Claire Audollent (photo), Claude Cardoso et Patrick Wolter parlent du middle management dans le dossier RH & Formation de l'édition de juillet/août de Paperjam2. (Photo: Luc Deflorenne)

Claire Audollent (photo), Claude Cardoso et Patrick Wolter parlent du middle management dans le dossier RH & Formation de l'édition de juillet/août de Paperjam2. (Photo: Luc Deflorenne)

Certains le perçoivent comme le passage obligé, à défaut de voie royale, vers de hautes fonctions de management. Pour d’autres, c’est la fonction ingrate par excellence, coincée entre deux strates fondamentalement divergentes: la direction et les collaborateurs. Le middle management est finalement sans doute un peu de tout ça : une couche un peu floue de cadres moyens qui, selon l’entreprise, auront plus ou moins de responsabilités, plus ou moins de chances de pouvoir grimper plus haut dans la hiérarchie. «C’est en tout cas des fonctions qui, généralement, ne sont pas aisées, admet Claire Audollent, directrice ressources humaines adjointe chez PwC Luxembourg. Ce sont généralement de personnes de terrain qui encadrent une équipe, mais qui doivent à la fois faire en sorte que les décisions de la direction soient déployées et être à l’écoute du personnel sous leur responsabilité.»

«Un bon middle manager est celui que la majorité des membres de son équipe regrette le jour il s’en va», lit-on à l’occasion. Des postes extrêmement importants donc, qui imposent de ne pas se tromper dans le choix des candidats si l’on veut que la machine tourne correctement. Comment faire, dès lors, pour trouver ces talents? Première chose, s’assurer qu’ils seront capables d’assurer un leadership intrinsèque à leur fonction. On a beau être le meilleur technicien de sa catégorie, ça ne veut pas dire qu’on brillera autant dans des fonctions à responsabilités.

Or, souvent, parce qu’elles ont notamment envie d’offrir des opportunités de développement au personnel en place, des entreprises offriront ces postes à des experts méritants. Un choix évidemment louable, mais qui impose aussi certaines précautions. «Dans de telles situations, deux difficultés risquent de se poser au cours de la première année, poursuit la responsable RH adjointe de PwC Luxembourg. Premièrement, on devient parfois manager d’une équipe dont on était jusque-là un des membres. Il faut donc réussir à asseoir sa crédibilité et parvenir à rompre avec certaines habitudes. Ensuite, il faut parvenir à se détacher de son quotidien, apprendre à déléguer et faire grandir les autres.»

Être manager exige en effet des compétences dont tout le monde ne dispose pas de manière innée. Un manager doit, de fait, quitter la sphère des questions techniques pour assurer le meilleur encadrement possible de son équipe. Et cela, tout le monde n’en est pas automatiquement capable. «Il existe toutes sortes d’outils pour se former au leadership, explique Claude Cardoso, conseiller de direction à la Chambre des salariés. Nous proposons des formations, beaucoup d’autres en offrent encore au niveau du Luxembourg. Il y en a de bonnes et de moins bonnes, mais ce qui est certain c’est qu’elles ne règlent pas tout. La formation à elle seule ne constitue pas un remède miracle.»

Quelles sont, selon lui, les compétences qu’un manager doit détenir? «Quelle que soit la taille de l’entreprise, il doit pouvoir déléguer, être apte à résoudre des problèmes ou des conflits, maîtriser la gestion du temps, savoir communiquer avec l’extérieur, mais surtout avec ses équipes, montrer de l’intégrité et de la maîtrise de soi.» Des choses qui ne peuvent évidemment pas s’apprendre en quelques jours de formation.

Des profils plus marqués

Détecter les talents de manager à la base rend donc plus faciles les choix futurs. Il n’existe là non plus pas de méthode sûre à 100% assurant de faire le bon choix, mais plutôt des indices plus ou moins fiables qu’une personne sera plus apte qu’une autre à mener une équipe. «Le profil de la personne peut apporter des éléments de réponse, explique ainsi Patrick Wolter, responsable des ressources humaines à la Chambre de commerce du Luxembourg. S’il s’agit d’une jeune recrue, on regardera si elle a fait partie de mouvements de jeunesse, si elle a géré des projets au cours de sa vie universitaire ou assumé d’autres responsabilités. Dans le cas de quelqu’un déjà engagé dans la vie professionnelle, on observera de quelle manière il a été impliqué dans différents projets.»

Au niveau de PwC, une structure qui emploie près de 2.500 personnes au Luxembourg et recrute chaque année quelque 250 jeunes diplômés, les méthodes de détection sont nettement moins empiriques. Notamment parce que chaque nouvelle recrue devra afficher d’emblée un certain sens du leadership. «Pour occuper de réelles fonctions de manager, le parcours est en moyenne de cinq ans, précise Claire Audollent. Mais dès son engagement, une jeune recrue se verra confier des responsabilités au niveau de nos équipes de stagiaires.» Le modèle d’évolution de carrière développé par PwC est basé sur un modèle de compétences managériales, avec au centre le leadership. «Nous considérons que tout collaborateur doit disposer de cette compétence à un niveau adapté à celui de ses responsabilités et la développer tout au long de sa carrière», poursuit-elle.

