Charles Muller, avocat et directeur indépendant, Jacques Elvinger, d’Elvinger Hoss Prussen et Marc-André Bechet, Directeur Legal & Tax pour l’Alfi. (Photo: Maison Moderne)

Charles Muller, avocat et directeur indépendant, Jacques Elvinger, d’Elvinger Hoss Prussen et Marc-André Bechet, Directeur Legal & Tax pour l’Alfi. (Photo: Maison Moderne)

«Hypothéquer l’avenir» selon Marc-André Bechet et Jacques Elvinger, Alfi

Les fonds de droit luxembourgeois sont soumis à un impôt calculé sur la base d’un taux sur le montant de leur actif net, payable trimestriellement. Le taux de base applicable est de 0,05% par an. Certains fonds bénéficient d’un taux réduit ou d’une exemption, par exemple les fonds monétaires et les fonds indiciels qui ont traditionnellement un faible taux de frais, ou les fonds spécialisés dans le microcrédit pour des raisons d’intérêt général. Par ailleurs, certaines catégories d’investisseurs tels que les institutionnels ou les fonds de pension bénéficient également d’un taux réduit. 

«The uniqueness of Ireland’s offering is that it doesn’t impose annual subscription taxes on funds». Cette citation de Irish Funds dans: «Ireland: A Guidebook For Chinese Asset Managers» avec détail de la taxe d’abonnement à Luxembourg en footnote, souligne à quel point la concurrence est exacerbée avec Dublin, le principal concurrent de Luxembourg pour les fonds transfrontaliers. Cette taxe est quasiment unique en Europe, elle constitue un désavantage concurrentiel pour attirer les fonds vers Luxembourg.

La taxe d’abonnement est un impôt qui, dans la mesure où il est payé par les fonds, est supporté par les investisseurs au même titre que l’ensemble des autres frais.

Marc-André Bechet et Jacques Elvinger, Alfi

L’exonération de taxe d’abonnement sur les fonds indiciels et les fonds monétaires, introduite en réaction au transfert de ces fonds vers l’Irlande, fut trop tardive pour être efficace. D’une quasi-parité en 2008 pour les fonds indiciels/ETF avec 21 milliards pour Luxembourg et 24 pour l’Irlande, cette dernière a bénéficié d’une croissance exponentielle avec 447 milliards pour l’Irlande contre 172 pour Luxembourg en 2018.

Globalement et sur la même période, la part de marché des fonds de l’Irlande en Europe est passée de 10% à 15,3%, Luxembourg passant de 25,7% à 26,6%. L’augmentation naturelle des actifs portée par un effet de masse et l’évolution des marchés financiers ne doit donc pas occulter le fait que la croissance de l’Irlande est bien supérieure à celle de Luxembourg.

Il serait par ailleurs erroné de croire que le sujet ne concerne que l’industrie elle-même. La taxe d’abonnement est un impôt qui, dans la mesure où il est payé par les fonds, est supporté par les investisseurs au même titre que l’ensemble des autres frais.

L’Alfi souhaite donc qu’une analyse en profondeur du système de la taxe d’abonnement soit faite pour en repenser les principes.

Marc-André Bechet et Jacques Elvinger, Alfi

Force est de constater que sous l’effet de la concurrence, de la transparence accrue et d’une plus grande protection des intérêts des investisseurs, tous les commissions et frais mis à charge des fonds, et donc de leurs investisseurs, ont diminué de manière substantielle: le seul frais qui n’a pas diminué est l’impôt perçu par l’État luxembourgeois.

Aussi, de par la baisse des commissions et frais prémentionnés, la taxe d’abonnement est devenue, proportionnellement, beaucoup plus importante: si0, 05% est peu significatif pour un fonds à 2% de frais annuels de fonctionnement, il en est désormais autrement avec un niveau de frais qui peut descendre à 0,50% y compris pour des fonds actions en gestion active.

La Commission européenne et l’autorité de supervision Esma poursuivent leurs efforts pour plus de convergence et d’homogénéité entre les différentes places financières, dans l’intérêt des investisseurs. A contrario, les facteurs permettant de positionner favorablement Luxembourg se réduisent pour l’essentiel à la qualité et au professionnalisme des acteurs et de l’autorité de supervision, à la transposition rapide et fidèle des textes européens – et à la fiscalité, d’où la sensibilité croissante des acteurs au sujet de la taxe d’abonnement.

Il y va de l’intérêt public d’assurer le futur de l’industrie des fonds, un secteur d’activité qui emploie 14.000 personnes et génère 46% des recettes fiscales du secteur financier.

Marc-André Bechet et Jacques Elvinger, Alfi

L’Alfi souhaite donc qu’une analyse en profondeur du système de la taxe d’abonnement soit faite pour en repenser les principes, en tenant compte des différents types de fonds, des catégories d’investisseurs et de la tendance fondamentale vers une baisse des frais de fonctionnement des fonds.

