Le Luxembourg s’apparente-t-il à un nouvel eldorado du gaming ? Depuis un peu plus d’un an, régulièrement, on voit arriver d’importants acteurs du jeu vidéo en ligne au Luxembourg. Officiellement, on sait que Valve Corporation, Kabam, Nexon, Innova, Bigfishgames ou encore OnLive ont décidé de développer leurs activités en Europe depuis le Grand-Duché. « Mais, déjà en 2008, alors que personne ne parlait de gaming, nous avons accueilli le premier acteur du secteur au Luxembourg dans l’un de nos data centers, explique Yves Reding, CEO de eBRC. Nous avons une politique de discrétion autour de nos clients. L’année dernière, un nouvel acteur majeur du gaming a décidé de nous faire confiance. Et nous sommes en contacts permanents avec plusieurs autres acteurs, intéressés par le Luxembourg. »
S’ils sont peu nombreux à avoir affiché leur volonté d’attirer les acteurs du gaming, en particulier quand le Luxembourg a décidé de se placer au cœur des autoroutes de l’information, les distributeurs de jeux en ligne constituent toutefois un créneau de diversification intéressant pour les providers de la Place. « Le gaming, en effet, cadre avec la stratégie du gouvernement d’attirer des acteurs de l’e-commerce, dans la vision la plus large que l’on peut en avoir, poursuit Tom Kettels, conseiller de direction auprès du Service des médias et des communications du ministère d’État. Nous sommes même très confiants pour les développements futurs à ce niveau. Cette affluence d’acteurs du gaming devrait se confirmer dans les mois qui viennent. »
Derrière le jeu, du business
Si cela n’apparaît pas forcément comme évident au départ, le jeu vidéo en ligne, au cœur de la société de loisirs dans laquelle nous baignons, génère des revenus substantiels. « Pour nous, le gaming fait effectivement partie de l’e-commerce, précise M. Reding. Derrière le jeu, il y a des transactions financières, qui permettent aux utilisateurs, éparpillés partout dans le monde de jouer. Et même, derrière des jeux en ligne gratuits, on trouve du micro-paiement, permettant aux utilisateurs d’accéder à des accessoires particuliers, au cœur du jeu, ou à des niveaux supplémentaires. À partir du moment où, pour fonctionner, le gaming comme l’e-commerce exigent des services à haute valeur ajoutée au sein de nos data centers, comme de la haute disponibilité, des services managés à valeur ajoutée, un niveau de débit optimal, un temps de latence réduit… ces acteurs font partie de notre cible. »
En provenance de l’Est comme de l’Ouest, les acteurs du gaming, d’envergure internationale, dont l’arrivée a été remarquée, s’installent au Luxembourg avec pour objectif de conquérir l’Europe. À cette fin, une infrastructure de haute qualité est essentielle pour délivrer aux joueurs les plus exigeants, qui peuvent parfois passer des heures – voire des nuits – accrochés à leur écran, une expérience de jeu optimale. Si l’efficience n’y est pas, ils se tourneront rapidement vers le jeu d’un concurrent. « En outre, on trouve 75 % du PIB de l’Europe dans un rayon de 500 km autour de Luxembourg. C’est une position idéale pour les acteurs du gaming qui bénéficient, en développant leurs infrastructures au Luxembourg, d’un avantage stratégique indéniable », explique Jérôme Grandidier, CEO de Telecom Luxembourg Private Operator.
Dans le cas de jeux en ligne, le temps de latence est particulièrement important. Il dépend notamment de la distance qu’il peut y avoir entre un joueur et le data center. « Dans un jeu de guerre multi-joueurs en ligne, ce n’est pas forcément celui des deux joueurs, qui tirera le premier, qui gagnera, mais celui qui aura le meilleur temps de latence, poursuit M. Grandidier. Aussi, les sociétés de gaming, quand elles s’installent sur un territoire, veulent s’assurer que ce temps de latence sera optimal. Le Luxembourg, avec son infrastructure et sa position géographique centrale, permet de répondre à ces exigences. »
Un ensemble de facteurs
La position géographique et les infrastructures luxembourgeoises ne sont toutefois pas les seuls arguments qui permettent aujourd’hui au pays de bien se vendre auprès des acteurs internationaux du gaming. « Avant de nous établir au Luxembourg, nous avons fait de nombreuses investigations, confirme Garegin Margaryan, vice-president of software engineering d’Innova, distributeur russe de jeux en ligne. On évalue chacune des Places envisagées, sur divers critères, comme les infrastructures, la technologie, les compétences présentes sur la Place, les coûts d’exploitation ou encore les aspects légaux et fiscaux. Au niveau fiscal et financier, nous avions déjà noté que le Luxembourg présentait certains intérêts. Mais ce sont avant tout la qualité des infrastructures développées ici qui nous ont séduits. »
L’efficience, la sécurité des data centers, la connectivité optimale parviennent à convaincre les acteurs du secteur du jeu, souvent considérés comme les plus exigeants. « Le monde du gaming évolue très rapidement. C’est lui qui tire vers le haut le développement du business Internet et le développement technologique, au même titre que la Formule 1 peut faire avancer le secteur automobile dans son ensemble, poursuit M. Margaryan. Si le Luxembourg peut répondre aux exigences des acteurs du gaming, il pourra alors répondre aux attentes de l’ensemble des autres business sur Internet. »
Alors que le coût de la main-d’œuvre et des mètres carrés au sein des data centers au Luxembourg en aurait, sans doute, freiné plus d’un, les coûts opérationnels semblent contrebalancer ce point noir. « Nous sommes par exemple attentifs à un indicateur dénommé Power Usage Efficiency. Avec l’augmentation des prix de l’énergie, l’efficience énergétique des data centers pèse lourd dans la balance. Les infrastructures au Luxembourg présentent, de loin, des performances inégalées en la matière », continue M. Margaryan. À cela s’ajoute aussi, de l’aveu du représentant de la société russe, de la grande volonté du gouvernement de développer le secteur, au niveau de la Place. « Jour après jour, je suis conforté dans l’idée que nous avons fait le bon choix en nous installant ici, pour déployer notre stratégie au niveau de l’Europe », explique-t-il.
