Sylvia Ridlesprige, Fernand Wolter, Christiane Hoffmann, Bruno Renders (Photo: Julien Becker)

Sylvia Ridlesprige, Fernand Wolter, Christiane Hoffmann, Bruno Renders (Photo: Julien Becker)

Pour rester à la page, il faut se former. C’est une évidence: le monde change à toute vitesse; les attentes et les besoins évoluent. Toujours plus exigeants, et aujourd’hui beaucoup moins que demain, les clients attendent des entreprises une réactivité permanente. Le monde s’est complexifié et, dans un univers concurrentiel, afin de rester compétitives, les entreprises doivent rester au top, mieux, anticiper les besoins de demain.

Pour cela, elles doivent s’appuyer sur les bonnes compétences. Et à défaut de pouvoir les trouver, disponibles et prêtes sur le marché, il appartient aux acteurs économiques de former leur personnel en interne pour correspondre à des professions de plus en plus spécifiques.

La formation professionnelle continue (FPC) est, plus que jamais, sollicitée pour répondre aux besoins des entreprises désireuses d’aller de l’avant, de s’adapter, d’innover. «Ces dernières années, la demande en formation a fortement évolué, commente Christiane Hoffmann, chef du service Formation continue au sein de la Chambre des métiers. De manière générale, les entreprises ou les travailleurs eux-mêmes sont à la recherche de formations plus courtes, plus orientées sur l’opérationnel. Il faut que nous puissions nous adapter au cadre de l’entreprise, avec des formations sur mesure, tenant compte du contexte métier, des compétences exigées pour répondre à des besoins concrets.»

Compétences et valeur ajoutée

Au-delà de la nécessité pour les entreprises de rester compétitives, la formation répond aussi à de nouvelles exigences d’employabilité, autrement dit, aux besoins du marché. «Pour cette raison, la demande au niveau de la formation professionnelle continue a fortement été orientée, ces dernières années, sur des savoir-faire et des compétences, sans doute plus que sur des connaissances, explique Bruno Renders, directeur de l’Institut de formation sectoriel du bâtiment (IFSB). Pour l’entreprise qui cherche à développer les compétences de son effectif, la mesure de la plus-value apportée par la formation est un élément essentiel. L’objectif est de pouvoir générer de la valeur ajoutée, à la fois dans le chef du membre du personnel formé, et pour l’entreprise qui l’emploie.»

L’enjeu principal, au niveau de la formation continue, est de pouvoir développer des compétences qui sont aujourd’hui reconnues par le marché, qui répondent à ses besoins. «Un diplôme ne suffit plus. Aujourd’hui, on recherche avant tout des compétences capables de faire avancer le business», poursuit M. Renders. Pour les acteurs de la formation, cela implique une profonde et régulière remise en question.

Les besoins sont de plus en plus précis, avec des impacts sur le fond, comme sur la forme, des formations proposées. «Dans notre domaine spécifique que sont les langues, on peut se rendre compte que le niveau général et la connaissance de base des langues véhiculaires se sont considérablement améliorés ces dernières années, précise Fernand Wolter, directeur de Prolingua. La demande, elle, a évolué vers des besoins précis, l’apprentissage d’un langage spécifique, technique ou encore juridique, directement lié au business.»

Cela ne signifie pas que l’intérêt pour des formations d’ordre plus général décroît. «Nous faisons, de notre côté, un constat complémentaire, précise Sylvia Ridlesprige, conseillère en formation auprès de la Luxembourg School for Commerce, l’organisme de formation de la Chambre de commerce. S’il y a bien une demande croissante pour des formations spécifiques, il existe toujours un intérêt pour des formations plus généralistes, en management ou en amélioration du leadership, par exemple. Toutefois, la volonté des entreprises est de pouvoir bénéficier d’un accompagnement sur mesure, pour développer des compétences en tenant compte du contexte business, avec des formations au sein même de l’entreprise.»

