Le débat électoral européen, cette fois, occupe seul le devant de la scène. (Photo: Junckerepp)

Le débat électoral européen, cette fois, occupe seul le devant de la scène. (Photo: Junckerepp)

Nom: Union européenne (anciennement Communauté économique européenne). Date de naissance: 25 mars 1957. Taille: 4.271,6 milliers de km2, étalés sur 28 pays. Nombre d’habitants: 503 millions.

Le décor est impressionnant et, dans ce grand théâtre géopolitique, le casting des principaux acteurs est sur le point de démarrer. Entre le 22 et le 25 mai prochain, chacun des 28 États membres de l’UE élira les 751 députés qui siègeront au Parlement européen de Strasbourg et qui les représenteront jusqu’en 2019.

Le Luxembourg occupera, comme actuellement, six sièges dans le majestueux hémicycle de Strasbourg. Lors de la législature sortante, trois de ces sièges étaient aux fesses du parti chrétien-social sous la bannière du Parti populaire européen (PPE): Frank Engel, Astrid Lulling et Georges Bach. Les trois autres se répartissaient entre les Verts (Claude Turmes), les libéraux (Charles Goerens) et les socialistes (Robert Goebbels). Indépendamment de la future répartition de ces six sièges, il y aura forcément du renouveau dans les rangs des eurodéputés luxembourgeois, puisqu’Astrid Lulling (84 ans) n’a pas été retenue par le CSV et que Robert Goebbels (70 ans) a décidé de ne pas se représenter.

Au Grand-Duché, le scrutin, en un seul tour, aura lieu le 25 mai, date à laquelle auraient également dû se dérouler, normalement, les élections législatives nationales. Mais la tenue du scrutin anticipé le 20 octobre dernier a radicalement changé la donne et pour la première fois depuis 1979, date à laquelle les citoyens de ce qui s’appelait alors la Communauté économique européenne (et qui ne comptait que neuf États membres) ont commencé à élire au suffrage universel direct leurs députés européens, le scrutin sera organisé de manière totalement indépendante.

Faut-il, dans ce nouveau contexte, craindre une reproduction à l’identique des résultats du 20 octobre? «La démocratie ne bégaye jamais et la copie conforme n’existe pas en politique», prévient Jean Asselborn, l’ancien Vice-Premier ministre luxembourgeois socialiste, qui a conservé, dans le nouveau gouvernement, son poste de ministre des Affaires étrangères et européennes. «Le vote en octobre découlait d’une dissolution anticipée de la Chambre des députés. Pour les élections européennes, nous avons toujours les mêmes partis, mais axés sur l’Europe, et cela permettra à chacun de ces partis de faire ressortir leur sensibilité sur ce sujet. Les gens savent très bien pour quoi ils iront voter le 25 mai.»

Seul en scène

Cette nouvelle configuration électorale est loin d’être anodine. Souvent relégué au second plan, dans l’ombre des enjeux nationaux, le débat électoral européen, cette fois, occupe seul le devant de la scène. D’une certaine façon, cela tombe bien, car par rapport au dernier scrutin de 2009, les règles du jeu ont pour le moins changé. C’est la conséquence de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, dont la réflexion, initiée presque concomitamment aux célébrations, en mars 2007, du 50e anniversaire de la signature du Traité de Rome, a débouché sur un texte signé par les chefs d’État et de gouvernement le 13 décembre de la même année, en clôture de la présidence portugaise de la conférence intergouvernementale.

Entré en vigueur le 1er décembre 2009, après que tous les États membres ont procédé à sa ratification dans leur législation nationale (ce fut le cas dès juillet 2008 pour le Luxembourg), ce texte, modifiant à la fois le Traité sur l’Union européenne et le Traité instituant la Communauté européenne, a introduit quelques nouveautés majeures dans le fonctionnement des institutions. À commencer par la désignation d’un président du Conseil européen, fonction finalement échue au Belge Herman Van Rompuy (désigné le 19 novembre 2009 et qui a commencé sa mission le 1er janvier 2010), alors que le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, semblait longtemps tenir la corde, avant d’être sacrifié par le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy.