Accompagnement durable
Les acteurs du gaming qui se sont installés à Luxembourg, à l’exemple d’Innova, l’ont fait avant tout – disent-ils – pour profiter des structures d’hébergement, afin de distribuer leurs jeux auprès d’une clientèle européenne. Les structures, en matière d’emplois, sont plutôt légères. « À l’heure actuelle, la plupart de ces acteurs occupent entre 5 et 20 personnes au Luxembourg », explique Tom Kettels. Leur développement, toutefois, devrait aller de pair avec celui de leur taux de pénétration sur le marché européen.
« Les grands acteurs prétendent, à terme, avoir des objectifs d’une centaine d’emplois au sein de leur structure », poursuit le conseiller du Service des médias et des communications.
Le gaming est un secteur au cœur duquel une société peut être créée en une heure de temps, sur une idée. Elle peut croître très vite, mais chuter tout aussi rapidement. La récente faillite, aux États-Unis, d’OnLive (avec un passif de quelque 40 millions de dollars) en est la preuve. La société – qui a établi une antenne au Luxembourg en juin 2011 – nourrissait de (trop) grandes ambitions et n’a pas survécu à un surinvestissement massif en infrastructures. Elle n’en reste pas moins opérationnelle, après son rachat par Lauder Partners.
Pour le Luxembourg, on parle évidemment d’un marché d’opportunité. Si les acteurs qui s’installent au Grand-Duché ont déjà, pour la plupart, les reins solides, leur réussite contribue indirectement au développement du secteur au Luxembourg. Il est donc important, pour les acteurs de la Place, provider, opérateur ou data center, de s’inscrire durablement aux côtés des acteurs du jeu en ligne. « C’est tout l’enjeu, commente Yves Reding. Notre rôle n’est pas mettre du froid et de l’énergie à leur disposition. Mais bien, au-delà des infrastructures, de les accompagner avec une série de compétences pour les faire grandir. Pour cela, il faut passer du temps à leurs côtés, les suivre dans leur stratégie de développement, mais aussi dans l’amélioration des services qu’ils proposent, depuis le Luxembourg, à leurs clients. Nous avons tout à gagner à les voir se développer. »
Un écosystème à créer
L’espoir de voir grandir un réel écosystème autour des acteurs du gaming est réel. L’activité, en effet, peut nécessiter, au-delà du support technique ou du conseil en matière financière et fiscale, des ressources et des compétences relatives aux aspects de monétisation des jeux, de marketing au cœur de l’Europe. Peter Sodermans, senior advisor Luxembourg for Business – « Proud to promote ICT » s’interroge : « Et pourquoi ne pourrait-on pas voir se développer des métiers relatifs à l’adaptation des jeux en fonction des pays du marché visé ? Un jeu en anglais ne peut atteindre que 30 % de la population au sein de l’Union européenne. On peut donc penser à des fonctions de traduction en ligne, avec des acteurs bien au fait des différentes cultures au sein de l’Union. À ce niveau, avec son ouverture culturelle sur l’extérieur, le Luxembourg dispose également de nombreux atouts. »
Un tel écosystème prend du temps à se développer. L’installation de ces acteurs pour distribuer leurs jeux à travers l’Europe est une chose. Les inciter à déposer leurs brevets au Luxembourg, grâce notamment à la loi qui octroie une défiscalisation substantielle sur les revenus générés par la propriété intellectuelle, peut constituer un autre incitant intéressant. Au-delà de ces aspects, la qualité et l’attractivité de la vie au Luxembourg, par exemple, ont leur importance, pour y faire venir de nouvelles compétences.