Des formules plus flexibles

Les acteurs économiques sont à la recherche d’une plus grande flexibilité, d’une forte valeur ajoutée avec des formations de courte durée, qui ne demandent pas une mobilisation importante de leur temps de travail. «Les PME ne peuvent plus se permettre d’envoyer une personne en formation pendant trois semaines. Pour les acteurs de la formation, il faut régulièrement repenser le rythme de l’apprentissage», explique Bruno Renders (IFSB). Les évolutions technologiques permettent par ailleurs aux acteurs de proposer plus de flexibilité à leurs clients. «Les entreprises sont à la recherche de solutions mixtes, comprenant des séances en face à face ou en groupe, la participation à des classes virtuelles, mais aussi un accompagnement régulier à distance. Il faut donc pouvoir proposer des formules adaptées», précise Fernand Wolter. Des formules mixtes, de blended learning, ont donc vu le jour ces dernières années et connaissent un succès croissant.

La digitalisation offre en outre de nouvelles perspectives. Mais elle soulève aussi des questions essentielles. Le Luxembourg, tenant compte du caractère international de la Place, est bien positionné pour créer des formations et des programmes pédagogiques de qualité, en ligne, qui pourraient être distribués au sein même du marché, mais aussi à l’extérieur. «L’enjeu est de pouvoir développer des formules en veillant à assurer une réelle qualité, à répondre aux besoins du marché. Sur le web, on peut trouver de nombreuses offres. Il existe des cours extrêmement qualitatifs, mais aussi d’autres formations plus douteuses. Il faut permettre aux acteurs économiques de s’y retrouver», précise Sylvia Ridlesprige (Luxembourg School for Commerce).

«Toutefois, lorsqu’on aborde la problématique de la digitalisation de la formation, on est rapidement confronté à une question centrale qui est celle du public, commente Christiane Hoffmann (Chambre des métiers). Les disparités relatives à l’appréhension de la technologie auprès de nos bénéficiaires peuvent être importantes, selon qu’ils sont issus de la génération Y, ou un peu plus âgés, qu’ils sont sur des métiers plus techniques ou plus intellectuels. Et si cela est vrai pour les personnes que nous formons, ça l’est d’autant plus pour les formateurs.»

Ouvrir le champ des possibilités

D’autre part, s’il n’est pas judicieux de proposer des formations digitales pour toutes les formations, la technologie permet, pour certaines situations, de repousser les possibilités offertes. «On n’apprendra jamais à bien maçonner avec une truelle virtuelle, précise Bruno Renders. Par contre, grâce à des simulateurs, il est possible de mettre des conducteurs d’engins dans des situations de chantier qui sont difficiles à reproduire au cœur d’un centre de formation.» Il faut donc pouvoir adapter l’offre de manière logique, envisager la manière de créer une réelle valeur ajoutée au moyen de la technologie.

Compte tenu des exigences des entreprises, mais aussi des évolutions technologiques, l’offre en matière de formation s’est considérablement complexifiée au fil du temps. Tant sur le fond que sur la forme, elle doit répondre à de nouvelles attentes. «La formation n’est aujourd’hui plus un luxe. Si, par le passé, on pouvait allègrement proposer des formations à ses employés, aujourd’hui, le choix des formations, les parcours de développement professionnel, les investissements consentis en la matière s’intègrent dans une réalité économique plus difficile», précise Mme Ridlesprige. «Les organismes de formation, sectoriels ou non, doivent donc pouvoir mieux accompagner les acteurs, les orienter pour répondre à leurs besoins, afin de mettre la formation au service de l’employabilité et de l’entreprise», ajoute Christiane Hoffmann.

Un autre enjeu important, dans l’évolution de l’offre en formation, réside dans la qualification des formateurs. Alors qu’ont germé, ces dernières années, de nombreuses normes de qualité et autres certifications, les acteurs s’interrogent aujourd’hui sur ce qui fait la valeur d’un formateur. «La qualité de la formation va au-delà des processus de gestion mis en place par les organismes de formation. Elle tient compte des contenus, du niveau d’adéquation entre offre et demande, ainsi que des qualités pédagogiques, explique Sylvia Ridlesprige. Évaluer la qualité d’une formation exige de prendre en considération la manière dont un besoin en formation est abordé, la création d’une offre qui permet d’y répondre, mais aussi la qualité de la matière qui est transmise, le savoir-faire du formateur.» La LSC, pour s’assurer de la qualité de ses formations, préconise même des évaluations à chaud, directement après la formation, et à froid, autrement dit après qu’un laps de temps se soit écoulé.

