Philippe Depoorter (Banque de Luxembourg) et Hélie de Cornois (Degroof Petercam) évoquent l'étape cruciale de la transmission et la reprise d'entreprise. (Photos : Maison Moderne)

Philippe Depoorter (Banque de Luxembourg) et Hélie de Cornois (Degroof Petercam) évoquent l'étape cruciale de la transmission et la reprise d'entreprise. (Photos : Maison Moderne)

Quel est le rôle du private banker vis-à-vis de l’entrepreneur? Quel accompagnement peut-il lui offrir dans le cadre de la gestion de son entreprise, de son développement jusqu’à la transmission de celle-ci? Comment s’entoure-t-il pour l’accompagner au mieux?

Philippe Depoorter: «De manière générale, le banquier privé a pour vocation de gérer le patrimoine global de son client. Il se fait que, dans la pratique, lorsque ce client est un entrepreneur, ce patrimoine est souvent essentiellement composé de son entreprise. Or, la gestion quotidienne d’une société n’est pas du ressort du banquier privé. Dans certaines situations, l’entrepreneur dispose d’un patrimoine dont il a hérité ou qu’il s’est constitué par la remontée de dividendes, mais dans la majorité des cas, le profit généré par son activité est directement et régulièrement réinvesti dans l’entreprise. Ce n’est que dans une seconde phase, lorsque le choix de la vente ou de la transmission à la génération suivante fait son apparition, que la question plus globale de la gestion du patrimoine familial entre en ligne de compte. Cela dit, notre clientèle de banque privée est composée en majorité d’entrepreneurs familiaux qui ont un jour cédé leur société. Nous sommes donc très attentifs à leur évolution.

Hélie de Cornois: «Dans un pays comme le Luxembourg, le banquier privé est souvent en contact avec le chef d’entreprise. Il se positionne en interlocuteur de confiance et l’accompagne sur une grande variété de sujets, dont celui de la transmission future de son entreprise. Selon nous, il n’est jamais trop tôt pour aborder cette question. Cette étape doit être bien préparée, que l’on se trouve dans un contexte de vente future ou de transmission familiale. Dans une structure comme la nôtre, le banquier privé connaît les autres services de la banque. Il parle le même langage que celui de l’entrepreneur. En fonction de la situation, il peut suggérer différentes pistes, comme l’‘estate planning’, la ‘corporate finance’, etc. Le conseiller en banque privée doit s’intéresser de près à l’entrepreneur, à l’entreprise, au secteur d’activité pour, au final, comprendre le client dans sa globalité.

Comment la banque privée s’organise-t-elle pour accompagner le chef d’entreprise? Quels sont les métiers, les experts auxquels doit faire appel un private banker pour accompagner son client durant toutes les étapes de la vie de son entreprise, et plus particulièrement lors d’une transmission/reprise?

P.D.: «À la Banque de Luxembourg, parallèlement à notre activité de banque privée, nous offrons une large gamme de services aux entreprises et aux entrepreneurs afin d’assurer le financement et le développement de leur affaire tout au long de leur vie. Nous apportons du conseil ainsi qu’un accompagnement de tous les instants. Nous sommes aux côtés de nos clients. Nous restons une banque à taille humaine, dont la force vient de son modèle intégré. En fonction de la spécificité des besoins, nous allons réunir et mettre à disposition de chaque client tous les experts nécessaires, à la manière d’un ‘family office’. 

Il n’est jamais trop tôt pour aborder cette question

Hélie de Cornois, head of estate planning & international patrimonial services de la Banque Degroof Petercam Luxembourg

H.D.C.: «Notre particularité est d’offrir un suivi complet de nos clients, tant d’un point de vue privé que professionnel. Dans certains cas, face à des problématiques spécifiques, nous travaillons avec des partenaires clairement identifiés qui peuvent apporter une expertise différente et complémentaire à la nôtre. Nos principaux métiers sont l’‘investment banking’, l’‘asset services’ et la banque privée. Notre groupe représente 1.350 professionnels, opérant dans neuf pays, avec une forte présence en Belgique, en France et au Luxembourg. Très vite, nous allons pouvoir conjuguer les expertises de nos départements, métiers et pays. Nous disposons par ailleurs d’un large réseau pour assurer un conseil international quand cela est nécessaire.

Pour donner un exemple concret, qui témoigne de notre polyvalence, un entrepreneur qui envisageait de faire appel au crédit pour assurer son développement nous a consultés. Après analyse de la part de nos équipes, nous sommes arrivés à la conclusion que la meilleure source de financement pour lui n’était pas le crédit bancaire, mais bien l’émission d’un emprunt obligataire, ce que nous avons pu mettre en place, ainsi que le placement des obligations auprès des investisseurs. Cela a permis à notre client d’optimiser la liquidité de sa société tout en bénéficiant d’une grande flexibilité. Notre expertise en la matière peut aller jusqu’à l’introduction en bourse. De la même manière, en matière de transmission, le client a besoin d’une banque qui dispose d’une vision globale des différents sujets à traiter. Le banquier privé se pose naturellement en interlocuteur de choix. Ce n’est que dans une phase ultérieure, quand sa fortune est réalisée, que l’entrepreneur va pouvoir se tourner vers des services de ‘family office’, notamment en matière de consolidation d’actifs et de conseil sur d’autres types d’investissements.

