Pierre Beissel, avocat et partner (Arendt & Medernach): «L’état de santé de l’industrie des fonds immobiliers est excellent.» (Photo: Julien Becker )

Pierre Beissel, avocat et partner (Arendt & Medernach): «L’état de santé de l’industrie des fonds immobiliers est excellent.» (Photo: Julien Becker )

Par rapport à l’industrie des fonds active au Grand-Duché, celle plus spécifique des fonds immobiliers est nettement plus discrète. Les fonds d’investissement présents sur la Place gèrent en effet quelque 3.500  milliards d’euros. Pour le secteur des fonds immobiliers, les derniers chiffres officiels présentés par l’Alfi (Association luxembourgeoise des fonds d’investissement) citent le montant de 31,4  milliards d’euros d’actifs gérés depuis la Place luxembourgeoise à la fin septembre 2014.

Mais ce qui est particulièrement intéressant, c’est de regarder les progressions connues par ce secteur depuis quelques années. Sur les trois premiers trimestres de 2014, la somme totale a augmenté de 2,09  milliards ou 6,85%. En 2006, elle ne pesait que 3,3  milliards, un an plus tard elle était déjà à 8  milliards d’actifs et, depuis, la progression a été quasiment ininterrompue. Toujours selon les calculs de l’Alfi, la création de nouveaux véhicules d’investissement immobilier au Luxembourg a désormais dépassé la moyenne européenne et la tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années. Fin septembre 2014, on en comptait 302. Quelque 23 avaient été créés depuis le début de l’année 2014 et, avec ce chiffre, la Place reste le domicile le plus important pour les fonds immobiliers internationaux. En 2006, on n’en recensait que 45 et, un an plus tard, déjà 83.

Avec de tels chiffres, peut-on donc parler de succès? «L’état de santé de l’industrie des fonds immobiliers au Luxembourg est excellent», observe l’avocat Pierre Beissel, partner chez Arendt & Medernach et membre du groupe de l’Alfi Reif Marketing. D’autant que, comme il le fait remarquer, le chiffre de 302  fonds cité par l’Alfi ne comprend que les fonds réglementés, donc les OPC partie II, les Sicar et, surtout, les fonds d’investissement spécialisés (FIS).

Espace de liberté

De fait, la nouvelle réglementation sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs crée, en réglementant les gestionnaires, un certain espace de liberté pour la structuration des fonds immobiliers. Même si cette réglementation régule indirectement le fonds d’investissement en termes de fonctionnement (par exemple, la nécessité de nommer une banque dépositaire, de mettre en place un certain nombre de procédures internes, etc.) et de reporting, elle préserve une liberté quasiment intégrale en ce qui concerne le véhicule de collection de capitaux. «La conséquence de cette nouvelle réglementation est que le nombre de fonds non directement réglementés est en augmentation constante et rapide. Le chiffre réel d’actifs sous gestion dans le domaine immobilier au Luxembourg excède sans aucun doute de très loin les chiffres de l’Alfi», estime Pierre Beissel. Mais en l’absence de données, il n’est actuellement pas possible de donner des indications plus précises sur le chiffre exact.

Si le cadre législatif flexible et moderne en matière de droit des sociétés et le nombre important de conventions fiscales bilatérales sont des atouts spécifiques du marché grand-ducal qui permettent d’attirer les fonds immobiliers, l’avocat pointe aussi le fait d’avoir un régulateur réactif et professionnel bénéficiant d’une bonne connaissance des fonds alternatifs. «Il est primordial que nous puissions garder cet avantage que nous détenons aujourd’hui sur d’autres juridictions européennes», insiste-t-il. Enfin, il note le savoir-faire des prestataires de services, qui constitue un argument de plus en faveur de la Place (PSF, domiciliataires, réviseurs d’entreprises, avocats ou gestionnaires-tiers).

Différents leviers

Mais ce spécialiste des fonds immobiliers pointe aussi différents leviers de développement qui offrent de bonnes conditions pour que cette industrie puisse se développer. Le premier est conjoncturel, dans la mesure où l’on peut considérer que l’amélioration de la conjoncture mène à un accroissement des actifs sous gestion. «Il est probable que, sauf accident, cette amélioration restera à l’ordre du jour au cours des deux prochaines années», note Pierre Beissel.

Au niveau des leviers structurels, il cite d’abord le fait d’exploiter pleinement la liberté en matière de création de véhicules. Le Luxembourg a profité de ce levier en 2013 avec la création de la société en commandite simple améliorée et de la société en commandite spéciale, toutes les deux étant désormais des véhicules entièrement transparents d’un point de vue fiscal, alors qu’auparavant ils étaient en principe soumis à l’impôt commercial communal. «Ce véhicule remplacera en partie les fonds communs de placement, purement contractuels et rendus moins attractifs en raison d’un traitement fiscal pénalisant de la part des autorités fiscales allemandes», explique le partner d’Arendt & Medernach.

