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Avec un curriculum vitae long comme un solstice d'été, la vie de Gaston Thorn est loin de ressembler à un long fleuve tranquille. 

Et pourtant? "Je n'ai passé au fond que des années formidables" résume-t-il quand on lui pose la question si tentante - mais à la réponse tellement prévisible? - de savoir quelle aura été la période la plus marquante de sa vie.

Une vie qui aura, finalement, toujours été baignée par la politique. Même à ses premières heures étudiantes, lorsque, au lendemain d'une guerre pendant laquelle il passa plusieurs mois en camp de correction, il co-fonde l'Union Nationale des Etudiants du Luxembourg, qu'il préside en 1953. Un an plus tard, il s'internationalisera déjà en accédant à la présidence de la Conférence Mondiale des Etudiants.

Sa vie active commence au Barreau de Luxembourg, qu'il rejoint en 1955. "La profession d'avocat est passionnante. Je trouve que ça mène à tout, à condition d'en sortir. On y prend l'habitude de s'occuper des affaires des autres. Et, au fond, la politique, qu'est-ce que c'est d'autre'".

C'est donc en toute logique qu'il accède rapidement à la "vraie" politique, par la grande porte, celle de la Chambre des Députés, seul endroit qui vaille le coup, à ses yeux. Il y est élu comme conseiller communal en 1957 puis comme député du Parti Démocratique dès 1959, et y sera toujours réélu jusqu'en 1984.  ?

? Mais c'est sans doute dans l'ombre de Emile Hamilius, à la Mairie de Luxembourg, que Gaston Thorn touche du doigt la réalité du terrain. "Pourtant, pour moi, la politique, ça commençait forcément par la Chambre des Députés. Mais la commune? je ne voulais vraiment pas y aller, je ne me voyais pas m'occuper de problèmes de 'pissotières' comme on disait bêtement? Et pourtant, la vie municipale est vraiment passionnante, et mon prédécesseur me l'avait bien dit. Il m'a expliqué qu'il existe des centaines de députés qui ont été à la Chambre pendant vingt ans, sans qu'on sache qu'ils ont existé. Et on se demande alors ce qu'ils y ont fait. Il avait parfaitement raison. A l'Hôtel de Ville, c'est du concret".

?PLUS RIEN A REGRETTER?

Conseiller puis échevin entre 1961 et 1963, Gaston Thorn ne s'assiéra jamais sur le fauteuil du bourgmestre, ce qui pourrait rester comme son plus grand regret. "Mais je suis heureux de voir que mon ancien chef de cabinet en tant que premier ministre, Paul Helminger, soit maintenant Maire. Il a réalisé un peu mon dernier rêve, alors qu'on se demandait si les Libéraux seraient capables d'avoir un maire. Heureusement, on avait des femmes très capables et même très jolies, mais on commençait à douter qu'il puisse y avoir un homme capable de devenir maire. Mais ces dames se sont effacées volontairement et Helminger a pu faire un triomphe. Depuis ce jour-là, je n'ai plus rien à regretter".

Les occupations s'accumulent alors. Au Luxembourg, il devient président du parti Démocratique Luxembourgeois dès 1961 et gardera son siège jusqu'en 1980. De chef de l'opposition, il entre au gouvernement de coalition chrétien-social/démocrate, après les élections de décembre 1968, où il sera ministre des Affaires étrangères et ministre de la Fonction publique, de l'Education Physique et des Sports.

Les élections de 1974, qui marquent l'entrée des socialistes dans la coalition gouvernementale, le propulsent au poste de premier ministre, ministre des Affaires étrangères et, à partir de 1977, ministre de l'Economie nationale et des classes moyennes, suite à la démission de Marcel Mart.

Au retour au pouvoir des Chrétiens-sociaux et de Pierre Werner en 1979, il cumulera la vice-présidence du gouvernement et les ministères des Affaires Etrangères; du Commerce Extérieur et de la Coopération; de l'Economie Nationale et des Classes Moyennes; et de la Justice.

Mais cette carrière politique "nationale" prend fin en novembre 1980, avec sa nomination à la Présidence de la Commission des Communautés européennes, qu'il occupera jusqu'en 1985. Ce sera le sommet d'une carrière internationale qui l'aura vu, précédemment, siéger au Parlement européen pendant dix ans (entre 1959 et 1969), période pendant laquelle il présidera, entre autres, la Commission des Pays en voie de développement ("C'était passionnant!").

On le retrouve aussi président (entre 1975 et 1976) de la 30è session ordinaire de l'Assemblée Générale de l'ONU ("Magnifique!"), où il prend la succession d'Abdelaziz Bouteflicka, qu'il avait connu dirigeant des étudiants algériens pendant les années noires de la guerre d'Algérie; président de la Fédération des Libéraux et Démocrates européens (entre 1976 et 1980) qu'il a lui même fondée; mais aussi, à quatre reprises, au cours de ses années de gouvernement, à la tête des Conseils des ministres de la Communauté européenne, de l'UEO du Conseil de l'Europe et, à titre honorifique, de l'OTAN.

Son retour à la vie luxembourgeoise se fera via la Banque Internationale à Luxembourg, qu'il présidera de 1985 à 2000, mais aussi et surtout à la tête de la CLT, dont il occupe aujourd'hui encore le fauteuil de la présidence du Conseil d'Administration. Il est également membre de différents conseils d'administration et d'international advisory boards.

Sur la vie politique, désormais, il se contente de porter un regard lointain, fidèle à la promesse qu'il avait faite, en quittant le devant de la scène, de ne pas jouer les "belles mères". "Quand j'ai quitté la politique, je l'ai fait par la grande porte. Mes amis m'ont demandé de rester et de prendre la tête de la liste pour les élections suivantes. C'est d'ailleurs la seule fois où tous mes amis politiques étaient du même avis, alors que d'habitude, il y avait beaucoup de contestataires. Je leur ai dit non, en jurant que je ne viendrais pas le lendemain leur dire ce qu'il faudrait faire. Et je ne l'ai pas fait".

Au bout de 17 ans, la distance qu'il a pu prendre avec ce milieu le protège de surcroît, aujourd'hui, de toute idée de replonger. "De toute façon, je ne vais pas dire du mal des gens du gouvernement: ce sont pour moitié mes amis et le reste des alliés? Quant à l'opposition socialiste, je ne la vois pas comme une ennemie, puisque c'était un partenaire vaillant et correct pendant les années où je fus Premier Ministre et j'aurais aimé continuer gouverner avec eux pour changer un peu le pays. Alors je vois tout ça sans haine, tout juste peut-être avec, parfois, certains 'reproches'".