Paperjam.lu

 

MIDEM. Plus qu'un sigle: une institution, une référence quasi absolue en la matière. Du 23 au 27 janvier derniers, la 39e édition du marché international de la Musique a occupé le Palais des Festivals de Cannes et a réuni près de 10.000 participants représentant plus de 4.300 sociétés venues de 92 pays. On peut, pour l'anecdote, également noter que Jan Figel, le tout nouveau commissaire européen en charge de l'Education, de la Formation, de la Culture et du Multilinguisme, était présent à Cannes, alors que du temps où elle occupa ces mêmes fonctions, la luxembourgeoise Viviane Reding n'avait jamais mis les pieds au Midem...

Moins anecdotique, bien au contraire: parmi la centaine de drapeaux qui a flotté sur les bords de la Croisette figurait, pour la première fois, celui du Luxembourg. Sans qu'il faille y voir une relation directe de cause à effets, il eût été évidemment dommage que le pays présidant pour les six premiers mois de l'année le Conseil de l'Union européenne ne participe pas à cet événement.

Pour autant, la décision finale du ministère de la Culture de participer au Midem n'a été entérinée qu'au tout dernier moment, à la mi-novembre. Les élections législatives du 13 juin et la traditionnelle période de flottement inhérente à la mise en place des nouveaux acteurs politiques du pays n'a, en la circonstance, pas contribué à plus grande vivacité décisionnelle.

L'idée était tout de même dans l'air du temps depuis un bon moment, puisqu'en 2004, une délégation luxembourgeoise s'était déjà rendue à Cannes afin d'y prendre un certain nombre de repères. "Nous y étions allés un peu en éclaireurs", se souvient Marco Battistella, responsable du service musical au ministère de la Culture, qui situe le point de déclic un peu plus au nord, géographiquement: l'Islande, d'où sont originaires quelques grands noms de la scène musicale internationale, à commencer par Björk, même si Mlle Gudmundsdottir est loin d'être une idole sur son île. "Voilà un petit pays, qui compte presque deux fois moins d'habitants que le Luxembourg, mais qui présente sa culture de fort belle manière, avec un réel engagement du peuple islandais envers sa propre musique", note M. Battistella.

Le Luxembourg n'étant pas une île perdue au milieu de l'Atlantique Nord, mais revendiquant bien au contraire une position carrefour au coeur de l'Europe, et pas seulement sur un plan économique ou financier, il ne pouvait pas laisser une fois de plus l'opportunité de se montrer sous un jour différent. C'est donc sous la bannière "Taste Music made in Luxembourg", imaginée par Binsfeld Communication, que le ministère de la Culture a mis les petits plats dans les grands pour ne pas passer inaperçu à Cannes. Une habile organisation sur place a, ensuite, fait en sorte que pas un représentant des principaux autres pays présents au Midem n'a pu échapper à une "visite guidée" du stand rouge et blanc luxembourgeois.

Sur le plan "relations publiques", le pari a donc été largement gagné. "Le bilan est extrêmement positif, confirme Octavie Modert, secrétaire d'Etat à la Culture, à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, qui tenait, dans sa main gauche, le ruban tricolore que le ministre français de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, coupa symboliquement pour l'inauguration de la manifestation. "Nos professionnels de la musique ont su pleinement tirer profit de cette 'vitrine'. Ils nous ont confirmé la multitude des contacts noués et les résultats concrets qu'ils peuvent afficher se sont produits dès la première journée".

Succès à l'international, donc, mais succès, aussi, sur un plan plus "interne", pour la plus grande satisfaction de Gast Waltzing, compositeur, musicien, arrangeur, orchestrateur, chef d'orchestre et producteur, incontournable artiste luxembourgeois aux prestigieuses références (avec, entre autres, 135 bandes originales de films à son actif et, récemment, un disque d'or avec son groupe de jazz, Largo, sous le label londonien Warner Jazz), le seul à disposer, au pays, du statut de sociétaire définitif de la Sacem, la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. "Ce qui était très important, c'est que les différents acteurs musicaux luxembourgeois qui ne communiquent pas forcément entre eux dans le pays aient pu parler ensemble à Cannes. Cela est évidemment très positif et renforce l'idée qu'un souffle nouveau est en train de naître. Le fait d'avoir organisé ce stand officiel montre l'importance que la musique peut avoir pour l'économie d'un pays. Sans doute les politiciens ne se sont-ils pas rendus compte, jusqu'à présent, de l'importance du business que cela peut représenter".

