Vous avez été élu le 1er décembre 2016 maire de Florange, à seulement 22 ans, soit le plus jeune maire de France, suite à la démission de Michel Decker. Quel est votre regard sur les deux années qui viennent de s’écouler?
Rémy Dick. – «La situation a beaucoup évolué depuis deux ans. Il y a une nouvelle renaissance de la ville, nous sommes petit à petit atteints par le phénomène d’attractivité que connaissent des villes comme Kanfen, Terville, ou Thionville, avec l’arrivée de plus en plus importante des frontaliers. Mais nous sommes une ville qui n’a pas de centre-ville, qui n’a plus d’axe passant, et qui manque de commerces.
Vous êtes également à la tête d’une ville très médiatique au niveau national...
«Bien sûr, Florange est une ville médiatique, qu’on le veuille ou non, je m’en suis aperçu à mon élection. Nous avons tout de même une loi à notre nom, qui est le symbole de la volonté que l’État a eue à un moment donné, de renationaliser l’industrie, ce n’est pas rien. Plusieurs hommes politiques, comme François Hollande ou Arnaud Montebourg, ont beaucoup politisé le nom de Florange. Pour moi, l’enjeu majeur du mandat est de redonner une cohérence urbanistique à la ville, et tous les sujets tournent autour de cela: l’A31 bis, la présence d’ArcelorMittal sur notre territoire, La Passerelle (salle de spectacles présente sur la commune, NDLR)... Il faut repenser la ville, et tous ces sujets-là sont des outils qui importent, parce qu’il faut recréer l’harmonie globale de la ville.
Vous évoquez l’A31 bis, Florange est notamment concernée par un des quatre tracés envisagés par l’État, le F4...
«Ce tracé prévoit de traverser la ville, et ainsi de la couper en deux. Nous sommes prêts à tous les compromis, nous avons notamment proposé l’idée d’un tunnel sous-terrain qui passerait sous la ville. Nous avons également déposé un recours contentieux contre un arrêté préfectoral de ‘prise en considération’, qui entraîne la possibilité de geler tous les permis de construire sur 571 parcelles sur l’emprise des quatre tracés envisagés. Nous ne voulons pas faire un bras de fer contre l’A31 bis, donc, plutôt que de faire un recours contre les quatre arrêtés, nous en avons déposé un contre celui qui est le plus attentatoire à l’avenir de Florange, c’est-à-dire le F4.
On utilisera tous les recours possibles pour que l’A31 bis ne passe pas par Florange.
Rémy Dick, maire de Florange
Pourquoi saisir le tribunal administratif?
«Pour que l’État comprenne que l’on ira jusqu’au bout en matière de recours administratifs. Si Florange est concernée par l’A31 bis, soit elle ne se fera pas, soit elle ne se fera pas dans les délais qui sont annoncés, parce qu’on utilisera tous les recours possibles. L’État prévoit un début des travaux pour 2025 et une inauguration en 2027. Avec, à chaque fois, un an et demi de procédures judiciaires, puis la Cour d’appel, puis le Conseil d’État; je leur souhaite bonne chance, et on connaît le système français. Quand on est dans les concertations publiques, on sent un certain mépris des hauts fonctionnaires envers nous, ils nous écoutent à peine. L’État doit nous écouter, et si le gouvernement estime que l’A31 bis est une urgence, le tracé le plus simple, c’est le F10 (allant d’Illange à Terville, ndlr). Nous espérons avoir un rendez-vous avec la ministre des Transports, Élisabeth Borne, dans les prochaines semaines. J’ai également interpellé Macron au Salon des maires sur le sujet, on essaie de jouer notre carte un peu sur tous les plans.
Quelle est votre position sur l’installation envisagée par l’État d’un péage sur l’A31 bis?
«Les élus du Nord mosellan acceptent le péage, parce que l’on sait que c’est la seule solution pour qu’elle ne passe pas par Florange, parce qu’il faut bien financer les aménagements. Les élus du reste de la Moselle sont contre, expliquant que les usagers n’emprunteront pas le péage et engorgeront les axes secondaires, et c’est également un argument compréhensible. Dans le principe, nous sommes tous contre le péage, mais dans un principe de réalité, si on est contre le péage, on est contre tout type d’aménagement, donc l’autoroute ne se fera pas, et on tourne en rond. À titre personnel, en principe, je suis contre le péage, mais je ne peux pas raisonnablement tout demander, je m’oppose déjà à mon tracé F4, je laisse les autres élus se prononcer sur le péage, et ils ont tout mon soutien moral.
Le Luxembourg est un aspirateur à compétences.
Rémy Dick, maire de Florange
Y a-t-il un risque que l’A31 bis ne se fasse pas?
«Bien sûr. Si la seule solution est de passer par Florange, je parie sur une défaite du projet. On jouera la montre, on fera des recours, et au final, l’autoroute ne se fera pas, parce que l’État n’est pas suicidaire, et que le nom de Florange permet des moyens médiatiques de faire bouger les choses. Et si le projet tombe, nous ferons tout pour enlever l’emprise réservée par l’État, parce que c’est attentatoire au développement de Florange. Mais comme 25% de nos habitants sont frontaliers, Florange ne s’est jamais opposée de manière frontale au projet d’autoroute, parce que nous sommes plus que conscients de la nécessité d’un tel aménagement.
