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L'anecdote peut faire sourire, ou accabler, selon l'état d'esprit. Le vendredi 29 mars dernier, à midi, marquait la date et l'heure limites de dépôt des dossiers de candidature pour l'attribution des licences UMTS à Luxembourg (voir encadré page 057). Sur le site de l'Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR), un communiqué fut mis en ligne, annonçant le nom des trois prétendants à l'exploitation d'un réseau de téléphonie de troisième génération au Grand-Duché. Non seulement le texte était (et est toujours) bien enfoui dans la page "Nouveautés" de la section "Télécom', mais il fut d'autant moins facile à trouver, dans les premiers temps, qu'il était présenté en date du 29? février 2002!

Bien sûr, l'erreur est humaine et ce n'est certainement pas sur ce seul petit fait de printemps qu'on l'on est en droit de porter un quelconque jugement qualitatif sur l'ILR. Mais il n'est pas spécialement non plus de nature à redonner à l'autorité de régulation luxembourgeoise l'image d'une institution intouchable que pourrait - et devrait -  lui conférer son statut d'organe de surveillance des marchés libéralisés des télécommunications (mais aussi des services postaux, financiers postaux, de l'électricité et du gaz, dont nous n'aborderons pas la problématique, ici).

La faute à qui? A son propre mode de fonctionnement? Aux moyens qui sont mis à sa disposition par son ministère de tutelle? A la complexité de la matière traitée? Sans doute un peu de tout ça...

En tout premier lieu, il convient de remarquer que la lourde tâche de la régulation, qu'elle soit pratiquée dans le petit Grand-Duché du Luxembourg ou n'importe quel autre grand pays, se base sur les mêmes principes. Quelle que soit la taille du marché, les contraintes administratives et techniques sont semblables? mais certainement pas les moyens disponibles pour y faire front. Aussi réduit soit-il, le Luxembourg n'en compte pas moins, à ce jour, 73 opérateurs titulaires d'une licence ou ayant déclaré leurs services.

A titre de comparaison, la France en compte à peine le double. Et si l'Institut Luxembourgeois de Régulation affiche sur son site un effectif de 23 personnes, un coup d'oeil sur la répartition des postes montre qu'une seule personne est directement et officiellement affectée aux problématiques des télécommunications (alors qu'ils sont au minimum deux dans les autres services, jusqu'à 7 en charge des services "Fréquences - Radio & Telecommunication Terminal Equipment"). Ce qui paraît tout de même bien peu, surtout si, par malheur, cette personne se retrouve en congé maladie prolongé...

Certes, un programme de recrutement est en cours, ce qui n'est pas un gage de croissance immédiat, tant il est difficile de trouver les compétences dans un domaine aussi pointu que celui de la régulation. Le 31 octobre 2001, un nouveau Règlement grand-ducal a tout de même fixé le nombre limite d'emplois dans les différentes carrières du personnel de l'ILR à 40 au total, répartis en 13 cadres "supérieurs"; 23 cadres "moyens" (8 rédacteurs et 15 ingénieurs techniciens) et 4 cadres "inférieurs" (expéditionnaires administratifs, informaticiens et techniques). Le précédent texte datait du 19 juillet 1997 et limitait alors les effectifs de ce qui n'était encore que l'ILT à un total de 19 personnes. L'élargissement des compétences de l'Institut rendait, évidemment, indispensable, une telle modification.

Face à un tel manque de ressources humaines, il n'est pas étonnant qu'un sujet aussi sensible - et pourtant récurrent, puisque traité tous les ans - que celui des coûts d'interconnexion traîne pour le moins en longueur. On se souvient que le 20 décembre 2001, l'ILR avait décidé de ne pas approuver les modalités de l'offre technique et tarifaire d'interconnexion pour l'année 2002 (RIO (Reference Interconnection Offer) -2002) telles que proposées en version préliminaire par l'Entreprise des P&T deux semaines plus tôt.

