Patokh Chodiev, Alexander Machkevitch et Alijan Ibragimov (de gauche à droite), forment le célèbre trio kazakh.  (Photos: Licence CC et Forbes / Montage: paperJam)

Patokh Chodiev, Alexander Machkevitch et Alijan Ibragimov (de gauche à droite), forment le célèbre trio kazakh.  (Photos: Licence CC et Forbes / Montage: paperJam)

L’annonce est suivie dans les milieux boursiers mais n’était pas vraiment arrivée sur la place publique au Grand-Duché. Elle concerne pourtant un groupe mondial, quelques-unes des plus grosses fortunes de la planète, une flopée de juridictions et le Luxembourg.

ENRC (Eurasian Natural Resources Corporation) est en effet devenu luxembourgeois. C’est un groupe d’origine kazakhe qui a développé sa fortune dans les mines de fer, puis l’exploitation et la commercialisation de ressources (charbon, chrome, cuivre, cobalt, bauxite, platine, etc.) dans les anciennes républiques soviétiques et en Afrique, puis la logistique, les opérations immobilières et financières tous azimuts.

Consortium pas tout à fait nouveau

Il a connu un boum énorme, notamment en mettant la main sur d’immenses ressources minières en Afrique (Congo, Mozambique, Mali, Afrique du Sud...). Mais les actifs de la société remontent sans aucun doute aux années 1990, quand la République du Kazakhstan a lancé et accompagné un vaste processus de privatisation.

En fait, ERNC est rachetée par Eurasian Resources, un groupe créé en mai dernier au Grand-Duché, où ERNC établit désormais son siège. Eurasian Resources se présente comme un consortium formé d’Alexander Machkevitch, Alijan Ibragimov et Patokh Chodiev, avec l’aval et la participation officielle de la République du Kazakhstan. Le trio d’oligarques était déjà à la tête du groupe, jusque-là basé à Londres, mais présent aussi, notamment, aux Pays-Bas.

En Bourse de Londres, ENRC capitalise presque quatre milliards de livres (4,6 milliards d'euros). La cotation d’ERNC à la London Stock Exchange devrait s’arrêter d’ici quelques jours, le 25 novembre.

Cascade de dominos

Depuis le début de l’année, ENRC est la cible des autorités fiscales et judiciaires britanniques, ainsi que de la presse. En avril, le Sunday Times avait ainsi révélé que les trois fondateurs étaient à l’origine d’une OPA sur ENRC, sur eux-mêmes en quelque sorte.

Hasard ou pas, ENRC a alors connu une cascade de dominos: démission des trois dirigeants majeurs et de hauts cadres, puis du président, remplacé à la va-vite par le gestionnaire d’une banque privée suisse. Le Guardian annonçait ensuite que le «Serious Fraud Office», l'organe britannique de lutte contre la corruption, la fraude et le crime financier organisé, enquêtait sur les pratiques commerciales d'ENRC.

Dans le rapport d’activités daté du 30 avril, ENRC reconnaît d’ailleurs que les autorités cherchent à savoir si le groupe a violé les règles s'appliquant en Grande-Bretagne aux sociétés cotées en Bourse, notamment lors de fusions et acquisitions menées en Afrique.

Rien en mai, tout en juin

En mai dernier, ENRC, sans céder au tumulte anglais, avait annoncé ses résultats du 1er trimestre 2013. La trésorerie disponible atteignait 800 millions de dollars en fin de période, la dette nette 5,5 milliards de dollars et des investissements estimés à 1,3 milliard de dollars pour la fin d’année.

Au même moment, le groupe commentait des déclarations (divulguées le 19 avril) d’Alexander Machkevitch, détenteur identifié d'environ 14% d'ENRC, selon lesquelles il constituait un consortium dans le but de lancer une OPA sur le groupe. Le conseil d'administration d'ENRC répétait, dans un communiqué, qu’il n’avait alors «reçu aucune proposition pouvant déboucher sur une offre».

À peine un mois plus tard, en juin, le board de Eurasian Resources Group (qui venait d’installer son siège au Luxembourg) avait annoncé l’offre pour l’intégralité des parts d’ENRC, dont la société néerlandaise Eurasian Resources était déjà actionnaire.

Eurasian Resources Group est logée avenue Marie-Thérèse. À l’origine de cette société, dont les publications officielles ont déjà noirci quelques pages en peu de temps, se trouvait, notamment Eleanor Investments, société créée par ALM Luxembourg Holdings. Cette dernière, à l’image de quelques autres, est portée par Alexander Machkevitch.

Bien connus

En août dernier, le ministère des Finances de la République du Kazakhstan participait à une augmentation de capital, via l’apport d’actions des sociétés Kazakhmys et Eurasian Natural Resources Corporation (deux PLC – public limited company – constituées en Angleterre et au Pays de Galles). Et à la même période, apparaissait dans les publications officielles du groupe le nom de Patokh Chodiev.

Quelques présentations s’imposent sans doute à ce stade.

Patokh Chodiev, 60 ans, est un entrepreneur originaire d’Ouzbekhistan. Dans le registre luxembourgeois des sociétés, il est résident suisse. Il a aussi obtenu la nationalité belge, en tant que résident de Waterloo. Il possède aussi de belles propriétés, notamment à Londres, à Moscou ou sur la Côte d’Azur. On le dit ancien officier du KGB et proche de Vladimir Poutine.

Alijan Ibragimov, né kirghize il y a 60 ans, est plus discret. On le présente le plus souvent comme membre de ce fameux «trio d’oligarques du Kazakhstan» et il figure bien sûr, comme les deux autres, parmi les plus grosses fortunes planétaires, selon Forbes.

Quant à Alexander Mashkevitch, 60 ans l’an prochain, il est sans doute le plus exposé des trois milliardaires. Domicilié à Tel-Aviv, il dispose de la double nationalité kazakhe et israélienne. Il est notamment connu pour être à la tête de la branche Euro-Asie du Congrès juif Mondial. Il a aussi été cité dans quantité de projets économiques et quelques affaires judiciaires (en Turquie, en Belgique), souvent aux côtés de Chodiev. 

ALM, comme Alexander Mashkevitch

La plus connue peut-être a d'ailleurs concerné les trois oligarques: il y a 10 ans, les justices belge et suisse avaient déjà levé un scandale de commissions occultes (55 millions de dollars) impliquant Tractebel (devenu GDF Suez) et ENRC dans une histoire de juteux marché gazier obtenu… au Kazakhstan.

Alexander Mashkevitch dispose de plusieurs sociétés – une quinzaine – au Luxembourg, parfois liées à ENRC et souvent identifiées par les initiales ALM. Pour l’anecdote, il y est d’ailleurs fait mention, dans les statuts, de siège transférable partout sauf au Royaume-Uni ou en Israël.

On trouve par exemple ALM Luxembourg Holdings, une société elle-aussi domiciliée avenue Marie-Thérèse (elles sont presque toutes au même numéro) qui se définit comme l’entreprise patrimoniale d’un family office unique, liée à un groupe international actif dans différents pays, dont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Russie ou le Kazakhstan.

Clairement, le Luxembourg en est aussi.