Pascal Marchesin est un économiste devenu spécialiste des ressources humaines et de la gestion de crise. (Photo: Annabelle Denham)

Pascal Marchesin est un économiste devenu spécialiste des ressources humaines et de la gestion de crise. (Photo: Annabelle Denham)

Monsieur Marchesin, hormis un intermède chez Guardian, la principale partie de votre carrière s'est déroulée dans la sidérurgie, où vous avez notamment eu à gérer bon nombre de restructurations, voire de fermetures de sites, en dernier lieu Rodange, Schifflange et Gandrange. C'est dans ce contexte que le groupe Saint-Paul vous a proposé le poste de DRH...

«Je suis arrivé au Luxemburger Wort le 1er octobre 2012. J'étais alors très confiant et enthousiaste. Le groupe sortait de deux plans sociaux, mais restait économiquement fragile. Ainsi, le 15 du même mois, un plan social était annoncé! Le troisième du groupe. Les coûts étaient mal orientés, il n’y avait pas assez de recettes publicitaires… Il a fallu licencier.

Comment parvient-on à réussir une restructuration sans l’avoir anticipée?

«C’est difficile de bien restructurer quand on n’y est pas bien préparé. Cela a été dur, car je ne m’y attendais pas. Et en même temps, je n’étais pas là depuis suffisamment de temps pour être dans l’affectif. On a créé des cellules emploi. Certains employés ont accepté qu’on les aide. Parmi les 68 emplois supprimés, 30 personnes ont été reclassées. Pendant un certain temps, toute mon équipe était dédiée à cela. Nous avons diffusé des annonces pour mettre en avant le profil des personnes disponibles. Il a fallu gérer le plus humainement possible cette période jusqu’en juin 2013 et reconstruire le futur. Nous avons pris le temps d’être avec les gens pour les aider à passer ce cap en finançant des formations, à rédiger des CV et lettres de motivation. Personne n’était responsable de cette situation, nous devions faire en sorte que les gens puissent s’en sortir. Ma seule préoccupation était de rassurer notre personnel et de l’aider à accepter ce changement. Historiquement, les gens faisaient carrière ici. Dans la foulée du plan social, nous avons dû faire face à des départs volontaires, vers l’État et les communes dans la grande majorité des cas. À la différence de la sidérurgie qui travaille en anticipation, par une gestion prévisionnelle des emplois, pour éviter les plans sociaux, Saint-Paul n’avait pas suffisamment anticipé l’évolution de ses marchés et les conséquences sur ses revenus. Dans ces conditions, la nécessaire réduction des coûts impacte inéluctablement la masse salariale, qui représente plus de la moitié des dépenses de l’entreprise.

Quelles sont les grandes étapes qu’a traversées le groupe?

«J’identifierais trois grandes périodes. Au début des années 2000, tout était relativement facile, on gagnait de l’argent. Nous dénombrions alors 1.000 salariés. La crise arrive et jusqu’en 2012, Saint-Paul entame une phase de restructuration avec un plan de maintien de l’emploi et trois plans sociaux qui permettent une chose: adapter les coûts de l’entreprise à ses recettes. Cela induit des licenciements et le moral des salariés baisse. En 2013, nous occupons 400 personnes et nos métiers stratégiques sont clairement définis. On investit alors sur les compétences métiers. La situation est toujours fragile, mais on apprend à véritablement consolider le reste. Nous sommes désormais ancrés dans une démarche d’assurance qualité et de progrès continu. De mon côté, le temps doit être consacré à 90% au développement et 10% à l’administratif.

Plus de deux ans après votre arrivée, diriez-vous que vous êtes parvenu à gagner la confiance des gens?

«De plus en plus de gens osent venir me parler. Il a fallu que je change le registre des discussions après le dernier plan social. Je pense que j’ai su ‘humaniser’ les entretiens et je continue à le faire. Durant la phase de consolidation de l’entreprise, nous avons géré les problématiques de remplacement en lançant des plans de formation et en travaillant sur des projets personnels. C’est ce qui aide à reprendre confiance. Les gens ont conscience que le milieu de la presse est fragile, mais je suis confiant pour l’avenir. Nous sommes correctement organisés, nos efforts sont continus. Ma priorité est de penser à l’humain au milieu de ce business.