L'opérateur historique avait du revoir sa copie, et disposait d'un 'délai de grâce' jusqu'au 1er mars 2002 pour fournir une nouvelle version de son offre. Si, du côté des P&T, on a respecté les délais, le feu vert final n'a toujours pas été délivré, et on ne l'attend pas avant plusieurs semaines. En attendant, c'est sur la base des modalités de l'offre telle que déposée début décembre que sont établis ces tarifs d'interconnexion, lesquels seront ensuite modifiés rétroactivement au 1er janvier 2002. 

Conséquence: les opérateurs alternatifs se trouvent devant un problème insoluble: établir des offres de prix commerciales complètes et pertinentes, dans la mesure où il leur manque une des principales inconnue dans leur équation tarifaire... et que la facture finale est susceptible, à tout moment, d'une modification une fois que seront appliqués, rétroactivement, les tarifs.

Si on ne peut que se réjouir de constater que l'ILR ne s'est pas contenté, loin s'en faut, de simplement valider le RIO qui lui a été présenté, on peut aussi regretter, en parallèle, qu'il n'impose pas de se voir remettre dans de meilleurs délais - trois ou quatre mois à l'avance - ledit document, afin d'avoir suffisamment de temps pour mener à bien toutes les investigations nécessaires et faire passer l'information, en amont, auprès des autres opérateurs.

La tâche de l'Institut est d'autant moins aisée, sur ce sujet, qu'il se retrouve face à un schéma de tarification fourni par une entreprise à la fois active dans le domaine des Postes et celui des Télécommunications: un cumul qui se répercute sur la justification des tarifs affichés et qui ne simplifie en rien leur examen analytique.

Il aurait été intéressant de connaître, sur ce point, mais sur tant d'autres aussi, l'avis de la très discrète Odette Wagener, Directrice de l'Institut, dont les interventions publiques se comptent sur les doigts d'une main. Il faudra, pour cela, attendre le rendez-vous qu'elle a bien voulu nous accorder début mai, en attendant que se tasse un calendrier trop chargé ces derniers temps, entre la préparation des dossiers UMTS, celle du prochain rapport annuel, du déménagement vers des locaux plus vastes, prévu ces jours-ci.

On avait pourtant espéré, en la matière, une certaine ouverture vers l'extérieur, l'été dernier, lorsqu'avait été envisagée, pour septembre, une grande conférence de presse. On attend toujours de savoir à quelle date...

L'amiable avant tout

L'aspect communication, paradoxalement, semble être un des points faibles de l'ILR, qui n'a, par exemple, pas remplacé, depuis plus d'un an, la personne qui était en charge de ses relations extérieures. Il y avait eu, déjà, par exemple, de quoi être surpris du relatif anonymat qui avait accompagné l'annonce de l'ouverture de la période de dépôt des dossiers d'appel à candidature pour les licences UMTS, fin janvier, alors qu'il s'agissait tout de même d'un moment attendu depuis (trop?) longtemps.

Quant au rapport annuel actuellement en cours de gestation, et qui, de toute façon, ne sera pas publié avant la validation des comptes par le gouvernement, on espère tout de même qu'il sera diffusé un peu plus tôt qu'il ne l'avait été l'an dernier. Car bien qu'approuvés par le gouvernement le 14 juin 2001, les comptes 2000 n'avaient pas été publiés avant le mois de septembre (et mis en ligne, sur le site, le? 22 octobre !). Motif: il avait fallu attendre que soit définitivement arrêté le logo de l'ILR.

Ce n'est pas pour autant que l'autorité de régulation luxembourgeoise reste inactive, même si les décisions qu'elle a eu à rendre, sous sa casquette de 'gendarme' d'un secteur en cours de libéralisation, peuvent aussi se compter sur les doigts d'une main. La toute première concerna, en 1999, la société Spectrum Technologies, qui exploitait un service de "least cost routing" sans avoir, au préalable, entrepris de demander une licence d'exploitation en bonne et due forme. Malgré les recours déposés par la société, le Tribunal administratif de Luxembourg avait donné raison à l'ILT, dont la sanction s'était élevée à une amende de 200.000 francs (4.958 Euro).

