Le Grand-Duché se distingue par son enthousiasme dans l’émergence d’un Parquet européen dont il revendique le siège. (Illustration: Maison Moderne)

Le Grand-Duché se distingue par son enthousiasme dans l’émergence d’un Parquet européen dont il revendique le siège. (Illustration: Maison Moderne)

Évoqué dès la fin des années 1990, le Parquet européen devrait finalement voir le jour en 2019 à l’issue d’un long calvaire. L’idée est apparue au sein du groupe de travail de juristes réunis autour de Mireille Delmas-Marty, le «Corpus juris», en 1997, militant pour la création d’un procureur européen qui serait compétent pour la protection des intérêts financiers des communautés européennes.

Écartée lors de la rédaction du traité de Nice, l’idée réapparaît toutefois dans le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005, dont l’article III-274 mentionne la possibilité d’instituer un Parquet européen, «compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union».

C’est finalement le traité de Lisbonne, en 2009, qui fait entrer cette disposition dans le traité sur le fonctionnement de l’UE – on ne parle toujours que de la possibilité, et non de l’obligation, d’instaurer le Parquet européen.

Est-ce l’avancée inexorable de la construction européenne, ou bien la prise de conscience de l’ampleur des fraudes touchant l’argent public au lendemain de la crise économique et financière mondiale? En tout cas, c’est en juillet 2013 que la Commission s’est décidée à déterrer le principe du Parquet européen et à lancer la machine législative en adoptant une proposition de règlement sur son établissement.

«Depuis juillet 2013, toutes les présidences du Conseil de l’Union ont donné une priorité à la négociation de cette proposition», indique Félix Braz, ministre de la Justice. «Le trio de présidences Italie, Lettonie, Luxembourg a préparé de manière intensive des textes de compromis, afin de faire avancer les négociations. Sous présidence luxembourgeoise, le Conseil a trouvé un accord de principe sur plusieurs aspects-clés de la proposition, comme la compétence du futur Parquet européen, ou encore les mesures d’enquête.»

C’est d’ailleurs durant la présidence luxembourgeoise, au deuxième semestre 2015, que le Parlement européen adopte une résolution dans laquelle il fixe les enjeux d’un procureur à l’échelle européenne: les données collectées par la Commission évoquent 500 millions d’euros de fraudes au budget de l’UE, mais les estimations atteignent 3 milliards d’euros. Et les budgets nationaux seraient privés de plus de 50 milliards d’euros chaque année en raison des fraudes à la TVA intracommunautaire. Or, à peine un tiers des recommandations d’enquête ou de poursuite formulées par l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) sont effectivement suivies de mises en examen.

De fait, le Parquet européen doit constituer une véritable force de frappe contre les fraudes transfrontières et les atteintes au budget de l’UE, à l’heure où chaque sou versé à l’UE et par l’UE est scruté par des opinions publiques plus vigilantes que jamais, et où des politiques d’austérité ont serré la ceinture de dizaines de millions de citoyens européens. «Les citoyens veulent savoir comment leur argent est dépensé et comment il est investi», rappelait le mois dernier Klaus-Heiner Lehne, président de la Cour des comptes européenne, lors de la présentation de son rapport d’activité.

Le Parquet européen apportera une plus-value dans la lutte contre la fraude.

Klaus-Heiner Lehne, président de la Cour des comptes européenne

Les auditeurs européens voient d’ailleurs d’un très bon œil l’arrivée d’un véritable procureur financier. «Le Parquet européen apportera une plus-value dans la lutte contre la fraude», ajoutait M. Lehne, même si ses contours restent à clarifier.

«Le Parquet européen est une bonne chose», commentait également François Biltgen, juge à la Cour de justice de l’UE et ancien ministre de la Justice, «puisque l’on ne peut pas dire, d’une part, qu’il y a des fraudes aux deniers publics européens et, d’autre part, qu’on ne les poursuit pas.»

Le procureur européen sera en tout cas un partenaire privilégié de la Cour des comptes, chargée de vérifier le bon ordre des finances européennes. C’est elle qui transfère à l’Olaf les cas de fraude qu’elle découvre au fil de ses contrôles.