Ce modèle comprend cinq composantes. Outre le leadership, il est tenu compte des compétences techniques, des capacités relationnelles vis-à-vis des équipes et des clients, du sens des affaires et de la capacité des gens à travailler dans un environnement globalisé.

«Ce modèle sous-tend tout le cycle complet des processus RH des collaborateurs, insiste Claire Audollent. Il sert de socle au recrutement, à la formation, au développement, à l'évaluation et à la promotion. Et ce jusqu'aux niveaux de responsabilités les plus élevés.» Comme il n’existe pas de méthode totalement fiable pour détecter les talents de managers, les recruteurs continuent à faire confiance à des techniques telles que les jeux de rôle ou la construction d’un projet en équipe pour repérer les candidats qui prennent le contrôle de la situation, ceux qui guident la manœuvre et ceux qui, au contraire, restent plus passifs.

Tirs groupés

Des jeux comme les Lego ou les blocs de construction ont donc la cote auprès des responsables de ressources humaines et, utilisés dans des situations où les différents candidats sont jaugés dans le cadre d’un travail d’équipe, ils peuvent avantageusement remplacer des entretiens en tête à tête qui refléteraient moins les aptitudes à la gestion d’une équipe. «Nous sommes effectivement passés à des entretiens de recrutement en groupe basés sur des études de cas, explique la responsable de PwC. Cela nous permet d'évaluer la manière dont les candidats interagissent et de tester leurs capacités managériales futures.»

Ceci dit, il faut aussi garder à l’esprit que tout le monde ne souhaite pas exercer des fonctions de management et que, dans certains cas, avoir de bons experts heureux dans leur fonction peut aussi se révéler positif. «Actuellement, beaucoup de jeunes ambitionnent d’obtenir des fonctions de management, constate Claude Cardoso. On en a besoin, mais d’experts aussi. Il faut donc les intéresser. Il est possible au sein d’une même société de construire deux types de carrières parallèles. Une pour la filière management, une autre pour des experts. Mais il faut alors qu’elles soient valorisées toutes les deux par la culture d’entreprise et, c’est important, que la grille salariale suive.»

C’est d’autant plus vrai que certains techniciens purs et durs n’entendent pas quitter leurs responsabilités pour s’imbriquer dans la hiérarchie de l’entreprise. «Tous les experts ne veulent pas devenir manager, confirme Patrick Wolter. Ceux qui sont de vrais spécialistes dans leur domaine de compétence s’y sentent généralement bien et ne souhaitent pas spécialement évoluer dans des fonctions de manager d'équipe. Même s’il est tout à fait louable de la part d’une entreprise de vouloir faire évoluer son personnel.»

Une transition à encadrer

Et s’ils acceptent le défi, la moindre des choses est aussi de ne pas les laisser dans la nature. «Comme je le disais, il existe des formations au management d’équipes, mais elles ne suffisent pas. Pour assurer avec succès le passage du statut d’expert à celui de manager, il faut assurer de l’encadrement et de l'accompagnement dans cette transition», insiste le responsable de la Chambre des salariés. Des outils existent à ce niveau aussi pour assurer la transition en douceur. Chez PwC, le modèle est chiffré: «70-20-10». «Les 70% concernent l’apprentissage par expérience», commente Claire Audollent. Selon le modèle, 70% de ce que doit intégrer un manager pour être performant s’acquiert donc sur le terrain: soit au cours de missions auprès de clients, soit en travaillant avec des managers plus expérimentés ou par de la mobilité interne ou internationale.

Deuxième étape: l’apprentissage collaboratif. Il représente 20% des besoins et se fait par le recours à différents types d’outils: outils de coaching, de mentoring, des outils psychométriques pour mesurer l’impact du leadership de la personne sur les collaborateurs. Enfin, pour les 10% restants, la formation sera classique et structurée. «Chez PwC, lorsque quelqu’un est promu manager, il intègre un séminaire de trois jours qui regroupe les managers des différents métiers, poursuit la spécialiste RH. On le fait alors réfléchir à ce qui est attendu de lui par la hiérarchie et les équipes et aux compétences qu’il va devoir développer.»

L’apprentissage sur le terrain avant d’endosser des fonctions de manager, Claude Cardoso est pour. «Parce qu’avant de prendre des fonctions à ce niveau, il faut avoir acquis le sens de l’organisation, de la communication et du leadership», convient-il.

Une palette de talents

Finalement, il faut encore se demander ce qui distingue un bon manager d’un mauvais. Ce qui fait qu’on disposera de cadres que le personnel regrettera une fois qu’on les déplacera pour leur confier de nouvelles missions. «Pour moi, un manager c’est évidemment quelqu’un qui dirige une équipe, mais qui joue aussi un rôle de coach, insiste Claude Cardoso. Une de ses missions doit consister à faire progresser sont staff. Et ça, c’est quelque chose qui fait souvent défaut. Les managers avancent la tête dans le guidon et oublient d’écouter les desiderata des membres de leur équipe.»

