Luc Frieden: «Il faut que l’Union européenne qui, elle-même, traverse une crise, négocie un nouveau modèle.»  (photo: Jessica Theis / archives)

Luc Frieden: «Il faut que l’Union européenne qui, elle-même, traverse une crise, négocie un nouveau modèle.»  (photo: Jessica Theis / archives)

Monsieur Frieden, vous étiez en poste à la Deutsche Bank Londres juste avant que le Brexit ne soit décidé par référendum le 23 juin 2016. Aviez-vous été surpris de ce résultat?

«Non, car j’avais déjà eu l’occasion de constater que beaucoup de Britanniques étaient extrêmement réticents vis-à-vis de l’Union européenne. J’espérais bien évidemment un autre résultat, mais je sentais bien que, malgré de faux arguments, le Royaume-Uni se voyait dans une certaine illusion de souveraineté dans laquelle elle pourrait tout réglementer sans avoir à consulter les autres…

Il faut quand même dire que la question n’aurait jamais dû être soumise à un référendum, car c’est une question à laquelle il était impossible de répondre. Ceux qui ont voté pour un départ de l’UE ne savaient pour la plupart pas du tout à quoi ils s’engageaient. Quand je leur demandais ‘Et après? Que se passera-t-il?’, nombreux répondaient ‘On ne sait pas, on verra’. C’est normal, puisque nous n’avons jamais vécu le départ d’un État membre.

Cela explique aussi pourquoi, depuis le référendum, un an a été nécessaire pour préparer cette négociation totalement inédite.

Justement, un an après, ces négociations commencent enfin. Pensez-vous qu’elles seront douloureuses pour les deux parties?

«Pas pour les deux parties, non. Ce sera surtout difficile pour le Royaume-Uni, car il doit savoir, et il sait, qu’être ‘out’ n’est définitivement plus la même chose qu’être ‘in’. Toute la question est de savoir quels droits limités seront concédés aux Britanniques.

Au final, on est au-devant de négociations qui s’annoncent longues et difficiles. C’est pour cela que je crois qu’elles dureront plus des deux années prévues.

Je souhaite que l’UE négocie un partenariat fort.

Luc Frieden, ancien ministre des Finances

Êtes-vous plutôt favorable à un Brexit «doux» ou bien plus radical?

«Je souhaite que l’UE négocie un partenariat fort. La Grande-Bretagne, c’est notre voisin et c’est un centre financier important. Dans le même temps, il faut que l’UE qui, elle-même, traverse une crise, négocie un nouveau modèle.

Pour ma part, je prône un modèle d’avenir que j’appelle l’Europe du modèle olympique, avec différents cercles. Au centre, des États qui composent une structure fédérale pour certaines matières, puis un deuxième cercle avec les États qui considèrent l’UE avant tout comme un marché intérieur. Et puis enfin un troisième cercle plus large dans lequel il y aurait les pays amis. On pourrait y retrouver la Grande-Bretagne au même titre que la Suisse.

N’est-ce pas finalement, quelque part, un mal pour un bien pour l’Union européenne?

«Pas forcément. De toute façon, l’UE, vu l’état dans lequel elle est, devrait mener un tel débat pour que chaque État membre se positionne par rapport à l’objectif qui est le sien en tant que membre de l’UE. Idéalement, ce serait un débat à mener régulièrement, par exemple, tous les 10 ans, surtout dans une Union à 28 ou 27. Brexit ou pas Brexit, c’est un débat qui est aujourd’hui nécessaire et qu’il convient de mener. Cela aurait d’ailleurs déjà dû être fait.

Pensez-vous, comme d’autres, que le Luxembourg a beaucoup à gagner?

«Dans le court terme, oui certainement. Beaucoup d’entreprises financières britanniques ne veulent pas attendre la fin des négociations et cherchent déjà un endroit au cœur de l’UE pour développer leurs affaires au sein du marché unique.

Je me rends régulièrement à Londres dans le cadre de mes activités et je vois un intérêt très fort pour certaines villes européennes, y compris Luxembourg, qui, de par sa dimension transfrontalière, est en très bonne position pour des secteurs comme les fonds d’investissement, l’assurance, ou d’autres activités financières. Cela a déjà commencé largement.

Sur un plus long terme, ma réponse est plus nuancée, car le Luxembourg avait avec le Royaume-Uni un réel allié au sein du Conseil des ministres pour la négociation de textes relatifs au secteur financier, avec une approche internationale comme la nôtre.

Le secteur privé luxembourgeois demeure très actif à Londres.

Luc Frieden, ancien ministre des Finances

Contrairement à Paris ou Francfort, bien plus agressifs et promoteurs dans leur communication pour attirer à elles les acteurs qui quitteraient Londres, Luxembourg est moins sur le devant de la scène. Est-ce une bonne tactique?

«Le Luxembourg est très connu à Londres et très bien réputé. Le pays a su, ces dernières années, créer les bases législatives et des compétences suffisantes pour que la place internationale soit forte.

L’approche de partenariat que les gouvernements successifs ont privilégié nous sert aujourd’hui pour développer les affaires. Et le secteur privé luxembourgeois demeure très actif à Londres pour soutenir cette démarche. Nous n’attendons pas que les entreprises britanniques viennent ici spontanément, mais nous faisons cet effort constamment pour aider à expliquer aux Britanniques ce qu’est le Luxembourg.

Il est donc de première importance pour notre pays de rester compétitif et de bien expliquer quels sont ses forces et ses atouts, alors que les autres se positionnent sur le marché.

Quel est le danger à éviter au cours de ces négociations et, a contrario, les choses à faire absolument?

«Il faut surtout créer une atmosphère positive de négociation. Personne n’a rien à gagner dans une mauvaise ambiance. Et cela vaut pour tous les autres espaces de négociation.

Je plaide pour une approche constructive, tout en répétant que le Royaume-Uni doit savoir qu’il n’aura désormais plus les mêmes droits qu’avant. Il ne faut aussi surtout pas que ces négociations soient commentées tous les jours par les responsables des deux côtés… Elles ont besoin d’un climat de sérénité.

Il n’y a pas de plan social envisagé à la Bil dans les deux ou trois années à venir.

Luc Frieden, président du conseil d'administration de la Bil

Dernière question, sans relation directe avec le Brexit: les rumeurs de volonté de cession de la Bil par l’actionnaire qatari reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Quelle est aujourd’hui la situation sur cette question?

«La Bil se porte très bien et elle enregistre des résultats en constante amélioration depuis la crise de 2012. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que certains investisseurs se montrent intéressés de temps en temps.

Aucune décision n’a été prise par les actionnaires. En tout état de cause, et quelle que soit cette décision, je veillerai évidemment, en tant que président du conseil d’administration, à ce que si jamais il devait y avoir un quelconque changement, la banque reste, comme par le passé, la banque luxembourgeoise forte qu’elle est aujourd’hui.

Pour le personnel, quel que soit l’actionnaire, il n’y a pas de plan social envisagé dans les deux ou trois années à venir.»