Mais parmi les changements les plus visibles institués dans ce traité, il y a évidemment l’évolution du rôle dévolu au Parlement européen, aux pouvoirs budgétaire, législatif et de contrôle renforcés. Le texte prévoit notamment l’élargissement de la procédure de codécision à 40 nouveaux domaines comprenant la politique agricole commune, les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration.

En outre, le Parlement européen est désormais nanti, en matière budgétaire, d’un droit de décision égal à celui du Conseil et est amené à voter sur l’ensemble des dépenses de l’Union européenne. «Le Parlement n’est, ainsi, plus une simple assemblée qu’il faut consulter, mais c’est vraiment là que, désormais, se fait tout le débat politique public autour des choix qui sont posés sur la table», résume Christoph Schroeder, chef du bureau d’information du Parlement européen à Luxembourg.

Enfin, et cela prend toute son importance à l’heure du scrutin, l’élection du président de la future Commission européenne, par le Parlement (toujours sur proposition du Conseil européen), devra cette fois-ci tenir compte de la majorité sortie des urnes. «C’est un élément de personnalisation qui manquait dans les campagnes européennes précédentes, ajoute M. Schroeder. Avant, on se contentait d’élire les six députés européens au Luxembourg… Aujourd’hui, il y a un vrai débat, avec en ligne de mire des candidats concrets, qui ont chacun une vision différente de l’Europe. L’Europe n’est plus quelque chose d’anonyme, qui se passe quelque part entre Bruxelles et Strasbourg et, parfois, Luxembourg. Bon nombre d’électeurs vont pouvoir se sentir d’autant plus impliqués avec cette configuration.»

De sacrées têtes d’affiche

Et quand un de ces candidats désignés à la présidence de la Commission s’appelle Jean-Claude Juncker, le débat prend évidemment une tout autre forme au Luxembourg. Adoubé par le Parti populaire européen (le parti le plus représenté au sein du Parlement, avec 274 sièges et qui fut, entre 1987 et 1990, présidé par Jacques Santer), mais sans pour autant se présenter en tant que candidat du parti chrétien-social pour le scrutin du 25 mai, l’ancien Premier ministre, redevenu «simple» député, a mené une campagne pour le moins tonitruante.

C’est un minimum face à une opposition qui ne manque pas de corps, avec des autres candidats déclarés qui sont pratiquement tous, déjà, députés européens: le Français José Bové et l’Allemande Franziska Keller (tous deux désignés par les Verts); l’Allemand Martin Schulz (l’actuel président du Parlement, tête de liste des socialistes européens); le Grec Alexis Tsipras (candidat du Parti de la gauche européenne, le seul autre candidat à ne pas être déjà eurodéputé) et l’ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt (président de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe au Parlement européen depuis 2009).

Entre le Luxembourg et l’Europe, il serait très réducteur de ne parler que d’une simple histoire d’amour. Le lien est évidemment beaucoup plus fort, et pas uniquement parce que le pays abrite un certain nombre d’institutions clés de la grande galaxie étoilée. «Pour un pays de notre dimension, il est incontestable que c’est l’Union européenne qui nous a permis d’avoir voix au chapitre, fait remarquer Jean Asselborn. Nous aurions sans doute beaucoup moins d’influence si nous n’avions pas eu l’idée de pousser l’intégration européenne. Le Luxembourg a toujours bénéficié d’une Europe forte et il est indispensable que nous puissions participer aux décisions qui concernent l’euro, la politique étrangère ou encore le changement climatique… Sans l’UE, nous serions dans un petit coin, à ne rien faire d’autre qu’écouter ce que disent les autres et subir.»