Quant à l’Olaf, son articulation avec le Parquet européen reste également à définir. Cette entité administrative dépendant de la Commission enquête sur les fraudes au détriment du budget de l’UE, les affaires de corruption et les fautes graves commises au sein des institutions européennes. Elle est également chargée de réfléchir à une politique antifraude pour la Commission. Elle n’est en tout cas pas appelée à disparaître, souligne la Commission.

Reste Eurojust, l’unité de coopération judiciaire de l’UE instituée en 2002, et que d’aucuns auraient bien voulu voir augmentée du Parquet européen. Le traité de Lisbonne ne prévoit-il pas de créer le Parquet européen «à partir d’Eurojust»? Cette unité vise pour l’heure exclusivement la criminalité transfrontalière et la coordination des différentes juridictions dans ce domaine.

Le Kirchberg en attente

Ce n’est toutefois pas la direction prise par la Commission ni par les États membres qui ont pris le relais. Du reste, l’unanimité n’a pu être atteinte au sujet du Parquet européen, qui touche à l’organisation judiciaire de chaque pays. Certains, comme les Pays-Bas – après un veto du Parlement – et la Suède, estiment que le Parquet européen compliquerait la lutte contre la fraude sans offrir de gages d’efficacité. D’autres, comme l’Italie, jugent au contraire que la solution retenue n’est pas ambitieuse, et surtout pas assez européanisée.

Il faut dire que le concept initial de service centralisé n’a finalement pas été conservé, la plupart des États membres préférant un procureur national décentralisé, épaulant le procureur européen pour les affaires de sa juridiction. Quant à Malte, son enthousiasme a été douché par l’obligation de modifier sa Constitution afin de permettre la reconnaissance des compétences du Parquet européen.

Ce sont tout de même 16 pays qui ont notifié le 3 avril dernier leur intention de lancer une coopération renforcée, à savoir la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, la Finlande, la France, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie, rejoints par la Lettonie quelques semaines plus tard. Ils s’engagent ainsi à avancer de concert, espérant que la pleine réussite du Parquet européen à 17 (bientôt 18, dit-on) convaincra les autres de suivre leurs traces.

Le Luxembourg s’est montré particulièrement actif dans la relance et l’avancement de ce projet. Est-ce un complet hasard s’il est ressorti des cartons lorsque Viviane Reding était commissaire à la Justice et aux Droits fondamentaux? Et c’est bien le Luxembourg qui a insisté pour placer ce dossier en haut de la pile lors de sa présidence. Il se dit même qu’il a collecté les signatures afin d’accélérer la coopération renforcée. Dernier indice: les réunions informelles au sujet du Parquet européen lors du dernier conseil des ministres de la Justice étaient organisées et présidées par… le Luxembourg.

Partisan de la première heure, le Grand-Duché mène un combat dans le combat. Objectif: obtenir le siège du Parquet européen. «Une décision sur le siège est de droit déjà prise», souligne Félix Braz. «À l’occasion du Conseil européen en décembre 2003, les représentants des États membres, réunis au niveau des chefs d’État ou de gouvernement, ont décidé que le Parquet européen s’établira à Luxembourg. Cette décision se fonde sur une décision du 8 avril 1965, qui a été confirmée par le protocole n° 6 au traité de Lisbonne.»

Cette décision de 1965 indique en effet que «sont (…) installés à Luxembourg les organismes juridictionnels et quasi-juridictionnels». Pour Félix Braz, pas de doute, «le Luxembourg est donc prêt à accueillir le Parquet européen».

Pourtant, la Commission dit autre chose. Les 17 pays engagés dans la coopération renforcée n’ont encore rien décidé et se sont, selon elle, accordés pour discuter la question du siège en dernier lieu. Sans oublier que le Parlement européen penchait plutôt pour une installation à La Haye, aux côtés d’Eurojust.

L’affaire n’est donc pas pliée pour le Grand-Duché. Prochaine étape: l’accord de coopération renforcée, puis l’aval du Parlement européen. Selon la Commission, le Parquet européen pourrait donc voir le jour d’ici deux ans. Le conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures qui devrait entériner l’accord aura lieu les 8 et 9 juin à… Luxembourg. Signe du destin?