Vous parlez des frontaliers, quel est votre regard sur le Luxembourg?
«Je vais oser dire que le Grand-Duché agit en quelque sorte comme un aspirateur sur toutes les frontières. C’est un peu un aspirateur de compétences, de flux financiers, économiques, et autres. L’argument de l’A31 bis est également pertinent à ce niveau-là, puisque l’État est prêt à mettre environ 700 millions pour amener les véhicules vers le Luxembourg, mais pas sur l’aménagement de notre propre territoire, et notamment l’aménagement économique, donc nous poussons nos talents et nos compétences vers le Luxembourg.
Le risque également, c’est que nos villes sont en train de devenir des villes-dortoirs. Aujourd’hui, à Florange, par exemple, on voit deux types de population, et 30 à 40% de la population se paupérise. Si on enlève les frontaliers, le revenu moyen des Florangeois est en dessous de 10.000 euros par an. De l’autre côté, nous avons les frontaliers, qui ont des exigences de service public qui sont tout autres, qui ne s’engagent pas de la même manière sur leur territoire, du fait de leurs horaires. Il y a un vrai choc culturel.
ArcelorMittal Florange n’est pas le symbole de la désindustrialisation, au contraire.
Rémy Dick, maire de Florange
Vous l’avez dit, un géant mondial de l’acier est lié au nom de Florange: ArcelorMittal...
«La ville y est associée médiatiquement, et surtout les hauts fourneaux, alors qu’historiquement, ils n’ont jamais été installés à Florange. C’est le site de Florange qui est considéré comme tel, parce que les Grands Bureaux y sont situés. Mais les hauts fourneaux sont bien à Hayange. Aujourd’hui, ArcelorMittal, c’est 2.300 emplois sur le territoire florangeois, donc ArcelorMittal Florange n’est pas mort. 270 millions d’euros ont été investis depuis 2012, et 100 emplois supplémentaires créés, donc ArcelorMittal Florange n’est pas le symbole de la désindustrialisation, au contraire. En 2015, on parlait de vider les Grands Bureaux; aujourd’hui, c’est tout le contraire. Les Grands Bureaux de Florange doivent, selon les informations dont je dispose, devenir l’annexe du site luxembourgeois. Donc on est loin de la désertification.
Comment expliquez-vous que Florange conserve pourtant cette image?
«Je pense que certains politiques y ont joué leur carte et leur va-tout. Et la dramatisation de la situation a favorisé le parcours politique de certains. Mais c’est aussi ce qui a permis d’avoir les Accords de Florange, qui ont entraîné les investissements d’ArcelorMittal. Bien sûr, cela nous a permis d’être médiatiques, donc d’avoir une place particulière, mais je préfèrerais qu’on parle d’autres industries. Parce que lorsqu’on parle d’industrie à Florange, ce n’est pas qu’ArcelorMittal, c’est aussi ThyssenKrupp Presta France, qui emploie 1.250 salariés, ou encore Umicore.
ArcelorMittal a récemment annoncé qu’une décision devrait être prise dans les six mois concernant les hauts fourneaux...
«Si on les relance, il faut revoir toutes les contraintes d’urbanisme, recréer des voies ferrées, parce que celles existantes ne sont plus utilisables, recréer la station de traitement de CO2 de Richemont, qui a été démolie l’année dernière, refaire tout le réseau de pipeline de transport de CO2, refaire l’aciérie électrique qui était en place, ou tout type d’aciérie, etc. Il faut recréer tout le site en réalité, on ne peut pas ‘juste’ les relancer. Je pense que l’on est parfois plus dans la posture politicienne que sur la réalité du territoire, donc si on repart pour 10 ans de mise sous cocon, c’est la mort de Hayange et du reste de la vallée de la Fensch.
Il faut aussi se poser la question de la reconversion, du réaménagement du site, que ce soit par de l’activité industrielle ou autre chose. Et c’est aux élus de Hayange, mais aussi du Val de Fensch, d’y réfléchir, parce que je crois que cela fait partie des compétences du territoire, parce que si Hayange, première ville de la vallée, meurt, il y aura des conséquences sur tout le reste du territoire. Nous avons un véritable enjeu qui dépasse le cadre national. Mais cela restera la décision de l’industriel.
Il faut que ce braquet médiatique sur les hauts fourneaux cesse.
Rémy Dick, maire de Florange
Pensez-vous qu’un jour cette image de Florange changera?
«Oui, bien évidemment. Il faut déjà que ce braquet médiatique sur les hauts fourneaux cesse. Il faut peut-être que l’on en parle autrement. Je préfère quand on me parle du scandale environnemental. 20 Minutes avait titré que nous étions la ville la plus polluée de France; bien sûr, c’est négatif, mais au moins il y a eu une vraie incidence sur les populations, et ça nous aide aussi dans notre rapport avec ArcelorMittal à être plus exigeant. À Florange, il y a la question de la cokerie (implantée à cheval sur la commune de Serémange-Erzange, ndlr), son incidence environnementale sur le territoire, et ce sont des débats sains, puisque derrière, cela amène à des vraies actions et des vrais investissements sur le territoire. Alors que la problématique des hauts fourneaux tourne en rond depuis le début des années 2000, et au final, rien ne bouge.
