«Sous réserve de sa compatibilité avec le droit européen d’une part, avec la constitution belge d’autre part, la nouvelle législation n’a qu’un impact limité sur les contrats d’assurance-vie liés à des fonds d’investissement, dédiés ou non, dont elle prétend réglementer le type d’actifs qu’il est permis d’y loger.» Le cabinet bruxellois JoynLegal, via un mémorandum rédigé par les juristes et fiscalistes Christophe Steyaert et Benoît Philippart de Foy, calme le jeu.
En collaboration avec la société luxembourgeoise d’experts et de conseils en assurance-vie, Gatsby & White (emmenée essentiellement par des anciens de chez Lombard), l’étude belge apporte un éclairage apaisant, dans un contexte certes tendu, mais où la panique serait mauvaise conseillère…
L’article paru sur paperJam.lu le 21 mai dernier faisait part du choc subi par les assureurs-vie luxembourgeois opérant en libre prestation de services en Belgique, un de leurs marchés traditionnels, après la publication d’une nouvelle loi belge (datée du 4 avril, publiée le 30 avril au Moniteur belge).
L’analyse juridique belgo-luxembourgeoise note une série de points rassurants, et en tout cas réfute l’idée que cette loi puisse sonner le glas des contrats d’assurance-vie liés à des fonds dédiés.
La libre prestation de services limitée
JoynLegal et Gastby (chez qui l'associé Benno Vegers, spécialiste du marché belge, suit ce dossier de près) observent ensemble ces règles qui «précisent les limites au contenu d’un fonds d’investissement auquel peut être adossé un contrat d’assurance-vie», et qui «renvoient aux règles applicables aux OPC qui, elles, contiennent des règles relatives non seulement à la nature des actifs mais également à la diversification des placements».
La loi prévoit toutefois des possibilités de dérogation à certaines règles de diversifications des placements. Elle comporte diverses dispositions transitoires, l’entrée en vigueur étant fixée au 1er novembre 2014.
Selon les juristes de Joyn, «l’application à tous les contrats d’assurance-vie dont l’engagement est situé en Belgique signifie tous les contrats d’assurance-vie souscrits par des résidents belges, quel que soit l’État où est établie la compagnie d’assurance». De ce point de vue, la loi en question «pose problème au regard des règles européennes car il limite de facto la libre prestation de services (LPS).
En effet, les règles concernant la politique d’investissement (actifs éligibles, diversification etc.) relèvent en principe exclusivement du contrôle prudentiel (régi par le principe de la 'Home Country Rule'). La Belgique n’est donc en principe pas compétente pour imposer ces règles aux compagnies d’assurance relevant d’un autre État membre et commercialisant ses contrats d’assurance-vie à des résidents belges, du moins dans le cadre d’une LPS 'passive', soit en dehors du territoire belge.»
Les juristes soulignent d’ailleurs que le Conseil d’État belge l’a fait remarquer dans son avis préalable, mais que le législateur du royaume n’en a pas tenu compte.
Des fonds comme les autres
Autre problème relevé, au regard des principes d’égalité et de non-discrimination visés par la constitution belge: «L’objectif de la loi, en matière de réglementation de la politique d’investissement des fonds auxquels sont adossés des contrats d’assurance-vie, est de créer un 'same level playing field' pour les placements en assurance-vie et les placements en OPC.»
En ce qui concerne les placements en OPC, la législation belge fait une distinction entre, d’une part, les OPC publics – ouverts à 100 investisseurs ou plus et dont la contrepartie minimale est inférieure à 250.000 euros (parts variables) / 50.000 euros (parts fixes) – et soumis à des règles strictes et, d’autre part, les OPC privés (ouvert à moins de 100 investisseurs ou dont la contrepartie minimale est supérieure à 250.000 euros (parts variables) / 50.000 euros (parts fixes) - et bénéficiant de règles beaucoup plus souples. «Dès lors, on ne voit pas pourquoi les fonds d’assurance ne devraient pas bénéficier de la même distinction», objectent-ils.
Les analystes soulignent par ailleurs que le texte ne fait que transposer aux fonds d’investissement auxquels sont adossés des contrats d’assurance-vie les règles applicables aux OPC publics belges, «tant en ce qui concerne les actifs financiers éligibles et les règles de diversification, que la politique de placement et son respect, comme le fait du reste au Luxembourg la Lettre circulaire 08/1 du Commissariat aux Assurances relative aux règles d'investissement pour les produits d’assurance-vie liés à des fonds d’investissement».
Et ils signalent que, au vu des actifs éligibles, rien ne permet de dire «en quoi ces règles interdiraient la commercialisation des polices assurances vie-liées à des fonds dits dédiés. Les fonds 'dédiés' sont en effet des fonds d’investissement comme les autres, leur seule particularité étant d’être dessinés sur mesure pour un investisseur ou groupe d’investisseurs particulier, et d’exclure toute possibilité d’investissement par d’autres investisseurs.»
Rien ne s'oppose
Au prix d’une analyse qui décortique le texte et apporte des éclairages pratiques sur les types de produits et d’actifs concernés, les experts, tant du côté belge que du côté luxembourgeois concluent que les règles nouvelles, «à les supposer compatibles avec la législation européenne et la constitution belge», ne sonneront pas du tout la fin des polices d’assurance-vie liées à un fonds dédié.
«Tout au plus ces règles viennent-elles ajouter à la réglementation luxembourgeoise existante certaines règles en matière d’actifs éligibles et de politique d’investissement. Rien ne s’oppose, par exemple, à ce qu’un fonds dédié luxembourgeois soit composé d’instruments financiers non cotés pour autant que ce fonds respecte la politique de placement définit par l’AR du 18 avril 1997 relatif aux OPC publics qui investissent dans des sociétés non cotées et dans des sociétés de croissance».
Nonobstant cette approche rassurante, les auteurs de l’analyse se montrent très attentifs. Si inquiétude il devrait y avoir de leur part, elle irait dans le sens des assureurs. «La discrimination semble ici contraire à la fois aux règles européennes et aux principes d’égalité et de non-discrimination inscrits dans la constitution belge», rappellent-ils.
Ce qui peut laisser augurer d’éventuelles actions, en cas de litiges susceptibles de toucher des investisseurs transfrontaliers.