Marcus Friedrich (Photo: David Laudent/Wide)

Marcus Friedrich (Photo: David Laudent/Wide)


Monsieur Friedrich, les investissements dans les infrastructures téléphoniques sont particulièrement élevés… Comment les calculer ?

« Pour ce qui concerne les immobilisations, nous ne nous trouvons pas dans la même situation que nos concurrents. Tango et Orange doivent gérer leur propre infrastructure, tandis que notre infrastructure est la propriété de l’Entreprise des P&T, (EPT), notre maison mère. C’est un héritage historique. À l’époque du lancement de la téléphonie mobile au Luxembourg, l’EPT avait décidé, pour développer le marché, d’organiser une concurrence sur le marché en autorisant dif­férents prestataires de services, par des accords de licence de distribution. Au bout de quelques années, et avec l’arrivée d’autres acteurs, tous les service providers ont été rachetés et fusionnés, les derniers étant Mobilux et CMD.

Si nous n’avons pas l’infrastructure à gérer, le fait est que ces coûts se reflètent malgré tout dans nos comptes, par le paiement de la conso­mmation, qu’il s’agisse des minutes de conversation, des SMS ou du trafic de données. La répartition entre les coûts variables et les coûts fixes est différente, mais l’on paie malgré tout ce que l’on utilise.

Y a-t-il des choses qui ont beaucoup changé dans le travail du directeur financier de LuxGSM, ces dernières années ?

« Sur le plan financier, le développement des forfaits a été un changement énorme. Le défi est en fait de calculer et déterminer au plus juste leurs tarifs… Il s’agit de ne pas se tromper. C’est vers juillet 2007 que l’on a lancé nos offres ‘Relax’. Au début, comme nous nous y attendions un peu, ce sont d’abord les grands consommateurs qui ont été attirés par le fait que les forfaits étaient illimités. Si nous n’avions que des clients comme eux, il faut être sincère, l’opération ne serait pas rentable. Le fait est que nous attirons également des clients, qui y trouvent du confort d’utilisation, sans consommer excessivement de manière régulière.

L’autre grand bouleversement a été le développement des smartphones…. Et pour être précis, cela a été l’apparition de l’iPhone. Cette catégorie est devenu un véritable segment de marché. Il a fallu penser et construire un forfait spécifique pour les usages qui y sont associés. Si le premier grand changement a été conduit par une offre plus adaptée au marché, le second a été la conséquence d’une rupture technologique. Cela a également eu des conséquences, en nous obligeant à réadapter nos forfaits, en y incluant systématiquement des volumes de données.

Quels sont les principaux défis financiers pour votre entreprise ?

« Notre principal défi, c’est la construction de nos tarifs, en mettant en regard tous nos coûts de fonctionnement et d’achat. En fin de cycle, nous ne devons pas avoir dépensé plus que ce que nous attendons comme revenus pour les modèles distribués. Nous sommes un secteur dans lequel il y a une tension sur les marges, partout en Europe. Ceci d’autant plus que la part du roaming est beaucoup plus importante dans nos factures que dans d’autres pays.

Les frontières sont rapidement franchies au Luxembourg. Sans compter les résidents étrangers qui utilisent une carte SIM grand-ducale. Avec les directives de l’Union européenne fixant les tarifs de roaming, nous n’avons pas vraiment eu le choix : la législation a limité une partie importante de nos revenus.

Les autres grands risques financiers se trouvent du côté des investissements en serveurs et autres produits d’infrastructure. Les consommateurs au Luxembourg sont très exigeants. Ils demandent des niveaux qualitatifs élevés et des services supplémentaires, sans pour autant que nous, de notre côté, puissions bénéficier des économies d’échelle de nos grands concurrents étrangers. Cela devient de plus en plus difficile. Il faut convaincre les acteurs du marché d’adapter leurs prestations à valeur ajoutée à un marché comme le Luxembourg.

Bien entendu, nous avons des arguments à faire jouer. Nous expliquons notamment leur intérêt à être présent dans une capitale européenne, avec de nombreuses institutions inter­nationales… Même si dans leur bilan, nous apparaissons après la virgule, en termes symboliques et commerciaux, nous restons utiles et intéressants. Nous faisons valoir cet argument, et d’autres, lors des négociations.

Donc, sans informatique, pas de téléphonie mobile…

« Non. Comment agréger les différentes informations sur la facture ? Impossible d’introduire ne serait-ce qu’une partie marginale de traitement manuel dans le suivi. Tout est automatisé. Le cœur de l’entreprise, véritablement, c’est la facturation. Les logiciels qui s’en occupent sont de plus en plus complexes, y compris dans leur mise en place. Leur maintenance, leur évolution, sont un défi permanent.
Il nous faut faire comprendre à nos prestataires que nous n’avons pas les moyens de mobiliser 50 informaticiens pendant 18 mois pour assurer le déploiement. De leur côté, avec leur taille et leur spécialisation, ils ne comprennent pas la polyvalence de nos équipes. C’est ici également très difficile de discuter.

