Maître Wtterwulghe, vous défendez les victimes de la compagnie d’assurance vie Excell Life. On a vu cette semaine la liquidation judiciaire d’un fonds d’investissement spécialisé, Universal Premium, qui présente des similitudes avec le fonds Orelius Gold Invest, à l’origine des problèmes d’Excell Life. Comment expliquer que les mêmes acteurs se retrouvent à quelques mois d’intervalle dans des produits d’investissements?
«L’affaire Excell Life est caractérisée par des couches successives d’infractions commises par des personnes différentes liées à la mouvance Excell Life.
Il y a d’abord l’actionnariat espagnol, qui, dès l’origine, a instrumentalisé la société pour faire, au départ du Luxembourg, les opérations que les régulateurs espagnols lui interdisaient. Ils ont tenté aussi de sauver la banque espagnole Eurobank, qu’ils détenaient, de la faillite à travers différentes manipulations financières qui relèvent de la 'cavalerie'. Ils ont ainsi fait d’Excell Life un gros actionnaire de cette banque qui devait, suite à la vigilance du régulateur espagnol, être mise en liquidation judiciaire peu après.
L’actionnariat d’Excell Life constitue la première couche de cette 'lasagne' de malversations.
En dessous, nous trouvons différentes couches opérées par les gestionnaires de cette société et par ceux qui opéraient à titre de conseillers ou de fiduciaires.
Une de ces couches est Insolux. Constituée en 2006 par deux des personnages qui sont à la base aujourd’hui de la mouvance Universal Premium, Insolux a été mise en liquidation judiciaire le 24 janvier 2013 à la suite d’une instruction judiciaire ouverte en mars 2011 en Belgique, à Turnhout. Cette instruction semble avoir mis en lumière d’autres escroqueries qui concernent un fonds Cubex et mettent en cause aussi la mouvance Caprinco, elle-même étroitement liée aux gestionnaires et 'conseillers' d’Excell Life. La société suisse Caprinco fait l’objet d’une instruction à Genève.
La technique utilisée dans ces affaires est la même: il s’agit de créer des produits financiers réservés aux professionnels qui échappent aux règles et aux contrôles imposés aux produits financiers destinés au grand public. Les produits professionnels sont soumis à des règles 'soft'. Ils sont faciles à créer et les régulateurs concernés semblent se contenter d’un contrôle plus formel qu’effectif lorsque la loi le prévoit. Cela permet de mettre n’importe quoi dans ces produits. À la limite, il n’y a que du vent.
Ensuite, il s’agit de vendre ces produits au grand public par des moyens détournés en s’appuyant sur des institutions financières pas trop regardantes, notamment au travers de certaines compagnies d’assurances qui acquièrent ces produits financiers comme sous-jacents de leurs fonds collectifs pour les vendre ensuite à leurs assurés en branche 23.
L’autre technique caractéristique, que nous retrouvons dans toutes les escroqueries financières présumées, est la multiplication des sociétés écrans, aux noms plus ronflants les uns que les autres, qui font sérieux.
Comment jugez-vous ce fonds d’investissement Universal Premium? Quels éléments pourraient faire penser que ce fonds serait toxique?
«La première question qui vient à l’esprit est de se demander comment les fondateurs ont pu être acceptés par le régulateur. La loi sur les fonds spécialisés réservés aux professionnels mentionne qu’il y a lieu de vérifier l’honorabilité des dirigeants. Une simple analyse de leur pedigree sur internet aurait dû soulever des interrogations et justifier une enquête plus approfondie. On retrouve à la création du fonds Universal Premium deux personnes liées à Insolux qui posaient déjà de sérieux problèmes à cette époque-là. Le troisième fondateur était connu déjà de la presse roumaine pour son rôle dans le détournement des embargos internationaux d’exportations de produits pétroliers vers la Serbie durant la guerre du Kosovo.
On peut s’étonner aussi que des auditeurs de renom acceptent de tels clients, alors qu’ils sont tenus à un devoir de vigilance à l’égard de leurs clients par la loi. De surcroît, on peut s’interroger sur le caractère effectif de leur travail d’audit.
Comment expliquer que la Commission de surveillance du secteur financier ait autorisé ce fonds Universal Premium, alors que le Commissariat aux assurances avait jugé problématique le fonds Orelius dans lequel on trouve des protagonistes identiques? Y aurait-il un problème de coordination entre les deux autorités dans la lutte contre le blanchiment?
«On peut effectivement s’interroger sur l’échange d’informations entre ces deux organismes de régulation. Il faut en tirer des leçons pour l’avenir. Du côté de la CSSF, il y a incontestablement une évolution positive dans l’exercice de son contrôle, mais il faut aussi une volonté politique d’assainir la place financière de Luxembourg et séparer le bon grain de l’ivraie!
Cette même volonté devrait s’exprimer au niveau de la justice pénale. Il est grand temps qu’elle sévisse avec efficacité et rapidité. Aujourd’hui, tout semble organisé pour que les dossiers financiers soient saucissonnés et enterrés.
Avec le recul, pensez-vous qu’il existerait, derrière ces produits, un même réseau criminel présumé en Europe?
«À côté des mafias classiques et des milieux terroristes qui ont pénétré le secteur de la finance de longue date s’est développée avec la mondialisation une délinquance de gens issus des milieux financiers qui ont franchi le fil rouge. Ce phénomène s’est trouvé encouragé par une série d’officines qui se sont spécialisées dans des montages financiers visant à détourner les lois financières. On a parfois l’impression qu’au sein même d’entreprises de premier renom international se sont développées des cellules qui semblent opérer à l’insu des contrôles de compliance.»