsque j’ai démissionné parce que la liquidation touchait à sa fin et parce que j’avais trop de travail. Pour BCCI, un dividende de 86,5 % a déjà été payé. La liquidation concernait 65 pays. Ce fut également une réussite pour la place financière. Beaucoup de fonds d’investissements sont également en liquidation, que ce soit volontaire ou judiciaire. C’est le cas depuis 2005 des fonds Amis et Top Ten. Toutes ces affaires sont toujours compliquées, car il y a beaucoup de déclarations de créances. Pour BCCI, il y en avait eu 150.000 ou 200.000. Ce ne sont pas des jobs qu’on fait en un an. En plus, dans ce genre de liquidations importantes, des comités de créanciers sont désignés pour surveiller les opérations de liquidation.
Avez-vous reçu des menaces dans le cadre de la liquidation de Landsbanki ?
« J’ai déjà eu des menaces de mort. Mais pas pour Landsbanki. C’est arrivé dans le cadre de la liquidation des fonds d’investissement. Mon coliquidateur et moi avions déposé plainte. Pour Landsbanki, j’ai reçu des menaces par mail. Mais cela relevait plus du harcèlement. Je recevais 30 mails par jour. Là-aussi j’ai déposé une plainte pénale contre cette personne. »