Mais pour que les développeurs de jeux soient convaincus de poser leurs bagages sur les rives de la Pétrusse, il en faudra beaucoup plus. « Le Luxembourg, en matière de gaming, arrive, à l’heure actuelle, à séduire de gros acteurs, aux reins solides, qui ont déjà une stratégie de développement. Mais pour attirer des start-up, il faut avant tout des investisseurs. Que les petits acteurs du gaming puissent trouver ici des sources de financement pour leurs projets, explique Jérôme Grandidier. Il faut plutôt favoriser des approches comme il en existe en Californie, pour lesquelles on investit dans 20 projets en espérant qu’il y en ait au moins un qui réussisse, de manière à rapporter 30 fois, minimum, ce qui a été investi. Au Luxembourg, on investit généralement projet par projet, en prenant toutes les assurances nécessaires pour que chacun devienne rentable individuellement, ce qui exclut, de fait, les start-up. » C’est donc au niveau de la mentalité des investisseurs qu’il faut travailler, si le Luxembourg veut développer un réel écosystème innovant en matière de jeux en ligne. Mais tous les espoirs sont permis. Le marché est croissant. Le potentiel est énorme. Les services de promotion de la Place restent confiants. « Avec l’arrivée de sociétés phares, le Luxembourg existe aux yeux de nombreux autres acteurs du secteur, qui s’intéressent et s’interrogent. Nous ne sommes qu’au début d’une nouvelle aventure passionnante. Des synergies vont progressivement se créer. Et des nouveaux métiers devront voir le jour, pour répondre aux nombreux besoins qui se feront ressentir au niveau de ces distributeurs de jeux en ligne, précise Peter Sodermans. L’important est de rester à l’écoute des besoins des professionnels du gaming présents mais aussi de ce que recherchent ceux qui désirent s’implanter en Europe. Le monde du gaming évolue très vite. Il faut pouvoir suivre ses évolutions, s’adapter pour rester attractif. »
Promotion - Unis pour renforcer la Place
Les acteurs de l’ICT au Luxembourg, désireux de renforcer l’attractivité de la Place à l’égard des professionnels du jeu en ligne ne lésinent pas sur les efforts pour la promouvoir. Fédérés autour de Luxembourg for Business – « Proud to Promote ICT », ils vont de salon en salon, d’événement en événement, pour présenter le Luxembourg à travers le monde. « Les acteurs, s’il fallait encore les convaincre de nous accompagner, il y a quelque temps de cela, sont aujourd’hui mobilisés », explique Tom Kettels, conseiller de direction auprès du Service des médias et des communications du ministère d’État. « Unis pour la promotion de la Place, nous avons aujourd’hui une vraie force de frappe, pour des ambitions désormais internationales. » Le Luxembourg poursuit ses investissements dans les infrastructures, alors que des villes comme Londres, Paris, Francfort ou Amsterdam arrivent à saturation. Aujourd’hui, le Grand-Duché fait figure de centre intéressant, avec les data centers, parmi les plus évolués du marché, pour celui qui recherche des ressources informatiques. L’enjeu, aujourd’hui, est donc de promouvoir cette qualité, les compétences présentes. En parvenant à convaincre des leaders, le Luxembourg a suscité l’intérêt de nombreux autres.
Définition - Gaming et gambling
Le jargon du jeu en ligne est riche et varié. Ainsi les acteurs du secteur différencient-ils le gaming du gambling. Si derrière ces deux termes il y a bien du jeu en ligne, chacun fonctionne selon un business model bien distinct. Le gambling couvre l’ensemble des jeux de hasard et d’argent, de type casino en ligne. Le joueur mise une somme d’argent, dans l’espoir d’un retour sur investissement, autrement dit d’un gain. Derrière le terme gaming, on retrouve le jeu en ligne dans ce qu’il a de plus traditionnel. Certains jeux sont gratuits. D’autres sont payants.
En outre, certains jeux gratuits peuvent aussi proposer aux joueurs de payer pour accéder à des niveaux supérieurs, ou pour obtenir des accessoires permettant d’avancer plus vite et plus efficacement à travers les niveaux. Mais dans ce type de jeu, le gamer n’espère jamais récupérer la somme qu’il a déboursée .
Au Luxembourg - Des acteurs incontournables
En deux ans, le Grand-Duché a vu arriver plusieurs sociétés de gaming d’envergure internationale. OnLive, parmi les premières à s’installer au Luxembourg pour partir à la conquête de l’Europe, est une société californienne. Plus de 20 éditeurs, parmi lesquels Take-Two, Ubisoft, Epic Games, Atari, Codemasters, THQ, Warner Bros., 2D Boy, Eidos Interactive, sont partenaires d’OnLive, qui assure la distribution des jeux. Suite à sa faillite, en septembre dernier, ses activités ont été reprises par Lautner Partner. Kabam, aussi d’origine californienne, est un autre acteur important du secteur présent au Luxembourg. Éditeur de jeux sociaux massivement multi-joueurs, il propose des jeux comme Kingdoms of Camelot, élu « jeu Facebook de l’année 2010 » par IGN Reader, Dragons of Atlantis, Glory of Rome et Global Warfare. Nexon, elle, est une société sud-coréenne spécialisée dans la création et la distribution de jeux en ligne. Son plus célèbre titre est sans doute MapleStory. Innova, enfin, est un distributeur de jeux russe. Il gère aussi un catalogue important de jeux en ligne, la référence étant sans aucun doute Lineage II.