Il note par ailleurs qu’il s’agit d’un véhicule similaire aux limited partnerships (LPs) anglo-saxons. Il est dès lors très attractif pour l’industrie des fonds immobiliers américains qui utilise de manière extensive les LPs du Delaware et des îles Caïmans. «Il répond donc aux standards internationaux et permettra aux gestionnaires du monde entier d’utiliser exactement les mêmes mécanismes que ceux des fonds du Delaware ou des îles Caïmans tout en étant on-shore d’un point de vue européen.»

Neutralité fiscale

Viennent ensuite le nombre et le contenu de conventions fiscales bilatérales conclues par le Luxembourg, qui permettent de créer des fonds paneuropéens en neutralité fiscale. «Il est important qu’un fonds d’investissement, qu’il ait une politique d’investissement nationale ou internationale ou qu’il vise des investisseurs nationaux ou internationaux, puisse être créé en neutralité fiscale. L’investissement dans un véhicule de gestion collective ne doit pas créer une fiscalité désavantageuse par comparaison à un investisseur investissant directement dans de l’immobilier, et les véhicules luxembourgeois sont les rares véhicules européens offrant ce traitement», note encore Pierre Beissel.

Enfin comme dernier levier important, il pointe encore les initiatives fiscales nationales ou internationales qui poussent à une substance fiscale accrue au Luxembourg. Ce sera notamment le cas du plan Beps (Base Erosion and Profit Shifting), dont l’OCDE vient de dévoiler le contenu final et qui insistera effectivement sur la substance des sociétés. À l’avenir, il ne suffira donc plus de créer une société au Luxembourg sans personnel et sans locaux propres pour bénéficier d’un traitement fiscal avantageux en fonction d’une convention fiscale bilatérale. Si cette évolution semble à première vue défavorable pour le Luxembourg, elle pourrait en réalité représenter une aubaine. «La création du fonds dans la même juridiction que ses filiales pouvant bénéficier des traités contre la double imposition justifie la création de ces filiales et crée, dans la plupart des cas, une partie de la substance fiscale requise par le simple fait de donner une raison d’être indépendante aux filiales luxembourgeoises de ce fonds et donc fournir la substance requise en vertu des principes prévus par Beps», explique l’avocat.

Tous les différents éléments énoncés jusqu’ici plaident en faveur de l’installation sur la Place luxembourgeoise de fonds immobiliers. Mais des progrès peuvent encore être réalisés pour rendre le secteur plus attractif. Pour le membre du groupe de l’Alfi Reif Marketing, la création d’un régime allégé de fonds d’investissement va dans ce sens. On parle ici du fonds d’investissement alternatif réservé (Fiar), actuellement en phase d’élaboration et qui ressemblera au fonds d’investissement spécialisé (FIS), sauf que son lancement ne nécessitera plus une approbation de la CSSF. En termes de progrès à réaliser, il cite aussi l’amélioration du temps de réponse de la CSSF, celle de la fiscalité luxembourgeoise interne en la rendant plus simple, plus transparente et plus prévisible et l’extension et l’amélioration du nombre et du régime des conventions fiscales bilatérales conclues par le Luxembourg. «Il faudrait également faire progresser le droit des sociétés luxembourgeois, de manière à le rendre plus flexible et plus sûr, notamment en instaurant le principe de l’‘incorporation’ par opposition au principe du siège réel actuellement en vigueur, et permettre la création de compartiments dans des véhicules non réglementés, ces derniers permettant à terme la constitution de plateformes d’investissement partageant une infrastructure de gestion unique à l’instar des SIF, Sicar et Fiar», estime Pierre Beissel.

Répercussions sur la Place

Sur la Place luxembourgeoise, l’immobilier de bureaux atteint des scores dignes des grandes capitales internationales. Les acteurs continuent à se bousculer pour s’installer à Luxembourg-ville, faisant grimper les prix de manière quasi constante depuis plusieurs années. Globalement, cette hausse est indépendante du développement du secteur des fonds immobiliers qui n’est pas pour grand-chose dans cette flambée des prix. «S’il y a un impact, il est de deux ordres, mais il reste relatif, soupèse le partner d’Arendt et Medernach. D’une part, ces fonds embauchent, pour certains, un nombre important d’employés et se voient contraints de louer des locaux d’une certaine taille; de l’autre, certains de ces fonds opèrent un monitoring plus étroit du marché luxembourgeois du fait de leur présence au Luxembourg.»