Il y va de l’intérêt public d’assurer le futur de l’industrie des fonds, un secteur d’activité qui emploie 14.000 personnes et génère 46% des recettes fiscales du secteur financier. Ces recettes sont générées non seulement par la taxe d’abonnement, mais par l’activité des acteurs à Luxembourg, génératrice d’impôt sur le revenu pour les sociétés tout autant que pour les employés qui sont actifs ou travaillent dans ce secteur. 

Un aménagement de cet impôt est donc à mettre en relation avec le potentiel de croissance future des fonds à Luxembourg et donc une augmentation des recettes fiscales de l’État luxembourgeois. Ne pas réagir tant qu’il en est temps revient à hypothéquer l’avenir.

«Le monstre du Loch Budget», selon Charles Muller, avocat et directeur indépendant

La discussion sur la réduction de la taxe d’abonnement est comme le monstre du Loch Ness. Elle pointe son nez à l’occasion puis redisparait sans conséquence. Si elle pose des questions de principe justifiées, la faire remonter juste en période électorale me semble aussi inapproprié que futile.

Inapproprié, car l’électeur la placera dans la longue série des tentatives perçues des gros bonnets de s’en mettre plein les poches en échappant à l’impôt.

Futile, car la taxe d’abonnement rapporte de nos jours près d’un milliard d’euros de revenus à l’État de sorte qu’aucun ministre des Finances de quelque couleur qu’il soit n’y touchera de peur de se retrouver avec un énorme trou budgétaire.

Une taxe Tobin avant l’heure

Rappelons tout d’abord que, techniquement, la taxe d’abonnement est une taxe sur la circulation des parts de fonds, donc une sorte de taxe «Tobin». L’Alfi a donc raison d’insister sur le fait que ce n’est pas le fonds qui en est en fait redevable (même si le fonds la retient pour la transmettre à l’État), mais bien l’investisseur, qui par ce fait perd une partie de son rendement.

La taxe n’a pas d’égal en Europe de sorte que l’Alfi a encore raison de signaler qu’elle constitue un désavantage compétitif par rapport à d’autres centres financiers (et notamment l’Irlande) qui placent théoriquement les fonds sous le régime de l’impôt sur le revenu (même si en pratique, ils ne paient rien) et bénéficient dès lors des traités de non double imposition (dont les fonds luxembourgeois ne bénéficient souvent pas). En bref, et sans rentrer plus en détail dans les méandres techniques, l’Alfi a fondamentalement raison dans son argumentation.

La taxe donc la perte de rendement est minime (maximum 0.05% par an).

Charles Muller, avocat et directeur indépendant

Seulement voilà: la taxe donc la perte de rendement est minime (maximum 0.05% par an), et l’investisseur (surtout le client dit «retail» – donc nous tous) ne sait même pas qu’il la paie. En fait, le plus souvent, il ne sait même pas que le fonds qu’il achète est luxembourgeois. Rappelons ici que les investisseurs sont domiciliés à travers le monde et (comme pour d’autres produits) achètent une marque sans trop se poser la question du lieu de fabrication («made in Luxembourg»).

Il va sans dire qu’étant pratiquement toujours non Luxembourgeois, ils ne sont pas électeurs et auraient, même s’ils le voulaient, que peu de poids pour faire changer les choses.

La poule aux œufs d’or

Du côté de l’État luxembourgeois, la taxe d’abonnement est un vrai miracle: près d’un milliard d’Euros par an perçus automatiquement avec très peu d’infrastructure administrative et sans que les contribuables ne rouspètent. Pas surprenant donc qu’aucun parti politique n’aborde vraiment le sujet, même si tout le monde reconnait que le Grand-Duché ne devrait pas se rendre trop dépendant d’un seul secteur de l’économie...

Il fut un temps où un ancien ministre des Finances avait promis de revoir la situation du moment que les revenus atteignaient les 500 millions, mais bon... qui immolerait volontairement la poule aux œufs d’or?

La taxe n’a pas vraiment d’impact négatif majeur sur l’attractivité du pays.

Charles Muller, avocat et directeur indépendant

Il est vrai aussi que l’augmentation du nombre et des avoirs des fonds d’investissement de ces dernières années (et le positionnement du Luxembourg dans un contexte Brexit) semblent prouver que la taxe n’a pas vraiment d’impact négatif majeur sur l’attractivité du pays.

Une approche sélective

Vouloir revendiquer une réduction générale de la taxe me semble dès lors illusoire. Une approche sélective (limitée à certains types de fonds) pourrait par contre être plus prometteuse et compenser le manque à gagner dû à la diminution ou l’abolition de la taxe par une action de nation-branding ou tout simplement de bonne conscience.

On pourrait par exemple soulager les fonds qui suivent certains critères d’investissement socialement responsable, de respect des droits de l’homme, d’éléments environnementaux... Rappelons dans ce contexte que le Luxembourg a pris au plan international certains engagements, notamment dans le cadre du COP21 ou des principes directeurs des Nations-Unies relatifs aux entreprises et droits de l’homme.

Alors que les groupes de travail sur le nouveau programme gouvernemental entament leurs travaux, voilà une piste ambitieuse, mais réaliste et humaine à creuser.