Quelles sont les principales demandes de vos clients en matière de transmission et de reprise?

H.D.C.: «Le premier besoin de l’entrepreneur est d’identifier, d’un point de vue financier, quelle va être la suite à donner à l’activité. Des enfants peuvent reprendre ou les actifs peuvent au contraire être réalisés partiellement ou en totalité. En parallèle se pose la question de savoir comment on peut s’organiser au mieux par rapport à des problématiques davantage juridiques et fiscales. Nous allons analyser le haut de bilan avec nos collègues spécialisés en ‘corporate finance’. Nous allons aussi apporter un conseil juridique adapté à la situation particulière de chaque client. C’est à ce moment qu’on assiste véritablement à un basculement de la sphère professionnelle vers la banque privée.

P.D.: «Dès lors qu’un entrepreneur exprime la volonté de transmettre à la génération suivante, nous allons mettre en place avec lui les conditions nécessaires à cette transmission. Tous les cas de figure existent. Certains ne parlent jamais de leur succession, d’autres en discutent beaucoup. Dans le cas d’une entreprise familiale, nous veillons à ce que toute la famille soit réunie autour de la table. L’objectif est d’obtenir le consensus le plus large et de définir avec précision les conditions d’accès à l’entreprise, le parcours d’intégration, les conditions pour entrer au capital, etc. Ceci peut donner naissance à une charte familiale ou un pacte d’actionnaires, un document de référence qui va apporter des réponses aux questions qui vont se poser dans le futur. Nous allons ensuite accompagner les enfants durant leur phase d’intégration jusqu’au départ des parents et au passage de propriété.

Notre approche est simple: nous favorisons la communication.

Philippe Depoorter, membre du comité de direction et family practice leader au sein de la Banque de Luxembourg

Comment définiriez-vous votre rôle dans ce cadre? 

H.D.C.: «Nous agissons tel un chef de projet dans l’organisation patrimoniale du dirigeant. Nous pouvons faire le lien entre les différents métiers de la banque, qu’il s’agisse d’‘estate planning’, de gestion de portefeuille, de financement, de crédit, jusqu’à l’accompagnement dans des projets à caractère philanthropique.

P.D.: «Nous sommes dans un rôle d’accompagnateur capable de prendre du recul et d’aider l’entrepreneur et sa famille à choisir la voie qui leur correspond le mieux. Notre approche est simple: nous favorisons la communication. Cela requiert la présence et la contribution active de toutes les parties prenantes, l’écoute ouverte de chacun, la bienveillance du propos et le respect de ce qui est dit. De ce procédé, nous ne sommes que les facilitateurs. Le rôle du tiers, tel que nous le concevons, n’est pas d’apporter des réponses. Les bonnes réponses sont celles qui sont mises en place par la famille.

Depuis des décennies, nous accompagnons les familles dans la gestion de leur patrimoine dès lors qu’il est sujet à un mouvement. Il peut s’agir de projets d’investissement, d’évolutions dans la détention de parts, de la vente de biens existants… et, bien entendu, de la préparation de la succession. Notre façon de faire est fondée sur une expérience de banquiers privés: il s’agit pour nous de servir une relation de confiance dans la durée, de protéger la sphère privée de nos clients, de créer les meilleures conditions pour qu’une famille pérennise son patrimoine et le transmette à la génération suivante.

Voyez-vous de nouvelles demandes arriver avec la nouvelle génération?

P.D.: «Je ne crois pas qu’on assiste à de grands changements générationnels lorsqu’un enfant se pose la question de savoir s’il va reprendre l’affaire familiale. Il s’agit avant tout d’un choix existentiel, et les jeunes font souvent preuve d’une étonnante maturité sur ces questions. Dans un contexte familial, il est important que le candidat à la reprise porte un regard critique sur son futur choix de carrière. Lorsque l’entreprise est aux mains de la famille depuis longtemps, on voit que certains enfants développent un sentiment de fidélité, plus ou moins sain. Au-delà de cet attachement, la taille et la santé de l’entreprise sont clairement à prendre en considération avant de se lancer. Dans tous les cas, il faut voir comment la question a été posée et si elle a été clairement posée. Afin de permettre à ces jeunes d’y voir plus clair, la Banque de Luxembourg, en collaboration avec la chaire ‘Familles en entreprises’ de l’Ichec, propose notamment une Académie d’été dont le but est d’aider des jeunes de 18 à 30 ans à engager une réflexion sur la place qu’ils ambitionnent de prendre ou non au sein de l’entreprise familiale.» 

H.D.C.: «Nous voyons apparaître une dimension philanthropique de plus en plus prononcée dans la manière de structurer ses actifs. Les nouvelles générations sont aussi de plus en plus mobiles. Cela est lié à la formation académique offerte aux nouvelles générations, qui mènent souvent des études à l’étranger. Cela vient complexifier les questions de transmission et d’héritage qu’il faut pouvoir appréhender d’un point de vue transfrontalier, en tenant compte des spécificités propres à chaque pays lorsque les enfants sont installés à l’étranger.»