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Le marché de l'habillement a vécu d'importantes mutations ces dernières années. L'arrivée de succursales et autres filiales représente à la fois un danger, mais aussi une chance pour le commerce indépendant.

Le secteur du prêt-à-porter est devenu, ces dernières années, très concurrencé tant en dehors qu'à l'intérieur de nos frontières. Il a connu d'importantes évolutions liées notamment à des effets de mode, au développement de succursales, de franchises, d'enseignes internationales, de grandes surfaces spécialisées, de rayons textiles dans les hypermarchés, de magasins d'usine ou encore dues à l'évolution de la logistique.

"Les succursalistes qui appartiennent à un groupe comme Zara et H&M ont eu une influence sur le secteur, tout comme les franchises", assure Norbert Friob, chef d'entreprise, autodidacte, auteur de l'ouvrage Parlons commerce (2002), ancien président de la CLC et ancien vice-président de la Chambre de Commerce. Il estime que le généraliste n'a plus sa place - il écrivait dans un article, publié en avril 2004 dans Merkur, que Monopol serait amené à se repositionner pour s"adapter aux évolutions en cours, l'enseigne n'en aura pas eu le temps - et que l'indépendant doit se spécialiser, choisir un créneau très ciblé.

Certains indépendants ont préféré opter pour la franchise, évoluant sous des enseignes telles que Max Mara, Morgan, Jennyfer, Marlboro Classics ou Benetton. C"est une des approches qui permettent de faire face aux grands groupes succursalistes. D"après M. Friob, il s"agit de la meilleure solution, car le franchisé qui reprend l'enseigne reste indépendant, et le concept et le magasin lui sont fournis par la marque. Certaines franchises sont toutefois très contraignantes, d'autres, beaucoup plus souples.

Mort du généraliste

Le métier comporte des risques, notamment celui de se tromper au niveau des choix, de la mode. "Il faut apprécier où se situe la clientèle, quelle est-elle. Cela est vrai dans tous les commerces", résume M. Friob. L'innovation comporte un risque, mais son absence peut mener au déclin, voire à la disparition. "Souvent, on copie ce qui marche. Il faut innover mais regarder ce qui se fait ailleurs. Il est plus difficile d'être commerçant aujourd'hui, car la concurrence est beaucoup plus grande qu'elle ne l'a jamais été. Aujourd'hui, même quand on offre quelque chose d'innovant et qui marche, cela ne dure que quelques années. De nouveaux concurrents vont encore apparaître, prédit-il. Les grandes enseignes se mondialisent. Il s"agit d'un phénomène nouveau, en cours, et qui va s"intensifier".

Les nouveaux acteurs entrés sur le marché avec force et moyens, que ce soit le suédois H&M ou l'espagnol Zara, connaissent des progressions qui atteignent 30% par an, selon M. Friob. Ils sont prêts à mettre le prix pour occuper les meilleurs emplacements. Ce qui fait, entre autres, leur succès, c'est de vendre des produits bon marché dans une boutique luxueuse et de démultiplier les collections. "Le groupe Inditex, propriétaire de Zara, a réussi à réduire les délais de la conception d'un modèle à sa mise sur le marché à quinze jours, alors que la moyenne du marché est de neuf mois", souligne M. Friob. Autant dire que pour Zara, qui ne dépense pas plus de 0,3% de son chiffre d'affaires dans la publicité, alors que ses concurrents y consacrent 3 à 4%, sa meilleure campagne est sa vitrine, renouvelée toutes les deux semaines.

Carine Smets, qui dirige, avec son mari, le groupe Smets, est d'avis que des succursales comme Zara ont également apporté au secteur, mais constate que les petites enseignes n'attirent plus. Pour ne pas disparaître, les commerçants locaux ont dû s"adapter au dynamisme de ces grands groupes. Selon Norbert Friob, au Royaume-Uni et en France, la distribution intégrée approche 80% du marché et ne laisse que 20% aux indépendants, un phénomène qui s"étend aux autres pays européens.

Bram est un cas à part, qui a adopté la politique des grands magasins, la formule d'un shop in shop, qui fonctionne depuis des années. "Il n'y avait pas de concept de grande surface au Luxembourg. Bram a adapté ses gammes aux besoins luxembourgeois. Le shop in shop offre des produits d'un certain niveau sans aller dans les produits de luxe. C"est une des raisons du succès", analyse M. Friob.

Complémentarité

Malgré la concurrence qui fait rage dans ce secteur, comme dans beaucoup d'autres, il y a encore de la place pour les indépendants. D"ailleurs, le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, veut faire du Luxembourg la capitale du commerce de la Grande Région. L'importance des boutiques haut de gamme représente un atout qui permettra de situer le Luxembourg en tant que leader de la Grande Région sur ce créneau. Les grands magasins ont contribué à éliminer une masse de petits magasins qui n'ont pas su réagir. Les autres arrivent à suivre et représentent une concurrence et une complémentarité à ces mastodontes.

