Plutôt qu’un modèle pour ses collaborateurs, Françoise Thoma préfère se considérer en tant que mentor pour inspirer, donner un cap tout en prônant la diversité et le dialogue. C’est ainsi que la directrice générale de la Banque et caisse d’épargne de l’État (BCEE) résume son «style» de management, elle qui doit désormais assumer la responsabilité globale de 1.780 collaborateurs depuis sa prise de fonction en juin dernier. Son influence dans une grande maison qu’elle connaît bien (elle y est entrée en 1999), elle la conçoit comme une responsabilité, tout en admettant volontiers l’importance que peuvent prendre certains éléments exogènes.
«Il faut savoir que les messages que l’on porte peuvent avoir un certain impact auprès des autres, d’où l’importance de garder une ligne de conduite, de transmettre des valeurs.» L’humilité est celle que Françoise Thoma cite spontanément, de même que l’ouverture d’esprit à d’autres modes de pensée et, tout simplement, de nouvelles idées.
Assumant l’héritage de son prédécesseur, Jean-Claude Finck, avec qui elle a travaillé étroitement, Mme Thoma imprime son style, sans pour autant le forcer. «Devenir CEO d’une banque n’est pas une fin en soi, mais un nouveau départ chaque jour.» Capable de supporter la solitude propre à chaque chef d’entreprise, Françoise Thoma éprouve aussi le besoin, pas forcément contradictoire, de s’appuyer sur une équipe resserrée. «Il est primordial de pouvoir s’entourer de personnes de confiance avec lesquelles il est possible de mettre en place un dialogue fait de critiques constructives. Il faut aussi pouvoir mener ses troupes sans les perdre, inspirer sans imposer et être conscient des limites posées tant par le contexte que par les personnes, y compris ses propres limites.»
Un mode de management que Françoise Thoma adapte aux circonstances qui, pour les banques, riment forcément avec réglementation. Ce qui amène les patrons des établissements financiers à rester au plus près du métier de base, celui de banquier. «Le manager d’une banque est un leader qui doit aussi avoir des connaissances pointues du métier en raison des exigences réglementaires. C’est donc notamment prendre de la hauteur tout en reprenant beaucoup de profondeur. Ceci étant, les régulateurs, qu'il s'agisse de la CSSF ou des banques centrales, sont devenus ces dernières années parties prenantes de nos actions plutôt que des contrôleurs.»
Défendant une approche «raisonnablement optimiste», Françoise Thoma entend appliquer à elle-même les recommandations luxembourgeoises à ses collaborateurs. Elle encourage aussi la nouvelle génération à cultiver la différence à bon escient. «Je dirais aux jeunes dirigeants qu’ils doivent oser être différents tout en étant eux-mêmes. C’est la différence qui ouvre la voie à la créativité. Qu’ils cultivent l'échange entre générations – nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.» Entre l’influence et la manipulation, il n’y a qu’un pas que la directrice générale de la BCEE se gardera bien de franchir.
Responsable aussi de la coordination générale des ressources humaines, Françoise Thoma apporte sa vision quant à la répartition entre vie professionnelle et privée : «Je n’apprécie guère la notion de worklife balance, car la vie est faite d’une unité générale. Il faut donc savoir se ménager, dire non et compter sur des proches pour se ressourcer.» Si l’image du banquier en général a été ternie durant les dernières années, impliquant une grande capacité de résilience pour les dirigeants du secteur, chaque banque a dû, parallèlement, trouver sa voie dans un univers digitalisé où «fin» et «tech» se marient. «Je ne suis pas une fervente de l’innovation à tout prix, mais plutôt d’un équilibre entre innovation et tradition.»
Occupée à repenser son réseau d’agences pour l’optimiser tout en continuant à investir raisonnablement dans les nouvelles technologies, la BCEE de l’ère de Françoise Thoma s’inscrit dans un contexte économique national que la directrice générale entrevoit de façon favorable.
À titre personnel, Françoise Thoma se montre attentive à la préservation de la cohésion sociale au Luxembourg «en promouvant la récompense des efforts de ceux qui travaillent plus. La croissance qui fait l’objet, à juste titre, de beaucoup de réflexions proviendra du développement de nouveaux métiers en général et dans la finance en particulier, de nouveaux moyens de communication avec les clients, d'un nouveau savoir-faire qui sera largement digital. Nous devons arriver à une croissance réfléchie. Nous devons aussi veiller à l’intégration des nouveaux entrants de façon raisonnable et pas trop vite.»
L’avis du président du jury
«Elle a tous les aspects d’un grand banquier et son expérience au Conseil d’État lui a donné l’esprit du bien public.»
CV express
- Née le 25 août 1969 à Luxembourg
- Doctorat en droit de l’Université de Paris II
- Maîtrise en sciences politiques, LL. M. Harvard Law School
- 1994 Débuts comme avocate chez Bonn & Schmitt
- 1999 Entrée à la Spuerkeess, au service juridique
- 2000 Entrée au Conseil d’État. Elle y reste jusqu’à la fin de son mandat, en 2015
- 2004 Nomination en tant que secrétaire générale de la banque
- 2009 Elle devient la première femme à faire son arrivée au comité de direction de la Spuerkeess
- Juin 2016 Elle succède à Jean-Claude Finck en tant que directeur général
Assistant-professeur à l’Université du Luxembourg, Françoise Thoma est par ailleurs vice-présidente du conseil d’administration de Luxair, en tant que représentant de l’actionnaire BCEE.