En 2000, l'ILR fut saisi de neuf demandes de règlements de différends, mais la majorité fut traitée via la commission de conciliation, instaurée en juin 1999, permettant de trouver des solutions amiables entre plaignants. Plus récemment, au mois d'octobre 2001, l'ILR avait contraint la société Editus à apporter par voie de presse une précision à la mention "accès à Internet gratuit" figurant sur la couverture de chacun des annuaires téléphoniques distribués dans le pays, en l'occurrence que cette gratuité ne s'appliquait pas aux coûts des communications téléphoniques, ce qui n'était, en effet, mentionné nulle part.

D'une manière générale, l'environnement judiciaire du secteur des télécommunications est, il est vrai, relativement tranquille à Luxembourg. Essentiellement, parce que les principales sources de conflits sont potentiellement liées au marché local et que, mis à part Tele2, aucun autre opérateur ne s'y est aventuré de manière aussi imposante, en raison d'un problème de rentabilité (lire aussi l'article comparatif sur les services de téléphonie, page 060).

Ce qui n'a pas empêché Tango de déposer, le 8 mars 2002, auprès du Tribunal d'arrondissement,  une requête en matière de concurrence déloyale contre les P&T et les sociétés CMD et Mobilux, suite à une campagne publicitaire dans la presse écrite, vantant l'importance du nombre des clients utilisant les services commercialisés sous l'enseigne commune LuxGSM.

Clairement, la mutation de l'ILR est en cours, ce que n'ont pas manqué de constater la plupart des opérateurs actifs à Luxembourg. Lors de notre dernier tour d'horizon du secteur, il y a un peu moins d'un an (voir notre édition 08-09_2001), l'absence quasi-totale de pouvoir dont disposait l'ILT était largement déplorée. "Contrairement à il y a quelques mois où il ne faisait que des propositions, l'ILR dispose entre-temps du cadre légal et donc des moyens nécessaires pour exercer son rôle de régulateur" notent, aujourd'hui, avec satisfaction Claude Mihnjak et Guy Loos, tous deux Head of Telecom Solutions chez Broadcasting Center Europe, qui se voient "ravis de cette évolution qui pose enfin le cadre légal pour une vraie libéralisation du marché des télécoms au Luxembourg".

Si, de son côté, Dan Arendt, Associé Technologies, Medias et Telecommunications chez Deloitte&Touche, reconnaît aussi "les progrès manifestes réalisés récemment", il constate néanmoins que "le Luxembourg reste encore à la traîne sur un certain nombre d'éléments tels que le prix élevé des liaisons louées, l'absence de statistiques probantes sur le marché ou les difficultés liées à l'établissement de nouveaux points hauts".

La patience est donc plus que jamais de mise, mais l'ILR semble sur une bonne voie. Celle où les sourires et les doutes laisseront place au total respect. C'est aussi au statut de son organe de régulation que l'on mesure la maturité d'un marché.

HISTOIRE - Cinq ans déjà

Au commencement était l'Institut Luxembourgeois des Télécommu-nications (ILT), créé dans le cadre de la Loi du 21 mars 1997 sur les télécommunications, qui a consacré la complète séparation entre les fonctions d'exploitation et de réglementation, et a fixé un nouveau cadre législatif réglementant l'ensemble des activités de télécommunications au Luxembourg.

Cette Loi marquait la fin du monopole de l'Entreprise des P&T, instaurant une libre concurrence en matière de services de télécommunications et fixant le cadre pour la fourniture de réseaux et de services de télécommunications.

L'ILT, ainsi constitué, s'est vue attribuer toutes les missions de contrôle et de surveillance jusqu'alors entre les mains soit de l'EPT, soit du Ministère des Communications. Indépendant des opérateurs, ne disposant d'aucun intérêt dans le marché des télécommunications, administrativement et financièrement indépendant, bien qu'étant placé sous la tutelle du Ministre des Communications, l'Institut a vécu des premières heures déjà difficiles. Ne serait-ce que pour la raison que le Luxembourg fut un des derniers Etats à se mettre en règle avec les dispositions communautaires instaurant le cadre législatif propice à cette libre concurrence.