Le cinéma: un modèle à suivre?

Voilà donc que l'on entre franchement dans la dimension économique de ce que l'on nomme, de manière générique l'industrie musicale. Mais quelle industrie, au fait, pour le Luxembourg? "Il n'y en a pas vraiment, constate avec regrets Gast Waltzing qui rappelle qu'en dehors des institutions "officielles" (OPL, écoles et conservatoire), les "indépendants" ne courent pas les rues.

Etablir une cartographie du poids économique que représente, aujourd'hui, l'industrie musicale au Luxembourg n'est guère aisé. "Il est évident que nous sommes encore aux premières approches dans ce domaine, relève Octavie Modert. Si nous commençons à avoir de premières estimations sur les pratiques culturelles au Luxembourg, comme le montrent les statistiques publiées par le ministère de la Culture dans ses différents rapports d'activités, beaucoup reste à faire".

Sur la base de quelques données fournies par le ministère de la Culture, les estimations sont vite faites. L'activité de production "studios" emploie une quinzaine de personnes; une douzaine d'agents et une quarantaine d'organisateurs de concerts (à moitié privés et à moitié institutionnels) sont recensés et 10 "labels" de disque (pratiquement tous "artisanaux" et non reconnus sur un plan international) sont référencés.

Sur un plan plus technique, quelques centaines d'emplois viennent s'ajouter à la liste avec la fabrication et le pressage de supports digitaux, chez TDK ou bien chez Technicolor/Euronimbus, entreprise récompensée, en novembre 2004, pour la mise en oeuvre de ses "outils de la qualité", dans le cadre du Salon des bonnes pratiques, organisé lors de la Semaine de la Qualité). Sans oublier le volet "distribution DVD", également assurée par une demi-douzaine de personnes chez TDK.

Ces deux sociétés n'assurent, cependant, pas - ou de manière très marginale - une production "nationale". Il faut pour cela se tourner vers la petite société CD-Press qui assure, à elle seule, la très grande majorité de la production nationale, avec des "packagings" de qualité. C'est chez elle que sont fabriqués les disques du label de Gast Waltzing. C'est également vers CD-Press que s'est tourné la Rockhal pour la fabrication du coffret triple-CD de promotion, distribué à plusieurs centaines d'exemplaires à Cannes...

"Encore faudra-t-il parler des emplois créés par les salles de spectacles et les organisateurs de festivals", précise Mme Modert, qui n'oublie pas d'évoquer non plus les emplois indirects créés ou suscités par la diffusion musicale (imprimeurs, organisateurs de voyages, restaurateurs, hôteliers...). "D'aucuns disent qu'un emploi strictement culturel génère trois autres emplois", résume-t-elle.

Quant aux "intermittents du spectacle", si la loi du 26 mai 2004, modifiant la loi de 1999 sur le statut de l'artiste a instauré un nouveau système d'aide en cas d'inactivité involontaire pour tous les intermittents, artistes ou techniciens de plateau ou de studio, salariés ou indépendants, travaillant soit pour le compte d'entreprises de spectacle, soit dans la production notamment cinématographique, audiovisuelle, théâtrale ou musicale, il ne règle pas pour autant tous les problèmes, même si Octavie Modert estime que "le mécanisme fonctionne à la satisfaction générale du milieu concerné. Les intermittents du spectacle ont vu réduire les risques de l'intermittence, ce qui est certainement un atout durable pour le Luxembourg en tant que lieu de production artistique".

Sauf que n'est pas vraiment prise en compte la période d'inactivité "volontaire" d'un artiste en phase de préparation d'une oeuvre ce qui peut, bien souvent, prendre plusieurs mois sans que rien de concret, en apparence, ne soit produit. "Si, dans les années à venir, une définition stricte en droit du travail de la profession de l'intermittent du spectacle devait s'avérer utile et nécessaire, on pourrait certainement songer à un statut particulier. Ce sera alors aux milieux concernés d'exprimer leurs souhaits", indique la secrétaire d'Etat.

