Monsieur Lakic, pouvez-vous nous dire quelles sont selon vous les grandes tendances en matière de design automobile actuellement et plus particulièrement pour les voitures électriques?
«Je n’aime pas parler de tendances car je ne les suis pas. En tant que concepteur automobile, je suis en amont des tendances. Les projets en design automobile sont élaborés sur une échelle de trois à quatre ans. Nous sommes plutôt dans l’optique d’amener un message nouveau et de développer autre chose que ce qui est déjà présent sur le marché. Je m’appuie sur ce qui existe aujourd’hui, mais en essayant de me propulser dans l’avenir de la manière la plus logique et intéressante possible, tout en tentant d’extrapoler sur les technologies de demain. Le design fait de grands pas, mais toujours en s’appuyant sur la technologie. C’est comme la différence entre faire une chaise en bois et une chaise en plastique. L’introduction d’un nouveau matériau permet d’envisager totalement différemment le dessin de la chaise. La technologie est inséparable et fondamentale du design et c’est également le cas dans le domaine de l’automobile.
Vous travaillez donc en étroite collaboration avec les chercheurs et les ingénieurs?
«Nous sommes au courant de tout ce qui se passe concernant les avancées techniques et technologiques. Nous collaborons avec les entreprises qui développent les batteries et travaillons sous forme d’échanges. Nous pouvons leur formuler nos besoins spécifiques et ils nous font part de leurs découvertes. Par exemple, les batteries utilisées par Venturi sont empaquetées dans une enveloppe en aluminium qui est refroidie par un système complexe à eau. Si une batterie tombe en panne ou s’enflamme, tout est hermétiquement fermé, sans danger. En termes de sécurité, tout est très poussé car il y a beaucoup de normes à respecter.
Comment envisagez-vous alors le design des voitures pour Venturi?
«Avec Venturi, nous sommes en plein dans un registre innovant puisque nous nous focalisons uniquement sur l’électrique. Notre discours n’est pas de dire que l’électrique est une alternative extraordinaire. Nous prenons l’électrique comme une donnée acquise et nous concentrons nos efforts sur la conception et la réalisation de voitures passionnantes à piloter, sexy à regarder, avec de l’émotion dans le visuel et à l’usage. La donnée écologique passe en arrière-plan, car considérée comme une donnée de base. L’ADN de Venturi se définit dans le domaine de la compétition, de la voiture de sport, ce qui était le cœur de l’activité de Venturi avant le rachat par Gildo Pallanca Pastor, ayant converti la marque au tout électrique. La voiture est donc abordée sur le registre de la passion. Même les voitures dites utilitaires de la marque, comme Antarctica ou Eclectic, ont ce petit quelque chose en plus, une personnalité.
Quelles sont les qualités esthétiques recherchées sur les véhicules électriques?
«Il n’y a pas un style ou un design qui sera plus adapté à l’électrique. Depuis une dizaine d’années, chaque marque développe son propre caractère, sa propre personnalité et son propre design. Il y a cette envie d’être reconnaissable. Nous ne sommes plus dans la mouvance des années 1990, pendant lesquelles on a pu voir se développer le biodesign en opposition aux formes carrées des années 1970 et 1980, qui elles-mêmes étaient en contradiction avec les formes rondes des années 1950-1960. La seule tendance qui pourrait encore être identifiée aujourd’hui est la réinterprétation de grands classiques comme avec la Mini ou la Coccinelle.
Est-ce que les voitures que vous dessinez pour Venturi sont produites ou est-ce qu’elles restent à l’état de prototypes?
«La plupart sont des prototypes qui sont destinés à faire passer un message, à faire connaître la marque. Ensuite sont développées des applications en petites séries, comme America qui va être produite, mais pour un marché qui reste très élitiste. C’est la vitrine technologique de Venturi.
Quels sont les nouveaux paramètres que ce changement de technologie implique au niveau du design?