Pour le responsable de la CSL, un bon manager doit donc encore afficher un minimum de responsabilités sociales face à des phénomènes tels que le stress ou le burn out. Mais il insiste aussi sur le besoin de feed-back à donner au personnel. Qu’il soit d’ailleurs positif ou négatif. Bien que ce soit plus souvent les retours positifs qui fassent défaut. «La base du travail d’un manager, c’est donc premièrement de donner des consignes claires et précises; d’encadrer les salariés une fois les consignes données pour atteindre les objectifs et, une fois l’objectif atteint, de leur donner du feed-back. Si le travail n’est pas bien fait, on explique pourquoi. Si c’est bien, on va aussi vers la personne pour lui dire», résume Claude Cardoso.

Pour Patrick Wolter, un bon manager est aussi celui qui trouvera le bon mix entre des personnalités différentes. «C’est celui qui saura voir sur quel projet certaines personnes peuvent travailler ensemble en vue d’obtenir le meilleur résultat.» Bref, rien de vraiment simple. «Il n’y a rien de moins évident que la fonction de manager, conclut Claire Audollent. Cela relève du domaine de l'humain, de compétences émotionnelles et sociales et non du rationnel, d'une science exacte.»

Cas d’école
De Verband Group passe par la case formation
La coopérative agricole luxembourgeoise a assuré une meilleure formation de son personnel afin qu’il puisse encore mieux répondre aux objectifs fixés par l’entreprise.

Créée en 1909, la coopérative agricole luxembourgeoise De Verband Group a beaucoup grandi et diversifié ses activités. Conscient que ce sont ses employés qui sont à la base de son succès, elle veut de plus en plus les impliquer dans la stratégie de l’entreprise. Et, pour que ce soit le plus productif possible, elle veut s’assurer d’un développement suffisant des compétences, notamment au niveau des cadres.

Pour l’accompagner dans l’élaboration d’un concept de développement du personnel sur mesure, la coopérative a sollicité l’IUIL (Institut universitaire international Luxembourg). Dans un premier temps, celui-ci a proposé au comité de direction d’améliorer la conduite des entretiens d’embauche et de recrutement de personnel via l’utilisation des bilans de compétences. Une opération destinée à comparer les profils actuels avec ceux recherchés à l’avenir et ainsi identifier les compétences clés pour y arriver. Après cette démarche, l’IUIL a procédé à une analyse des besoins en formation et mis en place des formations managériales sur mesure pour la direction et les cadres de la coopérative. Ces formations ont avant tout été centrées sur la pratique professionnelle. Chaque participant a notamment travaillé sur un «projet professionnel» avec l’aide d’un coach de l’IUIL. L’objectif final était de pouvoir transférer et mettre en œuvre les nouveaux apprentissages dans l’entreprise. Ce qui devrait mener, selon le Verband, à des changements organisationnels et des innovations au sein de l’entreprise.

Fonction intermédiaire
Le blues du middle manager
Pris entre le feu du quotidien et les objectifs définis sur le long terme, le middle management fait parfois les frais de visions qui font tout sauf se rejoindre.

La frustration et la démotivation guettent-elles le middle management? Par leurs fonctions, les hommes et les femmes qui occupent ces postes dans la hiérarchie savent que l’on attend beaucoup de leur part. Motiver les équipes, les guider dans la direction voulue par le comité exécutif… Ils jouent à la fois le rôle d’éponge vis-à-vis des revendications de leurs subordonnés et doivent faire en sorte que les visions dégagées en haut lieu se concrétisent sur le terrain. Il arrive aussi que ces middle managers, à qui l’on a laissé miroiter des fonctions à responsabilités, se retrouvent le nez dans le guidon à gérer, avec leurs équipes, les soucis du quotidien. Fonction ingrate, vraiment? «Je ne sais pas si la frustration guette plus que dans d’autres fonctions, observe Patrick Wolter, de la Chambre de commerce. Il faut en tout cas donner des perspectives claires d’évolution à ces gens pour éviter justement qu’une certaine frustration s’installe.» Pour Claude Cardoso de la Chambre des salariés, l’image de la strate de cadres coincée entre le marteau et l’enclume est assez bien représentative du middle management. «On constate une pression de plus en plus forte sur le middle management, note-t-il. Souvent, la vision des personnes qui sont sur le terrain et celle de ceux qui sont au sommet de la pyramide sont diamétralement opposées.» Dans une culture de l’excellence et du résultat, c‘est le «toujours plus» qui l’emporte.

Claire Audollent de PwC veut rester positive. «Quand une entreprise est performante, c’est que le middle management l’est aussi, estime-t-elle. Il faut donc l'encourager et l'accompagner, car c'est lui qui fédère les équipes, les motive et fait en sorte d'en exprimer le plein potentiel.»