Jérôme Grandidier, ici à gauche aux côtés de Jean-Claude Bintz (Telecom Luxembourg) (Photo: David Laurent/Wide)

Jérôme Grandidier, ici à gauche aux côtés de Jean-Claude Bintz (Telecom Luxembourg) (Photo: David Laurent/Wide)

Ça lui pendait au nez. Depuis l’annonce, en septembre 2009, du changement de nom de l’intégrateur SIT Group, devenu l’opérateur alternatif Luxembourg Telecom, le risque de subir les foudres de l’opérateur historique n’a jamais eu de cesse. Il faut dire, que pour ne pas avoir eu la présence d’esprit, en son temps, de déposer des droits sur un tel nom, l’Entreprise des P&T avait vu filer sous son nez l’opportunité d’utiliser un nom caractéristique comme peuvent l’être France Telecom, Deutsche Telekom et autres British Telecom.

C’est donc par la voie judiciaire que les P&T ont finalement réglé le problème, attaquant Luxembourg Telecom à la fois pour concurrence déloyale et pour publicité trompeuse dans l’utilisation de sa raison sociale qui, en l’occurrence, était également son nom commercial.
Pour la petite histoire, une première société Luxembourg Telecom avait déjà existé quelques années auparavant. Constituée en novembre 1998, elle avait pour objet l’exploitation d’un bureau d’études (Ingénierie et Matériel) en télécommunication et matériels électroniques, la recherche et la gestion. Elle fut rachetée en janvier 2008 et changea complètement d’activité, de statut (soparfi) et de nom (devenu The Lion’s Associates) avant d’être liquidée en mai 2009.

Si, dans ce cas-là, il ne fut jamais question de «concurrence déloyale» (l’Entreprise des P&T était-elle seulement au courant de l’existence de cette société?), les enjeux sont, aujourd’hui, tout autre.

Des questions en suspens

En juillet 2010, un premier jugement du tribunal d’arrondissement ne reconnut pas le grief de «concurrence déloyale», mais établit que l’utilisation du signe «Luxembourg Telecom» constituait une publicité trompeuse dès lors qu’il fait penser que l’on se trouve face à un opérateur avec une participation de l’Etat, voire face à l’opérateur historique. De fait, il avait ordonné à Luxembourg Telecom de cesser d’utiliser ce nom, mais n’avait pas suivi jusqu’au bout la demande des P&T d’interdir aussi les appellations «similaires» Luxtelecom et Lux-Telecom.

Du coup, les deux parties avaient fait appel de ce jugement. D’un côté, Luxembourg Telecom faisait valoir qu’une dénomination commerciale n’étant pas, en tant que telle, une forme de communication, il n’y avait pas lieu de parler de «publicité trompeuse» et ce, d’autant plus, que la mention «Opérateur alternatif et privé», puis «Premier opérateur alternatif global privé», adjointe à son nom, excluait tout risque de confusion.

De l’autre, les P&T maintenaient leurs positions, s’appuyant sur un sondage d’opinion réalisé par TNS Ilres. Il y apparaissait que 55,07% des entreprises sondées au Grand-Duché et 50% des entreprises de la région frontalière assimilent Luxembourg Telecom à un opérateur public au Luxembourg.

La Cour d’appel a non seulement confirmé la décision prise en première instance, mais a également étendu l’interdiction d’utilisation de la variante «Luxtelecom» (quelle que soit sa forme orthographique), qui constitue également, à ses yeux, une publicité trompeuse.
Cet arrêt, prononcé en février dernier et entrant en vigueur officiellement le 2 mai (avec une astreinte de 1.000 euros par jour en cas de non-respect), laisse tout de même en suspens deux interrogations légitimes. Toutes les sociétés faisant, dans leur raison sociale, référence à «Luxembourg» sont-elles susceptibles de se voir intenter un procès pour publicité trompeuse et/ou concurrence déloyale? Dans le cas présent, et dans le même secteur d’activités, le fournisseur d’accès Internet Luxembourg Online doit-il trembler?

A contrario, une société qui est majoritairement détenue par l’opérateur public, mais dont le nom ne permet en aucune façon de s’en rendre compte (au hasard, et toujours pour rester dans le même secteur, le fournisseur d’accès Internet Visual online, détenu à 51% par les P&T ou le prestataire informatique Netcore, filiale à 75% de l’opérateur historique) trompe-t-elle son monde de la même façon?

Peut-être ces questions seront-elles de nouveau débattues devant la justice, puisque Luxembourg Telecom, appuyé par son actionnaire BIP Investment Partners (qui détient 35% du capital), devrait, selon toute vraisemblance, se pourvoir en cassation. Luxembourg Telecom? Ou plutôt… Telecom Luxembourg. Car pour ne pas avoir à se soumettre à l’astreinte précédemment évoquée, la société a suivi l’ordonnance du juge Irène Folscheid et a décidé de finalement changer sa raison sociale en Telecom Luxembourg S.A., tout en conservant la tête de lion rouge que la cour d’appel ne lui a pas coupée.

