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Sociétés d’utilité publique, cabinets d’avocats, organes publics ou Big Four, rares sont aujourd’hui les structures qui peuvent se passer de plans de formation. Pour les métiers juridiques ou techniques, il en va de l’exercice du métier ou de la validation des acquis. En parallèle à l’explosion des TIC démultipliant les possibilités d’e-learning et d’accès à distance aux meilleures universités ou spécialistes internationaux, l’apprentissage se fait aussi et surtout sur le terrain.

Le développement d’un collaborateur ne peut pas exclusivement être académique et technique.

Vinciane IstaceVinciane Istace, Payroll et human capital partner (PwC)

«Le développement d’un collaborateur ne peut pas exclusivement être académique et technique», soutient Vinciane Istace, payroll et human capital partner chez PwC. «On estime qu’en moyenne, 70% de l’apprentissage professionnel se fait lors de la pratique concrète d’un métier et l’exposition à une situation donnée; 20% proviennent de la transmission d’expérience au contact des autres et 10% de la formation cadrée et institutionnalisée.» S’il en a toujours été ainsi, le fait que l’apprentissage en fonction au côté de ses pairs soit encouragé, validé et cadré par les RH est plutôt récent. «L’apprentissage informel et l’intelligence collective sont à présent tout autant valorisés que la formation individuelle», appuie Magali Maillot, HR director chez Allen & Overy. «Le mentoring est un des moyens de les susciter.» 

L’apprentissage informel et l’intelligence collective sont à présent tout autant valorisés que la formation individuelle.

Magali MaillotMagali Maillot, HR director (Allen & Overy)

Remise à niveau

En pleine phase d’amélioration et de modernisation de ses services depuis 2009, l’Agence pour le développement de l’emploi (Adem), acteur phare quand il s’agit de s’intéresser à l’employabilité au Luxembourg, poursuit une philosophie résolument pragmatique dans de nombreux métiers. Confrontée à un taux de chômage inédit, l’agence a réformé ses services adressés aux employeurs dès 2014. «Nous avons complètement changé d’optique», explique Gaby Wagner, directrice adjointe de l’Adem. «Autrefois, les candidats étaient envoyés sans filtre aux entreprises. Grâce à un nouvel outil de tri couplé à une validation humaine, ce n’est plus le cas. C’est un vrai changement de regard. De nouvelles personnes ont été intégrées aux équipes dans la foulée.»

Notre image change et on parvient à des binômes entreprises/conseillers qui fonctionnent bien.

Gaby WagnerGaby Wagner, Directrice adjointe (Adem)

40 des 400 collaborateurs de l’Adem font actuellement vivre cet outil qui développe de plus en plus de services sur mesure. «Les efforts consentis commencent à payer», se réjouit Gaby Wagner. «Nous recevons un nombre grandissant de déclarations de postes des entreprises. En ce moment, nous avons environ 2.000 nouvelles offres par mois. Notre image change et on parvient à des binômes entreprises/conseillers qui fonctionnent bien.»

Nous avons travaillé avec l’Adem qui a organisé des formations courtes pour une quinzaine de personnes.

Luc ScheerLuc Scheer, Membre du comité de direction (Croix-Rouge luxembourgeoise)

Des formations sur mesure et ancrées dans la pratique sont depuis lors coorganisées avec les employeurs pour répondre aux besoins directs de certains secteurs, de la découpe du poisson pour la Provençale à des formations en logistique pour des acteurs du cargo en passant par le montage de fenêtres. «Nous avons travaillé avec l’Adem qui a organisé des formations courtes sur quelques semaines pour une quinzaine de personnes», témoigne Luc Scheer, membre du comité de direction de la Croix-Rouge luxembourgeoise. «Pour les recrutements de personnel non qualifié, ces modules, couplés à des stages en entreprise, augmentent fortement les chances d’intégration professionnelle. Ces personnes ainsi engagées peuvent être plus rapidement autonomes dans leur travail.» 

La formation est la seule manière d’aider les non-qualifiés et de leur donner une chance.

Gaby WagnerGaby Wagner, Directrice adjointe (Adem)

S’ils sont encore quatre sur dix inscrits dans les listings à disposer d’un niveau de qualification inférieur, depuis 2012, l’offre de cours proposés a sérieusement été étendue. «La formation est la seule manière d’aider les non-qualifiés et de leur donner une chance», indique la directrice adjointe de l’Adem. «Dans le cas du programme Fit4coding, réalisé avec le soutien de PwC, par exemple, les entreprises sont directement impliquées dans la définition du contenu. Dans la grande majorité des cas, les participants trouvent un emploi à leur sortie.»

Pépinière à alimenter

Mobilisant des profils très qualifiés, dont une grande partie disposant de double cursus, Allen & Overy emploie une tout autre population. Une majorité des avocats est recrutée dès la sortie de l’école, puis formée chaque année pour répondre aux besoins du cabinet. «Le diplôme est, avant tout, un passeport pour décrocher un entretien. Le bagage académique ne suffit pas», affirme Magali Maillot. «Bien souvent, nos collaborateurs juniors doivent encore apprendre à gérer un dossier quand ils démarrent. Ce sont de bons juristes point.»

Nos collaborateurs juniors doivent encore apprendre à gérer un dossier quand ils démarrent.

Magali MaillotMagali Maillot, HR director (Allen & Overy)

Sur trois ans, les nouvelles recrues sont ainsi formées tout au long de leur stage judiciaire. «On favorise initialement la tête la mieux faite techniquement. Ensuite, à nous de compléter leur cursus: formations juridiques dans toutes les matières du droit données par nos spécialistes, mais aussi formation soft skills en assertivité, relations clients… Le programme est assez lourd et s’ajoute aux tâches quotidiennes, mais il leur permet d’apprendre leur métier.»