De ce que l’on constate de l’activité des fonds actifs depuis le Luxembourg, il apparaît qu’une grande partie des fonds immobiliers luxembourgeois réglementés investissent surtout dans des bâtiments situés en Europe, et principalement dans les grandes villes affichant un certain dynamisme économique. Mais, de plus en plus, on en voit certains se risquer vers des territoires plus lointains comme l’Amérique latine et l’Asie. Ceci dit, le Luxembourg n’est pas dénué d’intérêts pour ces professionnels de la brique. «Cela dépendra évidemment de la politique d’investissement du fonds, analyse encore Pierre Beissel. Indépendamment de la structure du bâtiment, il est clair que le Luxembourg est un marché affichant des valorisations relativement élevées étant donné le manque de disponibilité de terrains et d’immeubles. Les immeubles luxembourgeois sont donc susceptibles d’intéresser avant tout les fonds d’investissement ayant une politique d’investissement ‘core’ ou ‘core +’ (voir ci-dessous), vu leur rendement en principe relativement stable et leur risque peu élevé étant donné le taux de vacance traditionnellement très peu élevé à Luxembourg.»

Rendement
La gradation du risque

Le risque et le rapport d’un investissement immobilier dépendent de la catégorie de biens vers laquelle il s’oriente. On distingue généralement quatre types de fonds immobiliers selon la stratégie développée.

Les investisseurs dans les fonds immobiliers se limitent à quelques catégories: les investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance, etc.), les banques privées, les family offices et les personnes fortunées. Et en général, pour ces professionnels des placements, l’immobilier est perçu comme un investissement où le risque est un peu plus faible. Donc le rendement également.

En fait, tout dépend des politiques d’investissement des fonds immobiliers. Le choix varie en effet selon le type de bâtiments vers lequel les investisseurs veulent s’orienter. On distingue généralement quatre types d’immeubles selon les possibilités qu’ils offrent.

Un fonds «core» ira vers des immeubles bien localisés (dans les grandes capitales européennes, par exemple), occupés par des locataires aisés et dans lesquels peu de travaux sont à prévoir. Ces immeubles offrent en général des rendements sûrs.

Un fonds «core +» vise une stratégie relativement peu risquée aussi mais sur des immeubles au niveau desquels les baux pourraient être renégociés ou des travaux effectués afin d’apporter un peu de plus-value.

Un fonds «value add» recherche clairement la création de valeur. Il investira donc dans des bâtiments vétustes et/ou qui affichent un taux de vacance important qu’il tentera de faire monter en gamme après des travaux de rénovation.

Un fonds «opportunities» est à la recherche d’une profitabilité très importante. Il va donc essayer d’acquérir des biens immobiliers qui nécessitent des restructurations lourdes, qui sont situés dans des localisations émergentes ou qui sont mis en vente par des investisseurs en difficulté.

Au niveau du Luxembourg, la plupart des fonds immobiliers visent des stratégies «core» ou «core +», les investisseurs allant vers des fonds immobiliers parce qu’ils apparaissent moins risqués.

Statistiques
Un profil très européen

Dans une étude annuelle sur les fonds immobiliers, l’Alfi présente les grandes tendances du secteur. On y observe notamment que les fonds restent
largement orientés sur l’Europe.

Dans sa dernière enquête annuelle – Real estate investment funds survey – datée de 2014, l’Alfi analyse les statistiques du secteur des fonds immobiliers.

On y voit ainsi qu’une majorité de fonds (57%) a opté pour une stratégie multisecteur. Dans les différentes catégories, le segment « bureau » arrive en tête avec 27%, devant le résidentiel (23%). Mais l’étude notait à l’époque qu’en 2014 se dessinait une tendance assez importante pour le secteur du retail.

La tendance à l’investissement dans un seul pays était aussi en en augmentation, à 41%. Les deux années précédentes, ces stratégies «mono-pays» représentaient 35% et 27% de l’ensemble. 79% des fonds analysés par l’enquête investissent en Europe.

Quant au profil des investisseurs, il apparaît qu’il s’agit toujours en grande majorité d’investisseurs européens, même si on voit grossir la proportion de ceux originaires d’Asie, d’Amérique et du Moyen-Orient. Les fonds immobiliers luxembourgeois sont en général constitués avec peu d’investisseurs. 84% d’entre eux en recensent moins de 25. À peine 2% des fonds recensés comptent plus de 100 investisseurs.

Enfin, l’enquête constate que ces fonds sont largement distribués. 27% seulement ne le sont que dans un seul pays alors que 24% sont proposés dans plus de six pays.

La prochaine étude de l’Alfi sur le secteur sortira en janvier 2016.