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La poésie puise sa quête dans la pratique de la vie courante.

"La Poésie est l'art de dire avec des mots ce que les mots ne peuvent pas dire", c'est la forme la plus ancienne de littérature qui nous soit parvenue. Elle a, comme la peinture ou la musique, évolué au cours des siècles, en fonction de la règle poétique et de la règle sociale du moment.

Dans la seconde partie du XIXe siècle, le vers disparaît et Rimbault déclare "Il faut être absolument moderne!". La liberté peut s'exercer sans entraves et c'est en toute liberté que nous allons parler de sa passion, la poésie, avec André Simoncini.

André Simoncini, quelle est votre définition de la poésie?

"La poésie puise sa quête dans la pratique de la vie courante. Je ne suis pas un homme de lettres dans sa tour d'ivoire, réfugié dans une forme d'intellectualisme, mais bien au contraire inscrit dans le dur labeur d'être un citoyen, appartenant absolument à la cité. Il faut se construire et construire autrui dans une forme de chimie, d'alchimie.

Je trouve que c'est vraiment autour de ces deux pôles que se situe la poésie. On découvre que l'Homme, dans ses convergences et dans ses divergences, en est l'épicentre et prend pied dans la cité permettant à cette chimie de se développer. C"est pour moi un acte et un discours de poésie en puissance.

Poète, philosophe et un peu politicien'

"La structure de la cité a pour mission première de faire rencontrer les citoyens par un brassage étudié, un système de vie qui doit mener à l'élévation de l'être. Bien entendu, une capitale comme Luxembourg doit avoir cette fonction avec une immense vocation socio-économique et socio-culturelle dans laquelle je me sens totalement impliqué par l'exercice de ma profession et de ma passion pour l'art. Mais c'est un discours très complexe que d'aller à la recherche de valeurs dans la cité et de la nécessaire transmission entre les anciens, les adultes et les jeunes.

La culture, pour moi, résulte à la fois d'une approche de l'espace-temps sur une base multiculturelle et du respect du discours transgénérationnel. Nous avons cent trente nationalités à Luxembourg et notre ville est un formidable laboratoire dans le domaine de la culture et aussi des structures entre l'individu et la cité.

Quelle est l'origine de votre passion pour les arts, les lettres et la poésie en particulier?

"C"est un peu inconsciemment que cela a commencé. Vers l'age de 14 ans, j'ai développé une sensibilité à l'égard de la poésie, sensibilité que j'estimais à l'époque coupable. Je trouvais que cela ressemblait à de la sensiblerie, en tout cas à garder pour soi! Au fur et à mesure, il y a eu une évolution, jusqu'en 1972 où j'obtins à Paris le 1er prix, médaille d'or de l'Académie Internationale de Lutez. J"avais fait lire quelques-uns de mes poèmes à un ami qui me conseilla de les envoyer.

Un premier pas, en somme. Quel fut le cheminement ensuite?

Très modeste, somme toute, car conscient que j'avais un certain talent mais que j'avais à fournir un énorme travail pour acquérir une réelle fermeté stylistique, j'ai attendu sept années supplémentaires pour publier mon premier recueil. C"est là, je crois, toute la problématique de la création. Il y a le stade de la naissance du talent et c'est encore loin de l'aboutissement. Il faut alors savoir s"inscrire dans la durée.

Dans le domaine de la création, il y a beaucoup de gens très talentueux mais qui sont trop impatients. Le processus est inscrit dans la durée de la vie. Il faut se donner cette patience et ne pas rentrer dans un activisme forcené.

Vous avez eu certainement des "Maîtres"?

"Oui... à Luxembourg Edmond Dune et Paul Henkes qui ont été très attentifs à mon travail et qui, justement, m'ont ouvert sur la rigueur et sur cette indispensable notion de patience.

Mais rigueur et poésie, n'est-ce pas contradictoire?