Le programme est assez lourd, mais il leur permet d’apprendre leur métier.

Magali MaillotMagali Maillot, HR director (Allen & Overy)

Une fois plus expérimentés, ils découvrent des aspects plus stratégiques et managériaux. Magali Maillot ajoute: «Les bons juristes ne font pas forcément de bons marketeurs, ni de bons managers. Pour évoluer, en particulier vers le statut d’associé, savoir gérer une équipe est indispensable. Aux RH de les y aider. Nous mettons un fort accent sur le développement personnel.»  

Nos stagiaires sont une vraie force contributive à nos activités. C’est une filière de prérecrutement capitale.

Vinciane IstaceVinciane Istace, Payroll et human capital partner (PwC)

Même philosophie du côté de chez PwC, gros employeurs de juniors. Les RH du Big Four gèrent quelque 850 entrées par an, dont environ ¾ de jeunes recrues. Parmi celles-ci, 50% de stages et 50% de CDI. «La circulation des talents est un enjeu essentiel pour nous», souligne Vinciane Istace. «Nos stagiaires sont une vraie force contributive à nos activités. C’est une filière de prérecrutement capitale. Nous faisons tout pour les intégrer à la culture. Dans une société de services intellectuels comme la nôtre, plus que la technique pure, c’est l’agilité et l’état d’esprit qui font la différence. Toute notre création de valeur repose sur une logique collaborative.»

La relation à l’autre, l’écoute et la capacité à prendre des initiatives sont les qualités qui comptent le plus.

Magali MaillotMagali Maillot, HR director (Allen & Overy)

Et Magali Maillot d’aller dans le même sens: «La relation à l’autre, l’écoute et la capacité à prendre des initiatives sont les qualités qui comptent le plus. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend dans une salle de cours.» «Dans les évaluations, les aspects comportementaux sont tout aussi analysés que la performance», précise encore Vinciane Istace.

Émulation collective

Si le partage d’informations et de connaissances s’est toujours fait, la pratique intéresse de près les départements RH. «Se former par la pratique fait partie du bon sens. Cependant, c’est important de l’acter et de communiquer autour de ce sujet. Le management doit s’engager dans ce domaine», constate Magali Maillot. «Nous allons prochainement, par exemple, mettre en place un programme de 'career buddies' pour encourager et diffuser ce partage d’expériences à plus grande échelle.»

Plus que la technique pure, c’est l’agilité et l’état d’esprit qui font la différence.

Vinciane IstaceVinciane Istace, Payroll et human capital partner (PwC)

À la Croix-Rouge, une attention particulière est accordée aux compétences comportementales: «Une grande partie de nos employés est en contact direct avec nos bénéficiaires, qui sont en règle générale des personnes vulnérables. L’aspect humain est tout aussi essentiel que les compétences techniques», déclare Luc Scheer. «C’est d’ailleurs un critère de recrutement. Une infirmière doit savoir comment se comporter chez le patient dès le moment où elle entre chez lui. Dans nos métiers, le mentoring et l’accompagnement se font naturellement dès la prise de poste. Cela n’empêche pas les RH d’y accorder une attention particulière et de formaliser l’identification et la validation des compétences comportementales.» 

L'aspect humain est un de nos critères de recrutement.

Luc ScheerLuc Scheer, Membre du comité de direction (Croix-Rouge luxembourgeoise)

Longtemps dominée par la recherche de performance et la preuve de résultats, la culture de PwC tend, quant à elle, à s’adoucir et intègre cet apprentissage plus horizontal. Vinciane Istace dévoile: «Nous voulons consacrer plus d’énergie au développement et au potentiel, donc au futur et à l’évolution, et moins au reporting et à la justification. Le mentoring et la création de réseaux internes participent à cette idée que l’autre peut m’apprendre quelque chose. Ce sont des choses qui doivent se structurer.»

Miser sur le coaching

Suivant l’effervescence des années 2000 autour du coaching, de nombreuses entreprises se sont emparées de la technique en interne, autre source de formation plus informelle. «C’est un concept qui nous intéresse beaucoup, même s’il ne faut pas oublier qu’il a un coût important. Nous y avons recours de manière ponctuelle, en particulier pour l’accompagnement de nos encadrants», partage Luc Scheer.

Nous avons recours au coaching de manière ponctuelle.

Vinciane IstaceVinciane Istace, Payroll et human capital partner (PwC)

Chez Allen & Overy, le coaching se fait en interne par et pour l’organisation. «Nous avons insourcé la méthode et mis en place un réseau de coachs certifiés qui connaissent bien la culture et les contraintes du métier. Ils viennent souvent de la fonction RH. C’est un outil très précieux pour réfléchir et prendre du recul. Comme avec un coach externe, la confidentialité doit être totale», indique encore Magali Maillot. «Sans indépendance ni confiance, cela ne peut pas fonctionner. Pour certains sujets comme le time management ou la gestion du stress, les formations classiques ont été entièrement remplacées par des sessions de coaching.»

Le coaching est un outil très précieux pour réfléchir et prendre du recul.

Magali MaillotMagali Maillot, HR director (Allen & Overy)

Ces coachs se font eux-mêmes coacher par d’autres. Et Vinciane Istace de clôturer: «On se rend progressivement compte que l’intelligence émotionnelle est indispensable au leadership. Né hors de l’entreprise, le coaching en fait aujourd’hui partie intégrante. Nous le proposons notamment dans le cadre de notre programme 'Mind yourself' dédié au bien-être. C’est un investissement de part et d’autre. Si la méthode était encore perçue comme une pratique ésotérique il y a quelques années, on la voit aujourd’hui comme une chance dans un parcours de vie. C’est aussi une forme d’apprentissage.»