Depuis la survenance de la crise économique et financière en 2008, l’opinion publique a eu tout le loisir de découvrir combien le degré d’intervention de ces institutions européennes pouvait aller très loin. Et beaucoup de citoyens européens ont appris que la troïka ne désigne pas uniquement un attelage tiré par trois chevaux, quand bien même la métaphore utilisée pour désigner, ensemble, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international est évidemment on ne peut mieux choisie.

«Il y a encore 10 ans, les gens de la rue pensaient que l’Europe se préoccupait surtout de légiférer sur la forme des bananes ou sur l’appellation des fromages, explique Christoph Schroeder. Aujourd’hui, on se rend compte que le Parlement et le Conseil européens ont pris des décisions importantes et capitales dans le cadre de la résolution de la crise économique et financière. Mais ils interviennent aussi sur tellement d’autres sujets, comme le salaire des banquiers, le changement climatique, la politique énergétique ou le commerce extérieur… Autant de dossiers qui nous touchent vraiment au quotidien. La question des tarifs de roaming en est un parfait exemple, qui est d’autant plus sensible, ici, au Luxembourg. Et elle a été réglée au niveau européen. Il est heureux de voir aussi que sous la pression des eurodéputés, certaines idées de la Commission peuvent être influencées avant qu’elles ne débouchent sur une vraie décision. Ce fut le cas, récemment, avec un projet évoqué de réglementation des petites bouteilles d’huile que l’on trouve sur les tables des restaurants. Cela n’avait finalement pas été retenu.»

Au fil des ans, la perception qu’ont les citoyens européens a fortement évoluée. Et pas toujours dans le bon sens. En 2004, l’Eurobaromètre semestriel, l’étude d’opinion coordonnée par la Commission européenne, indiquait un niveau de confiance «global» de 50% envers les institutions européennes. Un taux qui a dégringolé à 31% lors de la dernière édition de ce sondage, à l’automne 2013.

Loin de ceux qui placent l’Europe sur un piédestal, comme divinité absolue de la sagesse, les eurosceptiques sont de plus en plus nombreux et se font de plus en plus entendre. L’un des enjeux de ces élections sera d’ailleurs de mesurer la montée en puissance des partis eurosceptiques. «Ce scrutin intervient en effet à un moment particulier, remarque Jean Asselborn. Il n’est pourtant plus question, pour les citoyens européens, d’être complexés. Il faut arrêter de s’excuser d’être Européens, bien au contraire. Et, sans la négliger pour autant, il ne faut pas non plus exagérer l’importance de la montée des eurosceptiques et de tous ceux qui pensent que les choses iraient mieux sans l’Europe. Cela va souvent de pair avec la montée d’un nationalisme exacerbé, mais cela ne représentera qu’à peine 10% sur le nombre total de députés européens élus. Ce n’est pas catastrophique.»

L’euroscepticisme, plus qu’un simple figurant

Cette poussée eurosceptique fut l’objet d’un colloque organisé le 6 mai dernier par l’Institut d’études européennes et internationales du Luxembourg et la représentation locale de la Commission européenne. Sa faible audience montre sans doute que ce n’est pas au Luxembourg que les thèses anti-européennes ont le plus de succès, mais le contenu des débats, alimenté par des professeurs d’université et des politologues de haut niveau, n’a pas manqué de mettre à plat certains sujets.

Centrées tout d’abord autour des partis d’extrême droite, de leur évolution et de leur progression dans l’électorat – que les orateurs ont, tout comme Jean Asselborn, tenu à relativiser –, les discussions n’en ont pas moins permis d’établir le constat d’un divorce entre la population et l’Europe. Et, plus généralement, la vie politique. «Le principal adversaire du Front national en France est l’abstention», relevait, par exemple, Jean-Yves Camus, associé de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris.