Le changement de direction générale du groupe, il y a un peu plus d’un an avec l’arrivée de Paul Peckels, a-t-il impliqué de nouvelles orientations dans la stratégie RH de l’entreprise?

«Son arrivée est une bouffée d’oxygène. Nous sommes face à quelqu’un de très professionnel, qui stabilise l’organisation et travaille sur le pilotage de l’entreprise. Jean-Lou Siweck, le nouveau rédacteur en chef du Wort, a clarifié la ligne éditoriale du journal pour nous aider à devenir un média indépendant. Cette nouvelle direction cherche à changer l’image de l’entreprise, sans doute trop conservatrice. Elle apporte la neutralité et la qualité qui étaient nécessaires. Nous avons renforcé notre équipe rédactionnelle avec l’embauche de 10 journalistes. Saint-Paul est une entreprise qui doit continuellement s’adapter à une conjoncture complexe et un marché de la presse précaire: nous devons apprendre à maîtriser les coûts tout en définissant parfaitement notre core business, le journalisme de qualité.

Saint-Paul n’avait pas suffisamment anticipé l’évolution de ses marchés et les conséquences sur ses revenus

Les difficultés du groupe Saint-Paul sont aussi liées à la «mutation» ratée de son métier d’imprimeur. Comment cela se gère-t-il aujourd’hui?

«Il y a surtout eu un grand changement au niveau de la charge de l’imprimerie. Notre carnet de commandes a baissé. Nous n’imprimons plus que nos médias sur la rotative. L’imprimerie est devenue un service support qui représente à peine 10% de notre effectif, soit 40 personnes contre 100 il y a encore quelques années. Nous verrons ce que cela deviendra dans cinq ans…

Comment relever le défi du numérique dans un média à forte tradition depuis plus de 150 ans?

«Nous devons être à la fois présents sur le numérique et renforcer le papier. Aujourd’hui, nous développons le numérique sans que ce ne soit rentable. C’est un investissement pour le long terme. Notre contenu en ligne est gratuit et dans plusieurs langues, car nous constatons que les nouveaux lecteurs viennent plus à l’information via ce canal. Notre team web représente 10 personnes. Notre objectif est de maintenir, voire d’améliorer notre niveau d’excellence en ayant une vision du journalisme plus large. En cela, mon rôle est d’aider nos journalistes à s’adapter aux nouvelles technologies pour qu’ils puissent traiter avec tout type de média. C’est le nouveau journalisme ou le journalisme multimodal.

Quel emploi stratégique occupez-vous?

«Mon rôle se joue à plusieurs niveaux. Il est important au niveau du recrutement: nous ne recherchons que des profils qualifiés sur les emplois stratégiques que sont les journalistes, les informaticiens et les commerciaux. Pour gagner en productivité et en efficacité, nous avons par exemple externalisé la gestion des salaires. Le deuxième volet concerne le plan de développement du personnel, soit une gestion par les compétences. C’est là que se trouve notre plus-value. Chez Saint-Paul, 3% de la masse salariale sont consacrés à la formation. On atteindra les 4% l’année prochaine. Nous existons à travers la compétence de nos 400 employés.

Je pense que j’ai su «humaniser» les entretiens et je continue à le faire

Que signifie une «gestion par les compétences»?

«On offre des métiers intéressants, des plans de carrière. Ici, chacun exerce son métier dans de bonnes conditions: nos outils de travail sont modernes. Mais cela ne suffit pas. Ma mission est de faire grandir chaque individu et de développer chaque personne, quels que soient le niveau et l’âge. Je n’ai qu’une conviction: m’occuper des gens et les aider à s’épanouir chez nous. Jusqu’à maintenant, notre système de promotion fonctionnait selon une grille automatique qui datait de 30 ans. Nous avons travaillé à la rédaction d’une convention collective qui a vu le jour au début du mois de janvier, et qui comporte un process d’évaluation individualisé. Pour faire évoluer le personnel, il fallait les intégrer dans une logique de compétences et définir avec chacun des objectifs de carrière. La motivation de chaque salarié repose sur ses perspectives de développement. Nous ne devons pas sous-estimer leurs compétences. Désormais, l’évolution se fera sur la base des évaluations des collaborateurs et leur façon de gérer leur métier. Nous mettrons en exergue leurs points forts et points faibles. Je dois veiller à ce que chacun possède toutes les compétences nécessaires à la bonne pratique de son métier. Du point de vue du salarié, c’est une garantie de reconnaissance et d’employabilité. Du point de vue de l’entreprise, cela va nous permettre de faire encore mieux.