«Sur un véhicule électrique, la différence essentielle est que le centre d’intérêt de la voiture n’est plus le moteur mais les batteries. C’est un grand bouleversement en matière de code et de philosophie automobile puisque traditionnellement, le moteur est le bijou de la voiture, avec les pistons, les durites, sa belle mécanique. Cela disparaît complètement dans une voiture électrique, tout comme le bruit du moteur. C’est le principal chamboulement. Par contre, une nouvelle contrainte apparaît: les batteries. C’est cet élément qui devient le nouveau centre d’intérêt, puisqu’il fournit l’énergie.
Quelle solution avez-vous trouvée pour optimiser cette nouvelle contrainte?
«Le design du véhicule se construit autour de ce nouvel élément central que sont les batteries, qui prennent beaucoup de place et sont un poids mort. La solution sur une voiture est d’utiliser le poids de ces batteries à bon escient. Pour cela, elles doivent être placées le plus possible au centre du véhicule pour le stabiliser, et près du sol pour abaisser le centre de gravité. Ce poids est ainsi utilisé dans la dynamique de l’engin. Sur les voitures de sport Venturi par exemple, on a choisi d’implanter les batteries non pas sous le plancher, mais en forme de T entre le passager et le pilote et derrière les deux sièges. Cet emplacement découle d’une discussion que j’ai eue avec un ancien ingénieur de F1, Gérard Ducarouge, qui m’a expliqué le concept dit 'de l’araignée' s’appliquant aux voitures de sport en général et que l’on peut étendre aux voitures électriques. Le poids le plus important doit être au centre et plus on va vers l’extérieur de la voiture plus les éléments sont légers. Cette attention accordée au poids existait déjà pour les voitures thermiques, mais s’appliquait aux moteurs. Il y avait alors différents types d’architecture de moteurs: le moteur avant central positionné derrière l’axe de roues avant comme sur les Aston Martin, le moteur central arrière, entre les sièges et l’axe de roues arrière comme pour les voitures du type Berlinetta de Ferrari, ou encore le moteur en porte-à-faux arrière comme sur la Porsche 911, positionné derrière l’axe de roues arrière.
Quels sont les atouts des systèmes électriques et comment cela se répercute-t-il dans la conception des véhicules?
«L’atout du moteur d’une voiture électrique n’est pas sa force, mais le couple du moteur. Le pouvoir d’accélération est par conséquent plus élevé que sur un moteur thermique. C’est donc une caractéristique intéressante pour des véhicules sportifs. L’électrique est aussi intéressant pour son caractère propre et silencieux, il est parfait pour les déplacements urbains. En revanche, le point faible réside dans les hautes vitesses et l’autonomie.
Cette absence de bruit peut-elle d’ailleurs représenter un danger pour les piétons?
«Je pense que c’est un faux problème. Effectivement, on n’entend pas une voiture électrique à très basse vitesse, mais à partir d’une certaine vitesse, on entend le bruit du roulement des pneus, le déplacement de l’air. Écoutez des courses de F1 électriques, elles font du bruit!
Pouvez-vous nous parler du dernier modèle que vous avez conçu pour Venturi, l’America?
«C’est un buggy contemporain, une voiture sportive pour profiter pleinement de la nature grâce à son absence de toit et ses larges échancrures de porte. Elle s’adresse aux personnes qui ont déjà plusieurs voitures et qui souhaitent acquérir un véhicule ludique vraiment différent, tout en affichant un message social. Ce n’est pas parce que l’on porte un regard responsable sur l’environnement qu’il faut conduire des voitures moches et sans intérêt. L’électrique c’est aussi la passion, le sport, le plaisir du pilotage, le plaisir de posséder un bel objet. Dans les arguments de Venturi, on ne parle presque jamais d’écologie. C’est même presque un peu ringard, car l’électrique est une évidence.»
Cette interview est extraite du Supplément Auto paru en même temps que l'édition de février de Paperjam2.