Frédéric Favart, directeur administratif et financier, Comptoir Électrotechnique Luxembourgeois (Photo : David Laudent/Wide)

Frédéric Favart, directeur administratif et financier, Comptoir Électrotechnique Luxembourgeois (Photo : David Laudent/Wide)

Monsieur Favart, quel est le rôle du directeur administratif et financier (DAF) au Comptoir Électrotechnique Luxembourgeois (CEL) ?

« Il faut placer mon rôle dans un contexte de PME, qui n’est pas forcément similaire à celui d’une grande entreprise. Dans une société comme la nôtre, il faut fatalement avoir plusieurs casquettes. Les finances sont bien entendu la matière première de l’activité quotidienne, avec la tenue des comptes, l’établissement des situations intermédiaires ou les rapports divers qu’il faut fournir à nos interlocuteurs internes et externes. Il faut également intégrer tout ce qui relève de l’administratif, de la gestion des achats et de la logistique.

J’assume également le rôle de directeur des ressources humaines. Je trouve que c’est une bonne manière de trouver un équilibre entre une activité centrée sur les chiffres, très rationnelle, et l’aspect humain, qui aide à mieux connaître les autres et donc à mieux se connaître soi-même.

Sur le plan informatique, je suis responsable de modules importants de notre système de gestion intégrée, en l’occurrence SAP. Je jette ce que j’appelle un coup d’œil averti sur tout ce qui touche à son usage, pour m’assurer que nous en tirons le maximum d’informations pertinentes. De sa bonne gestion et de la gestion des flux internes dépend la qualité finale des informations stratégiques de l’entreprise.

Enfin, le département financier participe activement à des projets de management. Je prends pour exemple notre projet d’obtenir le statut de PSF de support pour nos activités dans le secteur bancaire. Ce projet passe indirectement par un renforcement de nos procédures internes et de nos flux existants, ainsi que par la mise en place d’un contrôle interne renforcé et de nouveaux rapports financiers destinés à nos relations futures avec la CSSF.
Il est également entendu que je n’assume pas toutes ces charges seul et que la qualité des collaborateurs, ainsi que l’esprit d’équipe jouent un rôle important dans la réussite de chaque mission.

Quels sont vos rapports avec la direction générale de l’entreprise ?

« Lorsque vous touchez aux chiffres, vous êtes au cœur de la vie de l’entreprise et votre fonction est, comme souvent, liée directement à la direction générale. Je suis un des quatre associés de l’entreprise… ce qui facilite forcément le contact ! Cela permet d’intégrer l’aspect stratégique de la fonction finance, en intervenant avant la mise en œuvre de certaines décisions. En effet, en plus de la supervision de la comptabilité générale, une partie essentielle de mon travail est la partie analytique. Elle s’élabore avant la prise de décisions stratégiques (élaboration des budgets, participation au business plan d’une nouvelle activité…), mais également en aval de ces décisions (analyse performances, rentabilité, etc.). Elle permet de mieux comprendre et d’évaluer la rentabilité des différentes activités. Les chiffres permettent de vérifier a posteriori des choses qui n’étaient pas étayées par des données objectives.

La comptabilité analytique a été mise en place quand je suis arrivé chez CEL, il y a environ 13 ans. Jusque-là, il n’y avait pas de travail d’analyse réelle. Il n’y avait pas non plus d’outils informatiques adaptés. Notre passage sur SAP, en cours de finalisation lors de mon arrivée, m’a permis de mettre ma touche dans la construction du système d’analyse. Comme dans toute démarche analytique, nous avons défini différents centres de profits et centres de coûts, et affecté certaines ressources en personnel ou en matériel d’après différentes clés de répartition. Si vous avez 10 directeurs financiers, vous aurez peut-être 10 modèles différents. L’intérêt d’avoir été présent au début de l’implémentation de notre nouveau système de gestion, c’est d’avoir pu construire, en collaboration avec les autres services de la société, un modèle compris de tous, puisqu’élaboré en commun. Cela facilite ensuite la communication en interne.

La crise a-t-elle eu des conséquences pour votre entreprise ou votre fonction ?

« Je dois avouer que nous avons réussi à passer cette période difficile dans des conditions plus que satisfaisantes. En même temps, dire que nous n’avons pas été touchés serait se voiler la face. Certains secteurs d’activité ont bien entendu fait moins bien que prévu. Notre nom, le Comptoir Électrotechnique Luxembourgeois, a une origine bien précise : en 1945, nous étions grossistes en matériel électrique. C’était le but premier de la société à l’époque: un comptoir ! Depuis plusieurs années, l’activité de distribution tertiaire était en forte baisse. Avec la crise et l’émergence de grands groupes ou distributeurs internationaux pouvant écouler de gros volumes à des prix inaccessibles pour des concurrents à structures plus modestes, les ventes ont encore baissé, pour représenter in fine une partie négligeable de notre chiffre d’affaires. Nous avons donc pris la décision de l’arrêter de manière définitive. La crise nous a par conséquent confirmé que notre avenir était dans les services et nous a, en quelque sorte, aidés à tirer les conclusions plus facilement.