Quelle est la marge de manœuvre laissée par l’actionnaire principal, en l’occurrence l’archevêché? Quel est le «poids» de son droit de regard?

«La maison est en train de se renouveler et de vivre sa vie d’entreprise privée. Pendant 10 ans, notre entreprise était sous convention publique et dans un contexte économique qui ne posait pas problème. L’entreprise a fait des choix sur les produits à conserver et s’est recentrée sur sa propre richesse, c’est-à-dire sa matière grise. L’archevêché nomme le président de notre conseil d’administration, mais le comité de direction garde un certain degré d’autonomie. Il présente les projets stratégiques et les comptes de l’entreprise. Les relations avec le CA sont très saines. Nous croyons tous à la pérennité de l’entreprise. L’esprit familial qui régnait chez Saint-Paul existe toujours. Et chacun veille à protéger cette famille. Si la nouvelle ligne éditoriale offre plus de neutralité et d’ambitions journalistiques, nous avons su conserver les valeurs de la doctrine sociale catholique qui font la réputation de cette maison.

Finalement, où se trouve votre place: dans la presse ou la sidérurgie?

«Je me sens très bien dans la presse, parce que ces nouveaux challenges sont très intéressants et aussi parce que j’ai cette expérience industrielle qui me permet d’apporter cette valeur ajoutée à l’entreprise. J’ai pratiquement 20 années de restructuration derrière moi. Mais ce qui m’anime, c’est la possibilité d’amener du progrès dans les organisations, car il bénéficie aussi bien à l’actionnaire qu’aux salariés. Saint-Paul est un énorme projet en termes de conduite de changement. Tous les jours, nous donnons du sens à nos actions. C’est un vrai plaisir pour un DRH de réussir à gérer un transfert et de voir comment la population évolue. On peut compter les progrès. Ce sont des indicateurs qui ne trompent pas.»

Parcours
Forgé à l’acier sidérurgique. Né dans la vallée de la Fensch, Pascal Marchesin grandit entre les usines et les mines. Après des études en économie, il s’oriente vers un DESS RH en alternance. «Depuis tout petit, je voulais découvrir le milieu de la sidérurgie où mes parents et grands-parents avaient travaillé toute leur vie.» Grâce à un stage d’études de près de deux ans chez Ascométal à Custines, il découvre le travail sidérurgique au sein d’un petit atelier de 100 personnes. C’est une révélation. Si son premier job consiste en la rédaction de référentiels de compétences, très rapidement, il travaille en parallèle des RH sur les démarches participatives et la prévention des accidents de travail. Son chemin se trace… Il demande à exercer son service militaire en expatriation chez Usinor dans la Ruhr, une coopération de 16 mois qui lui permet de découvrir un autre mode de fonctionnement, plus intensif et physique. En 1997, de retour à Hagondange, il intègre la Safe, une «forge plus moderne» de 500 personnes avec des responsabilités davantage liées au développement et à la gestion des compétences. «Je fais mes premières armes dans les relations avec les syndicats et suis confronté à la restructuration des activités de l’entreprise.» Puis en 2000, Arcelor finit par lui faire de l’œil. «Florange était l’étoile qu’il fallait aller voir.» Une aventure qui va durer six ans et durant laquelle il se concentre sur la restructuration de la filière liquide et l’animation d’équipe. En 2007, il rejoint le Grand-Duché, par le biais d'une première expérience chez Guardian Industries à Dudelange… Avant que ArcelorMittal ne le rappelle pour devenir le DRH de ses tréfileries à Luxembourg, puis en France. Son parcours sidérurgique s’achève par le plan de sauvetage des usines de Rodange et Schifflange. En intégrant le monde de la presse en 2012, il est rattrapé par le destin et scelle le troisième plan social du groupe Saint-Paul.