La mise en train fut donc délicate et la Commission européenne, dans ses rapports annuels sur l'avancement de la libéralisation dans le secteur des télécommunications, ne manqua pas, régulièrement, de montrer du doigt les "mauvais élèves". Il faut dire aussi, par exemple, que la présence, dans les premiers temps, de Paul Schuh, qui cumulait les fonctions de membre du Conseil d'Administration de l'ILT et Président du Conseil d'Administration des P&T, n'avait pas plu à Bruxelles, soucieuse de l'indépendance d'une l'autorité de contrôle vis-à-vis d'un des opérateurs en place. M. Schuh avait donc dû démissionner de ses fonctions aux P&T.

Petit à petit, l'ILT a pris ses marques, jusqu'au grand bouleversement du 24 juillet 2000, date à laquelle fut adoptée la Loi relative à l'organisation du marché de l'électricité, marquant le premier pas de l'élargissement des compétences de l'ILT, alors rebaptisée Institut Luxembourgeois de Régulation. Outre l'électricité, il lui a été confié la surveillance des services postaux et des services financiers postaux (Loi du 15 décembre 2000) puis du gaz naturel (Loi du 6 avril 2001).

L'étape suivante attendue est l'adoption d'une Loi cadre propre au seul fonctionnement de l'ILR.

UMTS - La guerre des trois aura-t-elle lieu ?

Tout vient à point à qui sait attendre? Un peu plus de deux ans après les premières consultations officielles engagées par l'Institut Luxembourgeois des Télécommunications au sujet des réseaux et services mobiles de 3è génération, on connaît désormais la liste des trois opérateurs candidats, rendue publique le 29 mars dernier par l'ILR. Il s'agit, par ordre chronologique de dépôt de leurs dossiers (en huit exemplaires, support papier, accompagnés de huit copies électroniques sur CD-Rom, le tout accompagné de la modique somme de 60.000 Euro pour les seuls frais administratifs), de l'Entreprise des P&T, d'Orange (filiale de France Télécom, déjà présente en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche, en Suisse, en Suède, en Italie, et au Portugal) et de Tango.

On s'attendait à ce que Cegecom soit également candidat, mais l'opérateur filiale de Cegedel avait annoncé, quelques heures plus tôt, ne pas avoir trouvé le partenaire "expérimenté en la matière" sans qui tout engagement dans un projet d'une telle envergure a été jugé inconcevable.

Autrement dit, il reste, potentiellement, encore une place à prendre puisque ce sont 4 licences que le gouvernement a décidé d'attribuer, en mai 2000. La décision finale sera rendue au plus tard le 24 mai, après un examen approfondi qui portera essentiellement sur cinq points: les services offerts; la technique; le profil du candidat; l'impact général sur l'environnement et l'emploi; et la cohérence d'ensemble (plus de détails dans notre édition 03.2002 page 050).

Pour la mise en oeuvre, il ne faut rien attendre, au mieux, avant 2003, soit, tout de même, plus d'un an après la date initialement annoncée, début 2002 (date établie par la Commission européenne, qui souhaitait une introduction harmonisée de l'UMTS dans tous les Etats européens). Mais on se souvient que le règlement grand-ducal fixant les conditions minimales du cahier des charges pour l'établissement et l'exploitation de ces réseaux, attendu début 2001, n'avait finalement été approuvé que le 14 décembre.

Faute de combattants, il est difficile de s'imaginer que la lutte sera vraiment serrée pour se voir attribuer le précieux sésame. Mais qu'en sera-t-il, en revanche, du déploiement des antennes et équipements associés, principale angoisse de tous les opérateurs candidats ? Le souhait du gouvernement est clairement orienté vers un partage des infrastructures. "Le refus d'un opérateur disposant de sites de les partager avec d'autres opérateurs en vue d'une utilisation commune ne se justifie que si cette dernière est techniquement impossible" est-il convenu. Ca promet !