Outre le score des uns ou des autres, il conviendra donc d’analyser et d’interpréter l’importance des bulletins blancs dans les pays où le vote est obligatoire (la Belgique, la Grèce et le Luxembourg) et l’abstentionnisme lorsqu’il ne l’est pas. Un message que les partis traditionnels semblent néanmoins anticiper, tout en voulant éviter de laisser trop de champ aux partis extrémistes ou assimilés. «Chaque parti essaie d’adapter son discours à ce qu’il perçoit comme mécontentement dans la population vis-à-vis du fonctionnement politique de l’Europe et des réponses attendues en matière de gouvernance économique», constate Philippe Poirier, coordinateur du programme de gouvernance européenne à l’Université du Luxembourg. Qu’il s’agisse des Verts ou de Déi Lénk au Luxembourg, côté politique, ou de l’OGBL, côté syndical, la remise en question européenne se fait ainsi sentir au sein même d’un pays plutôt «pro-Union», comme le montre le dernier sondage Eurobaromètre publié en novembre 2013.

«Nous n’observons pas encore de distorsion entre l’avenir collectif du pays et celui de l’Europe, ajoute Philippe Poirier. Même si des inquiétudes sont exprimées, la population est consciente que son avenir dépend de l’Europe. Ceci s’explique notamment par le contexte économique qui, même s’il est plus difficile que par le passé, reste meilleur au Luxembourg.»

Ces inquiétudes et préoccupations, les partis anti-européens ne manqueront pas de surfer dessus. C’est le cas, par exemple, de l’ADR (qui avait recueilli 7,38% de voix au scrutin européen de 2009), qui ambitionne clairement de compter sur «moins d’Europe et plus de Luxembourg» au lendemain du 25 mai, pour paraphraser l’un de ses slogans de campagne. «Le parti réalise en quelque sorte une mue», note Lucien Blau, historien et auteur d’une thèse sur l’extrême droite au Luxembourg au 20e siècle. «Certaines figures du parti, comme M. Gibéryen, s’expriment moins au profit d’autres représentants comme M. Kartheiser, en véhiculant une image très à droite de l’échiquier politique à l’égard, par exemple, de questions sociétales. Il se repositionne également vis-à-vis des fonctionnaires, alors qu’il était originellement plutôt orienté à destination des classes moyennes.»

Cherchant à élargir leur électorat, les partis aux extrêmes du jeu politique se cherchent aussi une popularité grandissante, dans une société en pleine mutation. Les citoyens attendent, quant à eux, des visions d’avenir. Des doléances compréhensibles, pourvu qu’elles n’aboutissent pas sur des solutions qui opposent les uns aux autres. Le Luxembourg est souvent décrit comme le laboratoire de l’Europe, il doit le rester sous ses meilleurs aspects.

Luxembourg

Plus europhile, plus exigeant

La dernière édition de l’Eurobaromètre (l’étude d’opinion sur la vie des citoyens et leur perception de l’Union européenne), publiée fin 2013, fait apparaître, pour les résidents luxembourgeois (un échantillon de 508 personnes, dont 65% de «nationaux»), des résultats généralement largement supérieurs à la moyenne de l’UE. Ils sont ainsi 63% à être optimistes pour le futur de l’Europe, contre une moyenne de 51% à l’échelle des 28 pays et 40% à avoir de l’Union une image très positive ou positive (contre 31% pour la moyenne des 28).

Pour les citoyens du Luxembourg, l’UE est avant tout le symbole de la paix (53%), des droits de l’Homme (50%) et de la démocratie (35%). L’UE est vue de façon identique par l’ensemble des 28 pays membres, mais de manière beaucoup moins prononcée (respectivement 37%, 34% et 30%). Mais cette «europhilie» luxembourgeoise se traduit également par des attentes plus fortes que la moyenne, en matière de politique de sécurité et de défense commune des États membres (93% contre 73% pour les 28), d’union économique et monétaire autour de l’euro (79% contre 52%) et de politique étrangère commune (71% contre 63%).

Ils sont également beaucoup plus nombreux à être contre l’élargissement de l’Union dans les années à venir, avec 69% d’opinions défavorables contre 63% pour l’UE 28.