Jean-Claude Juncker se dit triste que le Luxembourg ne partage pas son approche en ce qui concerne la taxation de l’économie du numérique. (Photo: Maison Moderne/ archives)

Jean-Claude Juncker se dit triste que le Luxembourg ne partage pas son approche en ce qui concerne la taxation de l’économie du numérique. (Photo: Maison Moderne/ archives)

«C’est une erreur historique de ne pas vouloir imposer aux niveaux appropriés les bénéfices des multinationales qui agissent planétairement et qui ne paient pas l’impôt dû.» Dans un entretien accordé à Paperjam, Jean-Claude Juncker juge que le gouvernement luxembourgeois bloque les propositions de la Commission européenne en matière de taxation de l’économie numérique, souvent réduite aux Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple).

Le 7 novembre, le gouvernement luxembourgeois, par la voix du ministre des Finances Pierre Gramegnaestimait pour sa part que, s’il s’agit de taxer l’économie du numérique, «le parallélisme avec l’OCDE est encore plus important» puisque cette économie est «spéciale», car «globale». Assisté de quelques alliés comme l’Irlande, Chypre et Malte, le Luxembourg avait réussi à freiner les intentions de la Commission soutenues par la France notamment, lors du dernier sommet européen du 19 octobre.

Par ailleurs, le gouvernement luxembourgeois, même s’il se dit «ouvert» à des discussions sur la base d’imposition, est réticent en ce qui concerne la proposition d’une «assiette consolidée commune pour l’impôt sur les sociétés» (Accis). Or, cette dernière «est la véritable solution globale au problème du transfert de bénéfices», selon la Commission. Cette proposition en cours d’examen par les États membres pourrait - une fois adoptée - permettre «facilement» l’intégration de la taxation de l’économie numérique dans le champ d’application de l’Accis.

Montrer l’exemple

L’ancien Premier ministre luxembourgeois avertit le Grand-Duché: «s’il […] se borne à dire ‘non’, il n’aura pas d’influence sur l’architecture qui sera imprégnée à ce monde globalisé». Et d’ajouter: «Je ne comprends pas très bien pourquoi le gouvernement luxembourgeois ne suit pas le président Macron, alors qu’il revendique une amitié intime». Jean-Claude Juncker rappelle que la nouvelle version de l’Accis, modifiant celle de 2011, «sera cette fois négociée en deux étapes, la première se concentrant uniquement sur l’assiette fiscale commune et, une fois celle-ci établie, la deuxième étape se penchera sur la mise en place de la consolidation».

Tandis qu’une consultation publique est en cours jusqu’au 3 janvier, la Commission doit présenter de nouvelles propositions pour une taxation juste de l’économie numérique en début d’année. La préférence de Jean-Claude Juncker est un accord au niveau international d’ici au printemps 2018, mais «si aucune solution internationale ne peut être trouvée, nous présenterons alors une proposition législative visant à garantir un cadre fiscal juste, efficace et compétitif pour le marché unique numérique».

Pourquoi ne pas attendre? Le président de la Commission estime que «l’Union doit être prête à montrer l’exemple. Quand nous avons montré l’exemple par le passé, notamment en matière de transparence, d’autres ont suivi.» Par ailleurs Jean-Claude Juncker sent que certains États membres seraient impatients de pouvoir «mettre en œuvre des solutions pratiques».

Un level playing field

Compte tenu de la rapidité à laquelle l’économie du numérique grandit, Jean-Claude Juncker estime qu’il y a urgence d’agir: «En 2006, une seule entreprise numérique figurait parmi les 20 plus grandes entreprises par capitalisation boursière, et ne représentait que 7% de cette capitalisation. En 2017, neuf des 20 plus grandes entreprises par capitalisation boursière étaient des entreprises du secteur technologique, et représentaient 54% du total des 20 premières capitalisations boursières.»

Il nous faut une approche européenne coordonnée pour empêcher des approches nationales qui mèneraient à de nouveaux obstacles et lacunes.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne

En même temps, les entreprises numériques transfrontières seraient «en mesure de réduire considérablement, jusqu’à zéro en profitant des régimes fiscaux les plus favorables, leurs impôts en raison du caractère extrêmement mobile de leurs actifs incorporels.»

En outre il serait urgent d’agir, étant donné que certains États membres ont d’ores et déjà introduit, ou sont en train d’envisager, des mesures unilatérales. Or, pour éviter justement une fragmentation «il nous faut une approche européenne, coordonnée pour empêcher des approches nationales qui mèneraient à de nouveaux obstacles et lacunes».

Face aux craintes qu’une taxation plus conséquente puisse décourager des investissements en Europe, le président de la Commission répond qu’un cadre fiscal européen moderne, équitable et compétitif fournirait aux sociétés «de la certitude, de la stabilité et un ‘level playing field’». Après tout, l’objectif de Bruxelles est d’établir des conditions de concurrence équitable pour toutes les entreprises, «qu’elles soient petites ou grandes, plus ou moins numérisées, établies dans l’UE ou non».