On parle depuis longtemps de la Newco, regroupant les activités télécom de l’EPT et de LuxGSM dans une seule structure. Où en est le projet ? Y a-t-il des conséquences sur l’organisation de LuxGSM ?

« La mise en place de la Newco est en cours. À terme, l’entreprise sera en charge de la commercialisation de tous les produits télécoms du groupe EPT. Déjà, les équipes de LuxGSM et les équipes concernées de la division des Télécommunications de l’EPT sont installées dans les mêmes locaux. Ce sont ces mêmes équipes qui feront à terme partie de la Newco. Nous avons commencé à avancer et nous allons continuer, en procédant étape par étape. À la fin de cette démarche, nous serons capables de proposer de manière claire et structurée tous les produits de télécommunication, aussi bien vers les entreprises que vers les particuliers. À nouveau, du point de vue informatique, cela voudra dire un back-office très intense.

Dans les produits professionnels, l’offre fixe et l’offre mobile sont prises en charge par une équipe mixte, tandis que la majorité des points de vente offrent déjà aujourd’hui la totalité des produits télécoms du groupe EPT.

Vous êtes directeur financier, mais également directeur administratif… Concrètement, que cela recouvre-t-il ?

« Quand j’ai rejoint CMD en 2001, l’entreprise employait 60 personnes. Je trouvais que c’était un poste intéressant, qui permettait de cumuler à la fois l’intérêt que je pouvais avoir pour les chiffres et celui pour la gestion des ressources humaines, au sens large. J’y combinais mes différents centres d’intérêt.

Un directeur financier qui ne s’occupe que de finances doit se concentrer sur les chiffres et sur le contentieux. Avec l’aspect administratif, j’ai réussi à coordonner la gestion financière classique et d’autres dimensions, comme les ressources humaines, la gestion des procédures et l’audit interne. Ce n’est pas un modèle en soi, mais il avait des avantages pour une structure comme celle de CMD à l’époque, et de LuxGSM aujourd’hui.

En cumulant RH, procédures et finance, je pense avoir un moyen de participer à la construction d’une culture d’entreprise saine, sans négliger pour autant la rentabilité à long terme. Il faut trouver le bon équilibre entre les avantages pour les salariés et leur maîtrise financière. Nous sommes conscients que le retour en arrière, une fois quelque chose d’accordé, est très difficile, sinon impossible. Il faut également que l’on garde un certain sens de la justice et de l’équité dans ce que l’on donne…

Nous avons travaillé pour définir une approche RH et une grille de salaires qui permettent à tout le monde d’être traité le plus égalitairement possible. Le lien entre les RH et la finance permet de maîtriser les coûts, tout en ayant un personnel satisfait et de conserver les bons éléments. Je pense qu’en 11 ans ici, nous n’avons jamais perdu un bon élément pour une mauvaise raison, en dehors du turnover classique pour une entreprise. Alors que nous sommes aujourd’hui 240 !

Quels sont les rapports avec votre actionnaire ? L’EPT est-elle une maison mère exige­ante ?

« L’intérêt est marqué du côté de l’action­naire. Le style de management n’est pas très différent de celui d’actionnaires privés. Nous avons une certaine liberté d’action, mais notre activité est suivie avec attention. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons adapté nos statuts en octobre de l’année dernière. Plutôt que les classiques comité de direction et conseil d’administration, nous avons un comité de direction, un directoire et un comité de surveillance. Les membres du directoire sont, à l’une ou l’autre personne près, les mêmes que pour le comité de direction de l’EPT. Et le conseil de surveillance de LuxGSM est identique au conseil d’administration de l’EPT. »

 

PARCOURS - Polyvalence

Né en avril 1969, son bac luxembourgeois en poche, Marcus Friedrich a suivi des études d’économie et de finance en Allemagne, en France et en Angleterre. « Ma première expérience professionnelle a été au Luxembourg, dans une jeune pousse… Je trouvais intéressant, en sortant de l’université, de se lancer dans une expérience menée par des entrepreneurs qui avaient déjà créé plusieurs sociétés avec succès. Malheureusement, les choses n’ont pas très bien marché. Au bout de deux ans, j’ai décidé de retourner à l’université de Trèves, pour m’intéresser à des sujets plus personnels… J’y ai en fait étudié la psychologie et la philosophie. »

C’est après cette pause de deux ans et demi qu’il prend le chemin vers Francfort : « J’ai rejoint une société de capital risque, spécialisée dans l’économie durable – même si elle ne portait pas ce nom à l’époque. J’ai plus particulièrement été impliqué dans le montage d’une centrale hydroélectrique. Ce projet a bien fonctionné… La centrale existe encore aujourd’hui et elle produit de l’énergie ! »

C’est en 2000 qu’il revient au Grand-Duché, direction CMD : « Il y a eu un ralentissement de l’activité. C’est le moment où j’ai reçu un coup de téléphone du Luxembourg… On m’appelait pour devenir directeur administratif et financier… J’ai accepté, et j’ai rejoint l’entreprise au 1er janvier 2001. »