"On ne peut pas freiner le mouvement d'aller au-delà des frontières, quitte à ce que les marques et les gammes se ressemblent de plus en plus. Aujourd'hui, le Luxembourg a tout. Nous avons le bon marché, il n'est plus nécessaire d'aller jusqu'à Trèves ou à Metz pour faire les boutiques. Jouons sur les atouts que nous avons, les produits de luxe, complétés par de grandes enseignes. Il nous faut les deux. Toutefois, des Galeries comme Lafayette ne trouveront pas leur place dans le pays, car elles ne sont pas adaptées aux petites villes", précise M. Friob.

Une autre concurrence intervient entre les centres commerciaux de la périphérie et les magasins du centre-ville, qui offrent les mêmes produits, les mêmes marques, les mêmes gammes. Toutefois, la complémentarité reste de mise et, selon les experts, les deux doivent pouvoir coexister afin de répondre à la demande du consommateur.

"L'atout du centre est d'offrir ce que la périphérie n'offre pas, mais le problème principal en ville, c'est qu'il manque une vraie locomotive. Le bourgmestre propose de démolir le centre Hamilius et d'en faire un centre commercial de haut niveau avec des parkings. En parallèle, on développe 20.000 m2 Place de l'Étoile, qui draineront la clientèle de la Grand Rue", s"inquiète Norbert Friob.

Ouvertures tardives

La problématique des heures d'ouverture des magasins revient régulièrement sur le tapis, certains voyant la fermeture à 18h comme la cause de la désertification de la ville. C"est à l'Union commerciale à s"attacher au problème et à trouver des solutions mais, en définitive, la décision reviendra aux commerçants. "On penche pour une ouverture le dimanche. La Confédération du commerce plaide pour une ouverture plus tardive. Le ministre a dit vouloir attendre ce qui se fera en Allemagne où l'on penche pour une ouverture 24h/24. Je suis favorable à une plus grande flexibilité, mais si on veut que cela marche, il faut une émulation', estime M. Friob.

"En tant que consommateur, je voudrais une ouverture des magasins jusque 19h. Nos magasins sont ouverts jusqu'à 18h30 et nous avons reculé l'heure d'ouverture à 10h. Le chiffre d'affaires entre 18h et 18h30 n'est pas parlant car nous sommes les seuls ouverts jusqu'à cette heure-là. En revanche, à Strassen, où nous ouvrons jusqu'à 19h, la grande partie du chiffre d'affaires se fait entre 18 et 19h, à tel point que nous pensons ouvrir jusque 20h", témoigne Carine Smets.

L'ouverture tardive a un coût pour les commerçants et sans généralisation, elle n'aura pas de succès. "Rester ouverts jusque 20h dans les centres commerciaux, c'est une catastrophe pour les boutiques comme les miennes. Il ne s"agit pas d'une concurrence aux magasins du centre-ville, car il n'y a pas d'achats entre 18h30 et 20h", se désole-t-elle.

Georges Geiben, gérant de Bram, est convaincu que l'on ne pourra pas faire autrement que de repousser l'heure de fermeture des magasins, jusqu'à 22h, prédit-il même, bien qu'il ne soit pas pour. Lui aussi constate que, après 19h, les ventes de textile sont au point mort.

De son côté, Sander Pillatsch, le patron de magasins Elly"s Jeans, se dit en faveur des heures d'ouverture jusque 19h, à condition que tout le monde joue le jeu. "Il y avait déjà eu une initiative de fermer plus tard les jeudis. Il faut prendre en compte le fait que beaucoup de frontaliers venant en transports en commun travaillent dans les boutiques de prêt-à-porter et que les heures d'ouverture tardives constituent un problème pour eux. Les grandes chaînes resteront ouvertes plus tard si elles le peuvent".

Quoiqu'il en soit, l'avenir du Luxembourg passera par la Grande Région. "Il y a une évolution qui se fait sur le terrain mais la plus grande problématique vient de la France, un pays très compartimenté où les pouvoirs locaux ne peuvent pas prendre de décision. Dans les têtes, la Grande Région représente davantage une réalité. Il y avait un potentiel mais on n'est pas prêt pour cela", constate M. Friob. Le secteur du prêt-à-porter devra conjuguer avec les filiales et autres enseignes internationales mais aussi avec les indépendants qui viennent, pour nombre d'entre eux d'au-delà des frontières apporter une dynamique, bien nécessaire, au secteur, comme c'est le cas du couple Smets (Smets A way-of-Life) ou de Fred Castera et Pascal Einhorn (Tara Jarmon, Show Room, Comptoirs des Cotonniers, Butterfly, Gérard Darrel, Loft).