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Dans la vie d’une entreprise, il arrive souvent que celle-ci en vienne à évaluer la possibilité de devenir propriétaire de ses murs. L’acquisition d’un bien immobilier présente des opportunités, mais aussi des risques. Dans un monde qui change, il importe de prendre en compte tous les paramètres.

Devenir propriétaire ou rester locataire. Voilà un dilemme qui se pose généralement quand vient le moment de relocaliser son entreprise. Être dans ses propres murs ou créer son propre immeuble pour y accueillir ses employés présente certainement des avantages. Mais encore faut-il pouvoir mesurer les opportunités et les risques qu’implique le fait de devenir propriétaire. « Vaut-il mieux rester locataire ou devenir propriétaire ? Il n’y a évidemment aucune réponse simple à cette question, commente René Diederich, avocat à la Cour et Of Counsel du cabinet Linklaters, spécialisé notamment en droit immobilier. Tout dépendra avant toute chose du type de l’entreprise qui envisage la possibilité de devenir propriétaire, de sa vision à long terme et du secteur dans lequel elle évolue. »
Du côté des opportunités, elles sont de plusieurs ordres. L’une d’elles, sans doute la plus importante, réside dans la sûreté du placement que représente son propre immeuble. « La brique reste un actif sûr. Jusqu’à présent, et aucun indicateur ne permet d’affirmer que la tendance va s’inverser, un immeuble prend de la valeur au fil du temps. Dans la plupart des cas, un banquier confirmera que le fait de devenir propriétaire n’est pas un investissement mauvais », explique Norbert Becker, investisseur, manager et directeur indépendant dans une variété d’entités régulées ou non.

L’autre grand avantage, quand on envisage une construction, est que l’on pourra réaliser son bâtiment en fonction des besoins de la société. « Mais, au-delà du fait de disposer d’un immeuble qui répond précisément à leurs exigences, beaucoup en feront un réel symbole de leur entreprise. Le bâtiment qu’ils occuperont devra être le reflet de leur force, de leur style, de leur identité », poursuit Norbert Becker.

Plusieurs immeubles en projet au Kirchberg, comme celui de KPMG ou d’Arendt & Medernach, devraient constituer de parfaits exemples de cette volonté de faire transparaître l’image de son entreprise à travers des conceptions originales.

En devenant propriétaire, on constitue un capital. Alors qu’un loyer, forcément, profitera à d’autres. « Un immeuble peut en effet constituer une réserve financière intéressante et un investissement sur le long terme », explique René Diederich.

Les inconvénients, de leurs côtés, doivent aussi être évalués. Le premier réside dans le capital dont il faut disposer et immobiliser dans la pierre afin d’accéder à la propriété. « L’objectif premier d’une entreprise n’est pas de devenir propriétaire. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles préféreront se concentrer sur leur core business et investir dans leur métier plutôt que dans des briques. Être propriétaire, d’autre part, exige de mobiliser énergie et ressources qui ne sont, là non plus, pas directement liées à l’activité, explique René Diederich. La valorisation des immeubles au Luxembourg, d’autre part, dépendra directement de l’évolution générale de l’économie. Aussi faudra-t-il être prudent. »

Pas de règle d’or

Selon Norbert Becker, s’il précise que la question relative à l’opportunité de devenir propriétaire ne se pose heureusement que très rarement dans la vie d’une entreprise, elle se résout de manière relativement simple. « Il faut avant tout voir si l’on dispose ou non des moyens pour le faire », explique-t-il. Aussi, les entreprises qui s’engageront dans l’acte d’achat sont celles qui sont inscrites de manière durable sur la Place. Ce seront d’ailleurs probablement les seules à même de convaincre leur banquier.

« Quand on procède à l’acquisition ou à la construction de son propre immeuble, on le fait généralement pour une vingtaine d’années. L’investissement est considérable. Il faut donc une assise financière bien établie et une vision à long terme à même de convaincre les financiers », précise Norbert Becker. Une start-up, en effet, ne se posera jamais la question. Cette dernière, sans aucun doute, a bien d’autres priorités d’investissements et n’envisagera pas l’immobilier pour créer une plus-value sur un horizon de 20 ans. « Les entreprises qui décident de devenir propriétaires ont, de manière générale, atteint une certaine taille critique, une réelle histoire sur la place financière de Luxembourg, explique Romain Muller, managing director de Jones Lang LaSalle Luxembourg. Elles peuvent le faire directement. Mais, souvent, ce sont les associés ou propriétaires de l’entreprise qui préfèrent investir dans la pierre, à travers la création d’une structure dédiée de type SCI. »

Toutefois, un cas n’est pas l’autre. « Et, au regard de mon expérience, je peux confirmer que c’est souvent une question d’opportunités et qu’il n’y a pas de règle d’or », insiste Norbert Becker.