"Je crois que mon travail est un travail de sensibilité, mais aussi d'investigation. Un travail poétique, pour être valable, doit être sensible mais doit utiliser le verbe comme un instrument chirurgical, comme un scalpel et ainsi maîtriser parfaitement l'émotif.

Tout commence par l'angoisse de la feuille blanche?

"Une feuille blanche est un document fondamentalement passif qu'il faut savoir toucher avec doigté et respect. Il y a donc une approche éthique, esthétique, d'aborder une feuille de papier avec sensibilité. Le contrepoint de cette sensibilité doit être cette maîtrise émotionnelle qui permet de la transcender. On est là dans le domaine de la projection, voire de la quête de l'universel.

C"est de nouveau le philosophe qui apparaît?

"J"ai vraiment fait un travail traversant toutes les couches d'âge, commençant avec l'enfance, passant ensuite à l'adulte et faisant des textes traitant de ce qui unit et désunit la condition humaine, terminant logiquement avec les personnes âgées.

Je serai la semaine prochaine à Nancy où je fais partie d'une association d'aide aux enfants malades au C.H.U. de Brabois. Je me suis impliqué en tant qu'individu dans des groupements d'aide aux enfants, une belle manière de découvrir la condition humaine. Oui, le poète est un philosophe et, en ce qui me concerne, impliqué dans les larmes et dans le sang mais également ouvert à tout ce qui est positif, réjouissant et constructif.

Pourrait-on dire que ce sont des photographies de la vie, votre travail se rapprochant alors de cet autre poète, le photographe?

"Oui, je suis tout à fait d'accord!

Quel est votre souvenir poétique le plus marquant?

"Il est très certainement lié à une jeune fille qui est malheureusement décédée très jeune, Malika. Elle a écrit une soixantaine de poèmes, pratiquement un par jour jusqu'au dernier jour de sa vie. Le dernier poème est resté en rupture sur un mot inachevé.

êtes-vous toujours en état de perception poétique?

"Je le suis très souvent, mais de là à créer le poème, il y a un très long processus de maturation. Le bon texte est celui qui transmet l'image mentale au lecteur. Je suis en train de préparer deux livres, l'un sera consacré à tout ce qui génère la destruction de l'humanité, l'autre sera sur la condition de la vieillesse, une approche sur l'esthétique de cet état.

Je parlais plus haut du travail d'investigation. Ce dernier ouvrage m'a amené à de nombreuses recherches dans le domaine du droit et à des réflexions politiques liées à la condition du grand âge.

Nous sentons poindre le poète "engagé"!

"Il faut avoir le courage de réellement définir et de circonscrire un phénomène avec les armes dont dispose le poète. Sa vision prend en compte la complexité de la cité, le politicien devrait faire de même!

Les politiciens ne sont pas des poètes. Auriez-vous l'intention d'entrer en politique?

"Non, il y a des gens beaucoup plus formés que moi, mais ceux-ci seraient bien inspirés de s"inscrire dans une forme de préoccupation à moyen et long terme pour éviter les écueils reliés aux contingences électorales. J"ai mes doutes, je ne pense donc pas être l'homme habilité à faire de la politique! Vous savez, la pensée complexe du poète n'est pas forcément conciliable avec le discours politique.

En plus de la poésie, vous êtes grand amateur d'art. Quel est votre peintre préféré?

"Rembrandt, sans hésitation.

Votre sculpteur préféré?

"Brancusi.

Votre écrivain préféré?

"Je lis de nombreux ouvrages traitant de sciences économiques, et j'ai beaucoup apprécié le livre de Joseph E. Stiglitz, Un autre monde.

Votre poète préféré?

"Paul Éluard. En conclusion, je dirai que l'homme est fondamentalement poète. Il l'est en regardant une toile, une sculpture, il l'est en écoutant une oeuvre musicale. Je suis persuadé que nous avons tous cette capacité de transcendance. C"est le grand secret du phénomène de la culture. Il faut que se rencontrent l'artiste et l'amateur d'art".