Lorsque tout va bien, on a tendance à garder la tête dans le guidon, à moins prendre de recul sur nos affaires. Dans le contexte actuel, nous avons dû regarder, observer, réfléchir et enfin trancher. Cette décision nous permet dès lors de consolider nos activités existantes par le développement d’un nouveau pilier ‘basse tension’ qui évoluera en totale synergie avec les autres lignes de produits et de services que nous offrons : la gestion de la voix et des données, les équipements de sécurité pour le bâtiment, ainsi que la sécurisation et l’optimisation de l’énergie électrique. Nous renforçons notre ambition de devenir l’intégrateur de référence pour toutes ces technologies et d’être un interlocuteur unique pour le client final ou le bureau d’études. Concrètement, aujourd’hui, par l’abandon de notre activité dite de distribution tertiaire, nous sommes devenus une société de services à 100 %.

Le processus de décision a-t-il été rapide dans ce contexte ?

« La prise de décision a été longue. Il y avait un lien historique et émotionnel avec l’activité, il nous fallait débattre et y réfléchir longuement avant de nous en détacher. Les chiffres et les perspectives concrètes étaient tels que la décision a été prise. Je comprends cependant que les clients traditionnels de l’activité distribution tertiaire ont été fortement surpris en l’apprenant, mais notre avenir est définitivement tourné vers les services techniques, leur intégration et dans l’apport de valeur ajoutée à nos clients. Nous avons réfléchi et construit les choix quant au lancement de cette nouvelle activité en partant du haut vers le bas. Il fallait déterminer quels étaient les éléments qui nous manquaient. Après analyse et en regardant les différentes pièces du puzzle, nous avons constaté que nous avions 80 % des pièces en main. Nous avions en effet les capacités financières, techniques et la matière grise pour jouer un rôle actif dans ce domaine. Le tout était alors d'identifier les 20 % encore manquants que nous avons rapidement comblés en nous dotant de nouvelles compétences internes adaptées. Nous ne sommes pas partis de zéro dans la construction du plan d'affaires, et c’était certainement plus simple pour nous que pour quelqu'un tentant de créer sa propre structure.

Y a-t-il une guerre des prix dans votre secteur ? Réussissez-vous à maintenir votre marge ?

« La guerre des prix est inévitable quand on est dans les affaires… Nous préférons la quête de la qualité à celle des prix mais malheureusement le tarif est trop souvent le premier critère de sélection. Certains acteurs deviennent plus agressifs en baissant leurs marges, parfois de manière inquiétante. Ce n’est pas sain sur le long terme pour tout le secteur, mais je le comprends cependant en partie dans le contexte actuel. Au cours de la dernière décennie, il est clair que nous avons vu le nombre de nos concurrents augmenter par l’émergence d’acteurs de plus en plus internationaux, par des regroupements de sociétés ainsi que, simplement, par l’évolution des technologies. Je pense notamment à l’évolution technologique fulgurante dans le domaine Voice & Data, qui a élargi le marché.

Pour répondre à votre question, nous réussissons à maintenir notre marge, mais dans une dynamique de mouvement. Nous avons réussi à adapter notre portefeuille de solutions techniques à l’évolution de nos différents marchés et également à relever d’autres défis qui compensent la baisse des marges dans nos métiers traditionnels. Nous avons compris depuis longtemps que la marge ne peut se faire qu’à travers une prestation de services de qualité et d’une valeur ajoutée à la clientèle plutôt que comme, dans le passé, via la fourniture de matériel.

Quels sont vos moyens de financement ? Avez-vous connu une restriction d’accès au crédit ?

« Nous rentrons aujourd’hui dans un modèle financier qui doit intégrer la gestion de projet. Contrairement à une activité commerciale de distribution, nous allons devoir beaucoup plus travailler en amont sur le préfinancement de nos activités. Même si nous mettons en place une politique d’acomptes, le paiement se fait selon l’avancement des travaux et leur réception définitive. La différence se fait sur les délais de réception des fonds. D’une certaine manière, ce n’est jamais qu’un nouveau jeu financier, il n’y a pas de véritable difficulté technique de ce point de vue. De plus, du côté des associés, nous avons chacun un état d’esprit plutôt indépendant et nous ne devons pas répondre à une pression financière venant de l’extérieur, vu que les actionnaires sont actifs dans la société. Cette indépendance vaut également sur le plan financier : une grande partie de nos activités et investissements sont autofinancés. Ceci dit, nous avons de bons rapports avec les grands acteurs bancaires, notamment pour des avances à court terme lors­qu’il y a un besoin de fonds de roulement. Nous avons toujours été supportés par nos partenaires bancaires. Ici encore, l’ancienneté de la société, notre réputation, nos bons résultats, les relations de long terme que nous avons nouées aident beaucoup… 

Quels sont vos rapports avec vos fournisseurs ?

