Bien avant l’élection de Corbyn, les mouvements sociaux britanniques étaient demandeurs d’une politique en faveur de la transition énergétique et plus juste socialement. (Photo: John Lynch/Demotix)

Bien avant l’élection de Corbyn, les mouvements sociaux britanniques étaient demandeurs d’une politique en faveur de la transition énergétique et plus juste socialement. (Photo: John Lynch/Demotix)

Qui aurait pu imaginer trois mois auparavant qu’un candidat allait enterrer le blairisme d’une manière aussi radicale, dans un pays que de nombreux observateurs considéraient comme éternellement acquis à l’idéologie néolibérale? Après l’avoir moqué, les conservateurs le considèrent – à juste titre – comme une réelle menace, dans la mesure où ils devront se confronter à un opposant clairement positionné pour une politique anti-austéritaire, résolu à combattre fermement les excès de la City, favorable à une renationalisation des chemins de fer… sans oublier que ce programme est désormais soutenu par un large mouvement populaire et les principaux syndicats britanniques.

Mais si les médias ont largement traité les aspects sociaux, voire la politique extérieure de Jeremy Corbyn (qui tranche également avec l’alignement traditionnel du Royaume-Uni sur les États-Unis), sa politique concernant l’énergie a fait couler bien peu d’encre. C’est regrettable dans la mesure où elle ne le situe justement pas comme le has-been que ses adversaires ont voulu dénoncer, caricature du gauchiste barbu des années 80 ne jurant que par le productivisme et l’extractivisme. Jeremy Corbyn a compris que les énergies fossiles bon marché feront bientôt partie du passé et en a tiré toutes les conséquences. Seul parmi les quatre candidats en lice pour la direction du Labour à répondre intégralement à un questionnaire de l’ONG Friends of the Earth sur sa politique énergétique, il s’est engagé ainsi à interdire l’extraction du charbon et des huiles et gaz de schiste. Jeremy Corbyn souhaite imposer des règles très strictes dans le marché de l’énergie dominé par un oligopole de six transnationales (dont EDF) pour les amener à éliminer progressivement les énergies non durables (nucléaire compris). L’objectif de toutes ses réformes est de profiter à tous, y compris aux personnes les plus pauvres via un investissement public massif, sachant que les revenus issus des emplois créés dans le domaine de l’efficience énergétique et des renouvelables sont plus importants que ceux créés dans les énergies fossiles.  

L’élection de Corbyn est juste révélatrice d’un mouvement populaire en Grande-Bretagne en faveur d’une transition énergétique démocratique répondant aux besoins de la population. L’organisation Campaign against climate change, qui regroupe aussi bien des politiques que des organisations environnementales et syndicales, a sorti en 2014 la troisième édition du rapport «One Million Climate Jobs» qui promeut la création d’un million d’emplois durables (au sens économique comme écologique du terme) dans les transports, les bâtiments, l’agriculture, l’éducation et l’industrie). Ces emplois permettraient une baisse de 86% d’émission des gaz à effet de serre) sur 20 ans. Ils «coûteraient» à l’État britannique 84 milliards d’euros, sachant que celui-ci récupérerait deux tiers de cette somme sous forme de taxes et d’économies sur l’énergie, et d’assurance chômage. Comme le dit Clara Paillard, une des promotrices du rapport «On a sauvé les banques, on a fait des guerres, et ça nous a coûté bien plus cher que ça!».

C’est donc un programme conséquent et ambitieux que le Labour va devoir défendre avant les élections générales de 2020 en Grande-Bretagne. C’est encore loin, mais en attendant, ces propositions qui avant étaient ridiculisées ou ignorées seront désormais avancées sur la table du palais de Westminster, réactivant des débats qui avaient complètement disparu du radar à l’époque du blairisme triomphant, au grand dam des conservateurs. Le principal parti d’opposition de la cinquième puissance économique mondiale s’engage dans une voie résolument novatrice aussi bien d’un point de vue social qu’environnemental: il sera intéressant de voir à l’avenir comment les propositions pour une société plus juste seront reçues aussi bien dans la 5e puissance économique mondiale que dans le reste de l’UE. Elles ont déjà percé au Luxembourg avec l’apparition d’initiatives comme la Transition Minett ou le CELL qui vient récemment d’embaucher son premier salarié: un signe qui montre que les choses changent aussi ici.