Dans un environnement de plus en plus incertain, les sociétés internationales présentes au Luxembourg préfèrent souvent la flexibilité de la location à la durabilité de la propriété. « Les entreprises qui ont la volonté de placer autant d’argent dans un immeuble sont effectivement de plus en plus rares. Cela dépend évidemment des secteurs et de l’activité. Mais de manière générale, les entreprises internationales présentes au Luxembourg et actives dans le domaine des services, en raison de l’investissement que représente l’acte d’acquisition et de la flexibilité que nécessite leur développement à l’échelle internationale, choisissent de rester locataires, précise Romain Muller. Beaucoup préfèreront réaliser des plus-values grâce à l’activité qu’elles développent plutôt qu’en investissant dans la pierre. »

Dans un monde qui change, d’un point de vue économique, fiscal et légal, dans lequel on délocalise facilement des départements entiers d’une société, il semble qu’il soit de plus en plus difficile pour une entreprise de s’engager durablement à un endroit. D’autre part, l’émergence des technologies révolutionne l’approche du travail, mais aussi l’aménagement des espaces de bureaux, permettant notamment une rationalisation de ceux-ci. Aussi, le risque de se retrouver dans un immeuble trop vaste doit être envisagé avant de s’engager durablement.

Aujourd’hui, par ailleurs, des solutions flexibles permettent à des entreprises de disposer de l’immeuble qui leur siéra sans nécessairement devoir investir dans la pierre. « Le leasing immobilier, dans de nombreux cas de figure, peut être une solution intéressante. Derrière ce concept, l’idée est de faire construire un immeuble selon ses besoins, mais duquel on restera locataire. Au cœur de l’opération, après un laps de temps défini, la possibilité de racheter l’immeuble à une valeur déterminée sera donnée au locataire, estime Norbert Becker. Il sera alors libre de choisir s’il désire ou non devenir propriétaire de l’immeuble. Cette possibilité existe, même si elle est relativement peu utilisée au Luxembourg. »

De la même manière, à l’heure où les banques ne prêtent plus sans obtenir d’importantes garanties, les promoteurs préfèrent parfois trouver le locataire de leur projet et en définir les contours avec lui avant d’aller voir les financiers. « Les investisseurs, eux, s’intéressent avant tout au rendement et non à l’utilisation qui sera faite du bâtiment. C’est une fenêtre d’opportunités, pour les locataires, de pouvoir disposer d’un immeuble construit en fonction de leurs besoins sans devoir investir massivement dans la pierre », explique René Diederich.

Les solutions, aujourd’hui, sont donc nombreuses. Comme l’économie, l’immobilier évolue et s’adapte. « Même au niveau des baux, aujour­­d’hui, il faut être imaginatif, pour permettre au locataire d’évoluer, en grandissant ou en faisant face à un recul de l’activité, note Romain Muller. On peut par exemple louer des surfaces de bureaux avec, inscrites dans le bail, des options permettant d’occuper des espaces supplémentaires ou, au contraire, d’en libérer si le besoin s’en fait ressentir. Avant toute chose, je pense que la majorité des entreprises de la Place cherchent de la flexibilité. Au marché de l’immobilier , dès lors , de s’adapter. »  

 

Tendance - L’aménagement mais pas les murs

On peut parfois s’étonner des comportements de certaines entreprises qui, si elles ne souhaitent pas devenir propriétaires, investissent dans l’aménagement de telle manière que tout est pensé pour durer longtemps. « L’argument de la flexibilité, quand on amortit ses investissements au niveau des aménagements de bureau sur plus de dix ans, ne tient plus vraiment. Pourtant, certains peuvent aller jusqu’à investir dix millions dans des équipements sans souhaiter pour autant devenir propriétaire
des murs
 », explique Romain Muller. Ces derniers se défendront en prétextant un manque de vue à long terme sur les perspectives économiques du pays. Un retournement dramatique de la situation, dans la mesure où une entreprise internationale présente au Luxembourg serait propriétaire, pourrait s’avérer lourd à gérer.
« Se retrouver avec un immeuble sur les bras, à devoir vendre, dans la perspective d’une dévaluation ou d’un ralentissement économique, prend du temps et génère des soucis. Investir dans la pierre peut être intéressant mais cela doit se gérer à long terme. » 

 

Selon les secteurs - Le commerce mieux protégé

Le choix de devenir propriétaire ou locataire dépend aussi des secteurs d’activité. Ainsi, une entreprise artisanale ou industrielle, le plus souvent, investira directement dans son bâtiment, dans la mesure où ce dernier constitue son principal outil de production. Les entreprises actives dans le service, plus dépendantes des fluctuations du marché, se décideront la plupart du temps en fonction des opportunités qui s’offrent à elles. Celles qui disposent d’une assise financière importante et d’une certaine histoire pourront sans doute trouver un réel intérêt à devenir propriétaires.
De manière générale, on constate toutefois que les commerçants sont rarement propriétaires de leurs murs. Cela peut paraître étonnant, dans la mesure où le bon fonctionnement de leur activité est souvent lié à leur emplacement. Et qu’une fin de bail mal venue pourrait contraindre cette activité à cesser. Seulement,
au Luxembourg, les baux commerciaux intègrent une clause de renouvellement préférentiel du contrat, de manière à protéger l’occupant et à lui permettre de préserver son fonds de commerce. Un commerçant est de la sorte à l’abri des mauvaises surprises, mais pas à l’abri d’une augmentation du loyer. Aussi, des commerçants inscrits durablement dans un environnement auraient sans doute tout intérêt à devenir propriétaires.