En attendant de savoir si ce pied de nez sera du goût des P&T, Telecom Luxembourg continue son chemin. Et même s’il se serait bien passé de cet épisode juridique, l’opérateur n’en poursuit pas moins sur sa lancée. «En un an et demi, nous avons pris des parts de marché. Et aujourd’hui, ce sont même les P&T et les autres acteurs qui nous emboîtent le pas dans nos stratégies en termes de prix, ne peut que constater Jérôme Grandidier, le CEO de la société. Mais nous ne nous considérons pas comme étant un concurrent des P&T, plutôt un opérateur complémentaire. Car toute société qui a besoin d’utiliser des accès data se doit de faire appel à deux opérateurs pour assurer une redondance. Ils en veulent parfois même trois! Ce n’était pas possible par le passé lorsqu’il n’y avait que l’opérateur public qui était actif. Cela a d’ailleurs dissuadé certains grands acteurs internationaux de s’installer au Luxembourg. Aujourd’hui, il est dans l’intérêt du pays qu’une société locale, disposant d’actionnaires locaux, occupe la place pour travailler en parallèle aux P&T, en attendant que d’autres grands opérateurs internationaux ne viennent aussi sur ce marché.»

Au Grand-Duché, Telecom Luxembourg, s’appuyant sur le réseau de LuxConnect, a déployé quelque 2.000 km de connexions par fibre optique, et a interconnecté tous les datacenters du pays entre eux par une boucle qui lui est propre. Mais ses ambitions ne s’arrêtent évidemment pas là et la société est en train de se mettre en ordre de bataille – et pas uniquement en ordre des mots – pour aller au-devant de ses ambitions. Cela commence par les structures opérationnelles avec l’arrivée de Philippe Bruneton, un ancien de chez Deloitte (où il fut COO et senior partner) aux fonctions de CFO. Quant à Vincent Nicolay, le COO, il rejoint également un conseil d’administration dont la présidence est désormais assurée par Jean-Claude Bintz.

Des vues sur le mobile

Le retour aux affaires de celui qui, en son temps, fonda Tango, puis Voxmobile et en assura la vente à Mobistar, n’est pas étonnant, puisqu’il était «membre invité» de ce même conseil d’administration depuis un an. Il en prend les rênes avec des ambitions de croissance liées directement à une restructuration du capital en cours de finalisation. «Nous étudions toujours les moyens de grandir par croissance externe, explique M. Bintz. Nous voulons non seulement poursuivre le développement de nos activités fibres, mais aussi de notre activité datacenter, en sachant que nous avons signé l’année dernière la majorité des nouveaux contrats de nouveaux clients au Luxembourg. Mais nous voulons également développer avec les partenaires locaux une approche one stop shopping permettant de fournir, sur un même pôle, l’ensemble des services télécom, datacenter et managed services.»

Et le mobile? SIT Group y avait goûté du bout des lèvres en 2007 dans le cadre d’un partenariat avec Voxmobile (alors dirigé par Jean-Claude Bintz), mais sans réel développement. «Nous sommes en train de développer une stratégie innovante très intéressante», assure aujourd’hui le nouveau président du conseil d’administration.

 

L’avis des P&T - «La fin de la confusion»

L’Entreprise des P&T ne souhaitait pas, dans un premier temps, commenter officiellement la décision de la Cour d’appel avant la date d’entrée en vigueur de cette décision, c’est-à-dire le 2 mai. Mais elle a tout de même communiqué à paperJam une brève prise de position: «La Cour d’appel de Luxembourg a rendu le 2 février 2011 son arrêt dans l’affaire que l’Entreprise des P&T avait introduite contre l’utilisation des noms ‘Luxembourg Telecom’ et ‘Lux Telecom’ par la société Luxembourg Telecom S.A.. L’Entreprise des P&T estimait que cette pratique commerciale est déloyale dans la mesure où ces noms suggèrent que ‘Luxembourg Telecom’ est un opérateur public dans le domaine des télécommunications ou, du moins, bénéficiant d’un appui direct ou indirect de l’Etat.
Dans son arrêt, la Cour a confirmé l’ordonnance intervenue en première instance statuant que ‘par la construction particulière de sa  dénomination sociale, calquée sur celles des opérateurs historiques étrangers, la société LUXEMBOURG TELECOM induit ainsi en erreur le public auquel elle s’adresse.
En conséquence, la Cour a interdit à Luxembourg Telecom d’utiliser dans l’exploitation de son activité le signe «LUXEMBOURG TELECOM», y compris sa variante «LUXTELECOM»’. Cette interdiction commence à courir à partir du 2 mai 2011, ce qui est également la date ultime pour Luxembourg Telecom d’introduire un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel. L’Entreprise des P&T se félicite de cet arrêt qui met fin à une confusion qui existait dans l’esprit du public-cible de Luxembourg Telecom, confusion confirmée par une étude de TNS Ilres.»