« Nous travaillons de manière très étroite avec différentes marques, selon le domaine d'activité concerné. Avec certaines, on pourrait presque parler de mariage qui dure depuis très longtemps. Cette continuité est aussi le gage d’une maîtrise parfaite de nos solutions techniques. La société a été créée en 1945 ! Ceci dit, avec les grands groupes internationaux, la notion de continuité dans la relation devient de plus en plus relative. Si, de notre côté, nous avons un turn-over du personnel relativement faible, les choses changent de plus en plus souvent chez nos fournisseurs. Les groupes se sont agrandis, sont devenus internationaux, font l’objet de rachat par d’autres groupes ou de restructurations. Les responsables changent plus souvent et les contacts évoluent. Il faut donc bien gérer cet aspect, dans un contexte économique incertain… qui rend la planification à long terme plus difficile.

Arrivez-vous à lier vos responsabilités en tant que DRH et DAF ? N’y a-t-il pas un risque de schizophrénie ?

« Il faut simplement trouver un équilibre dans la gestion quotidienne, en cherchant la satisfaction de ses collaborateurs et l’équilibre des comptes. Mais, de ce point de vue, les décisions se prennent collectivement et de manière tout à fait transparente entre associés. Ici encore, l'avantage d'avoir l’intégralité des actionnaires qui travaillent dans la société, c'est que la rentabilité à tout prix et la vision à court terme ne sont pas nos priorités, que nous plaçons plutôt dans une vue à long terme, y compris dans le domaine de nos ressources humaines. Chacun a nécessairement un point de vue sur un collaborateur. Un responsable technique ne considérera pas forcément quelqu'un de la même manière qu’un responsable financier ou qu’un responsable commercial. Nous tentons de gérer la société dans un style type « familial », ce qui est aussi un grand point commun entre associés. Nous connaissons encore le nom et le prénom de tout le monde. Même si elles se doivent d’être présentes, il n'y a pas de barrières trop marquées entre les différents niveaux hiérarchiques, donc lorsque quelqu'un ressent le besoin de parler, ce n'est pas compliqué : les portes sont ouvertes, il suffit de venir nous voir. Pour le reste, la problématique est celle du management en général. Il faut écouter et trouver des manières de motiver les collaborateurs. C'est un combat de tous les jours, qui ne change pas véritablement d'une entreprise à l'autre.

Du point de vue financier, le contexte économique actuel rend très difficile une répétition trop régulière de l'index. Une augmentation de 2,5 % multipliée par une centaine de salaires représente une somme très importante au niveau de notre masse salariale et donc de nos coûts. L’absorption de ce coût ne peut se faire que par une augmentation de nos tarifs/marges/chiffres d’affaires. Le contexte économique actuel fait en sorte qu’il est très difficile de s’adapter à cette mesure et de trouver l’effet de levier pour générer la croissance nécessaire. Les pays eux-mêmes ont du mal à générer de la croissance, pourquoi dès lors cela serait plus facile en tant que société ? D’un autre côté, je comprends la personne à faible revenu qui est heureuse à la fin du mois grâce à l’indexation et je suis heureux pour elle également. Dans ce sens, j’ai un double sentiment par rapport à cette problématique qui pour moi doit rester avant tout un acte social. De là à souffrir de schizophrénie, je vous rassure que tout va bien. »

 

Parcours - Le défi du système

Après des études universitaires à l’ICHEC (Bruxelles), Frédéric Favart, 42 ans, de nationalité belge, a débuté sa carrière au Luxembourg dans une fiduciaire. « J’ai mené des missions d’expertise comptable et fiscale, de réviseur d’entreprises et de conseil économique au Grand-Duché, mais également en Afrique. C’était une expérience particulièrement enrichissante : j’ai pu découvrir différents systèmes, différentes sociétés et différents secteurs d’activité. » Après six années, il a un jour lu dans le journal que l’entreprise cherchait un directeur financier. « Je dois avouer que je ne savais pas exactement ce que le CEL faisait. Mais la perspective de participer au management d’une société ainsi qu’à la mise en place d’un nouveau système d’analyse financière dans une société m’a convaincu, et je ne l’ai jamais regretté depuis ! »