Nous avons un comité de suivi du site en matière de pollution, et je serai intransigeant avec le groupe. Il y a encore beaucoup trop d’épisodes de pollution où tout le monde se regarde en chiens de faïence, et où on finit par porter plainte contre X parce que personne n’assume la responsabilité, et qu’on a du mal à avoir une traçabilité. Nous portons plainte contre X à chaque fois, et si on a une vraie preuve qu’Arcelor est le principal concerné, soit nous alertons le procureur, soit on transmet à la Dreal.
De quels types de pollution s’agit-il?
«Il y a notamment eu un épisode avec des pluies torrentielles en juin dernier, où nous avons eu un déversement de coke, des eaux noires dans les caves des habitants, tout s’était déversé dans la Fensch après. Presque une fois par mois, de fortes odeurs de benzène se font sentir dans la ville. Sur ces sujets, il y a un collectif qui se met en place, et nous les soutenons, parce qu’il y a un ras-le-bol de la part des habitants. Mais nous sommes sur un pic positif par rapport à ce qui se faisait avant. Depuis 2013, il y a un comité de suivi du site qui a été mis en place, et on voit que la pollution a baissé massivement. Désormais, je n’hésite plus à appeler directement les représentants d’ArcelorMittal quand il y a un problème environnemental, et ils se déplacent, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques mois.
Si on ne fait pas ce projet, on se posera la question de fermer La Passerelle.
Rémy Dick, maire de Florange
Pour que Florange voie son avenir autrement qu’à travers l’industrie, vous portez également un projet d’investissement concernant La Passerelle?
«Selon moi, c’est la restructuration du centre-ville qui est en jeu. Nous sommes prêts à mettre cinq millions d’euros hors taxes au niveau de la ville pour le projet dans sa globalité, sur lesquels nous aurons certainement quelques financeurs publics et privés. L’objectif est notamment d’agrandir la salle, de passer de 430 places assises à 1.000 places assises, et de 1.000 places debout à 1.500 places en assis-debout. L’idée est d’autonomiser totalement la salle culturelle, qu’elle soit professionnelle, en termes de réglementation, parce qu’aujourd’hui, elle impose ses réglementations à la partie centre social, et de créer un centre social unique, parce qu’aujourd’hui, le centre social a cinq ou six bâtiments dans la ville, qui ne sont plus aux normes sur plusieurs plans. L’idée serait donc de démolir certains bâtiments utilisés par le centre social, et de faire un pôle social unique. Le projet prévoit également de réaliser des logements avec des commerces, aussi, et d’agrandir le parking.
Pourquoi vous concentrer sur La Passerelle?
«Aujourd’hui, il y a un véritable enjeu financier pour nous, l’équipement se dégrade, et si on compte les mises aux normes nécessaires, la création d’un lieu de stockage supplémentaire, etc., il y a déjà environ un million d’euros de frais nécessaires. Sachant qu’aujourd’hui, le lieu coûte à la Ville près d’un million d’euros de frais de fonctionnement, et que nous sommes à 300.000 euros de déficit de spectacle, il y a une vraie problématique. L’idée serait de rentabiliser la salle, et de gagner en frais de fonctionnement en limitant le déficit de spectacle. Si on ne fait pas ce projet, à un moment donné, on se posera la question de fermer La Passerelle. On se retrouvera confrontés à un choix cornélien, soit on limite les coûts annuels, c’est-à-dire qu’on limite le nombre de spectacles, ou la qualité des spectacles, et donc on tue l’équipement, soit on arrête tout, on utilise le lieu comme salle communale, on rénove à minima et on arrête l’ambition qu’était La Passerelle.
Cinq millions d’euros HT, cela représente environ 6,5 à 7 millions d’euros, c’est un projet conséquent pour la Ville...
«Nous voulons faire ce choix ambitieux, et selon moi, c’est le sujet de Florange pour les 10 prochaines années. Le projet est déjà passé en conseil municipal, nous avons validé le programme, et nous entrons dans la phase de jury-maîtrise d’œuvre, qui va se poursuivre jusqu’en avril. Après ces huit mois d’études, nous prévoyons 12 mois de travaux. Il n’y a normalement pas de risque que cela ne se fasse pas, mais tout dépendra aussi des élections municipales de 2020. Le but est de redonner de l’attractivité à la ville, et de jouer sur l’image de La Passerelle, qui fait venir des spectateurs de Metz, parfois du Luxembourg. Mais aujourd’hui, aussi, la difficulté est également que l’on a des prix plus bas que la moyenne, financés par de l’impôt florangeois, donc, l’idée serait aussi d’avoir une politique tarifaire différente pour les habitants de la ville, avec le nouvel équipement.»
NDRL: cette interview a été réalisée avant l’annonce ce mardi 18 décembre d’ArcelorMittal de fermer définitivement les hauts-fourneaux de Hayange.