Bruno Renders, de son côté, se méfie des normes portées par les organismes de formation. «La qualité d’un formateur se mesure avant tout à la qualité et à la satisfaction des gens qu’il a formés», précise-t-il, remettant finalement l’accent sur l’importance des évaluations à l’issue d’une formation. «C’est un facteur essentiel, qui doit permettre au formateur de se remettre en question, mais surtout de toujours mieux adapter son offre aux attentes et à la demande du marché», ajoute Christiane Hoffmann.

Entre hard skills et soft skills

Demeurer «employable» constitue une tâche ardue dans la mesure où les besoins en compétences sont de plus en plus complexes. À partir du moment où il est difficile de trouver sur le marché le mouton à cinq pattes tant recherché, il faut le former. «En une dizaine d’années, on constate un besoin supérieur en qualification. L’évolution du marché du travail exige par exemple des compétences toujours plus poussées dans le secteur des technologies ou encore des énergies renouvelables», commente Christiane Hoffmann. «À cela, il faut ajouter que le travailleur, de plus en plus, doit adopter une position plus collaborative. La tendance n’est plus à la segmentation des tâches, mais à une plus grande complémentarité, pour une meilleure collaboration, ajoute Bruno Renders. Il faut donc que les uns et les autres aient une meilleure compréhension des enjeux globaux, qu’ils puissent comprendre le métier de leurs collègues, afin de pouvoir travailler main dans la main.»

Il n’appartient pas non plus à la formation continue de développer l’ensemble des compétences dont a besoin le marché. Si elle est continue, la formation professionnelle doit avant tout permettre à des individus formés au préalable de s’adapter aux évolutions tout au long de leur carrière.

Pour les acteurs de la formation continue, la formation initiale aussi doit se remettre en question. «On ne peut pas faire reposer sur l’entrepreneur l’entière responsabilité de la formation, commente M. Renders. Un jeune, quand il sort de l’école, doit pouvoir travailler.» Or, en la matière, les entrepreneurs se plaignent régulièrement. Il faut donc remédier à cette situation, que les acteurs de la formation initiale et ceux de la sphère professionnelle travaillent mieux ensemble.

«L’enjeu est de former au plus tôt pour répondre aux besoins du marché, en intéressant mieux les jeunes comme les professeurs au monde de l’entreprise», commente Sylvia Ridlesprige.

En la matière, c’est aussi l’avenir de la compétitivité qui est en jeu.

Employabilité

Pour l’entreprise et le marché

Si l’entreprise a besoin de travailleurs qui correspondent à ses besoins, elle répond aussi à des exigences émanant des équipes, dont les membres sont toujours plus soucieux de leur employabilité, au sein d’un marché du travail en mutation qui n’offre pas toujours des perspectives attrayantes. Aujourd’hui, il en va de l’image de l’employeur, et même parfois de sa responsabilité, de veiller à développer les compétences de ses employés, pour lui-même, mais aussi pour eux. Une plus grande employabilité pourra aussi bien être valorisée dans l’entreprise même, qui a besoin de travailleurs plus mobiles, que plus généralement sur le marché du travail.

Accessibilité

Mieux valider les acquis

Le système de formation actuel est aujourd’hui basé sur une reconnaissance des compétences liée à des certifications. On se rend compte, toutefois, que dans la réalité, et compte tenu des nombreuses évolutions, il existe aujourd’hui des compétences pointues qui ne sont pas forcément liées à un diplôme ou à un certificat. Ces personnes, dès lors, peuvent se voir refuser des accès à des formations d’un certain niveau, faute de pouvoir prétendre au niveau de qualification requis. Dans cette optique, de nombreux acteurs sont favorables à la mise en œuvre d’un nouveau mode de reconnaissance des acquis, de valorisation de l’expérience et de validation des compétences, permettant à chacun de mieux se former, selon ses besoins et en fonction de ceux du marché.