Flëpp a 20 ans et vit toujours avec sa maman. Il faut dire qu’elle est passablement dépressive et totalement possessive, surtout depuis le suicide de son mari. Étouffé dans ce quotidien assez malsain, mourant d’ennui dans un village des Ardennes luxembourgeoises, même pas joli, le jeune homme va tenter de se sauver avec Leena, une jeune Bosniaque totalement à l’opposé de lui, indépendante et sans attache. C’est sans compter le poids de la culpabilité et son incapacité à être libre.

Le synopsis du film de Jacques Molitor n’est pas des plus réjouissants. Il est même carrément sombre, comme l’est d’ailleurs l’image, qui – si on ose l’oxymore – est d’une flamboyante noirceur. On savait Jean-Louis Schuller, le directeur photo, doué, et il prouve ici sa grande maîtrise de l’image, profondeur de champ, jeux sur les flous, contrôle de la couleur. Et ces images aident beaucoup le film, surtout visionné en scope sur grand écran.

Au moins depuis son court-métrage En compagnie de la poussière (2008), on sait que Jacques Molitor est obnubilé par la manipulation des sentiments, la culpabilité et les non-dits. «Ça me fascine la manipulation au nom de l'amour.» On sait aussi que la mort et le sexe rôdent dans tous ses films où symboliquement l’eau a une grande importance.

S’il n’est pas toujours nécessaire de décoder les films à l’aune de la biographie de leurs auteurs, le réalisateur livre cependant quelques pistes. «La relation tumultueuse et fusionnelle qui me lie à mes propres parents m’a fait réfléchir sur mon rôle en tant que fils.» Oser décevoir ses parents est le jalon ultime de la liberté. Et Leena n’arrivera pas à sauver Flëpp, tout simplement parce qu’il ne veut pas vraiment être sauvé.

Des questions en suspens

Si le film laisse parfois le spectateur sur sa faim en ne répondant pas à certaines questions (pourquoi le père s’est-il suicidé, quels sont les traumatismes vécus par Leena, pourquoi le promoteur immobilier s’acharne-t-il sur cette maison, etc.), il réussit cependant à nous faire croire à cette histoire, aussi dérangeante soit-elle.

C’est en grande partie grâce aux comédiens qui sont toujours justes et à leur place. Max Thommes oscille entre le gamin soumis, l’ado révolté et l’amant inexpérimenté. Tantôt trop grand (Leena l’appelle «tall»), tantôt trop petit (sa mère l’appelle «lapin» et la voisine «le petit»), il fait ce qu’il peut dans un corps encombrant, perclu d'asthme, des vêtements taillés pour son père et des sentiments qui débordent de tout cela.

La mère, Myriam Muller, ose être laide, le visage déformé par les larmes, avant de se reprendre pour jouer la mère parfaite, à laquelle pourtant personne ne croit. La jeune Maja Juric, issue d’un casting organisé à Sarajevo, resplendit d’insolence avec des yeux qui transpercent tous les cœurs. Les rôles secondaires Jules Werner (le promoteur avide, vulgaire et parvenu) et Christiane Rausch (la voisine dont l’embonpoint et la faim d'hommes cachent mal un cœur d’artichaut) apportent ce qu’il faut de respiration pour éviter de se noyer dans la noirceur.

Produit par Bernard Michaux, Mammejong a été présenté au festival Max-Ophüls-Preis de Sarrebruck et sera projeté en avant-première ce soir à l’Utopolis, avant sa sortie en salle demain.