"Il y a encore beaucoup à faire en matière d'intermittent", lui répond, en écho, Gast Waltzing, qui ne connaît que trop bien l'importance des retombées économiques indirectes que peut engendrer l'activité "musique". Il le vit au quotidien, au niveau de son studio d'enregistrement et de production, où il peut arriver qu'une quinzaine de personnes soient présentes au cours de sessions d'enregistrement. Autant de personnes qu'il faut nourrir et loger. "Aux Etats-Unis, la musique et le cinéma constituent les deux plus grosses activités rapportant des devises au pays, rappelle M. Waltzing. Ici, l'investissement dans l'industrie musicale est moins élevé que pour le cinéma et les retombées pourraient être plus grandes. Il y a aussi une question d'image: de qui se souvient-on le plus dans l'Histoire? Des grands criminels et des grands artistes...".

La mise en perspective de ces deux piliers de la culture que sont le cinéma et la musique n'est pas innocente. Il y a quelques années, la création du fameux "tax shelter" pour l'industrie cinématographique a ouvert de nombreuses portes de développement pour ce milieu-là au Luxembourg. Peut-on imaginer la reproduction d'un tel modèle pour l'industrie musicale? Octavie Modert, persuadée que la présence du Luxembourg au Midem constitue un vecteur important pour un meilleur positionnement de la production et la scène musicale luxembourgeoises, rappelle que "le gouvernement est tout à fait conscient qu'il faut 'inventer' de nouveaux mécanismes pour la promotion et la diffusion des oeuvres musicales. Il est trop tôt, actuellement, pour se prononcer sur les formes qu'elle prendra ou sur un certain type d'aide, d'autant plus que les aides nationales du type 'Tax shelter' sont parfois contestées au niveau communautaire".

Peut-être le séminaire consacré aux industries culturelles, la musique et le monde de l'édition, organisé les 20 et 23 avril prochains au Luxembourg (en collaboration avec l'European Music Office (EMO) et la Fédération des éditeurs Européens (FEP), ceci dans le cadre des manifestations liées à la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE), permettra-t-il de creuser quelques pistes, alors que l'agenda de la stratégie de Lisbonne demande un effort de la part des industries culturelles, en particulier de la filière musicale et de l'édition de livres. Il n'est pas seulement question, rappelle la secrétaire d'Etat, du développement de la compétitivité économique, mais il s'agit aussi de renforcer les fondations de la société de la connaissance voulue par les bureaucrates européens."Le système mis en place pour le cinéma représente évidemment une piste à suivre, reconnaît néanmoins Marco Battistella. Nous en avons déjà discuté avec le ministre Biltgen (le ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, NDLR). Une réflexion existe en effet pour un système propre à l'industrie musicale, mais il faudra que les acteurs de la musique s'organisent eux-mêmes afin qu'il puisse y avoir des interlocuteurs bien définis autour de la table. Cela a bien marché pour le cinéma. Pourquoi pas sur la musique?"

Et Gast Waltzing d'aller un peu plus loin dans la réflexion: "Ce qu'il faudrait commencer par faire, déjà, c'est convaincre les principales majors à venir s'établir au Luxembourg. Warner, Sony, BMG ou EMI sont déjà toutes présentes aux Pays-Bas. Les faire venir ici pourrait alors faire bouger les choses, attirer des studios, d'autres professionnels. Il faut vraiment vendre la culture et la musique comme une activité économique à part entière".

De l'avis de tous, c'est "de l'intérieur" que doit venir l'impulsion nécessaire à un développement durable de l'industrie musicale au Luxembourg. En sa qualité de gérant de Sacem Luxembourg, Robert Krieps est, forcément, un témoin privilégié des frémissements de la scène musicale luxembourgeoise. "Nous essayons toujours de promouvoir l'idée d'un plus grand professionnalisme entre les acteurs de la filiale musicale. Sans doute la présence à Cannes constitue-t-elle un grand pas en avant. Le stand va certainement encourager les initiatives de création d'entreprises, de labels de production, de structures de placement des artistes. Il est évident qu'une société d'auteurs comme la Sacem ne peut rien faire toute seule. Elle a besoin de partenaires commerciaux qui puissent exploiter les oeuvres créées par les auteurs et les compositeurs. Sans cela, il y a très peu de possibilités de développement de la vie musicale. Nous partons de rien et je suis d'avis que le Luxembourg et les professionnels ne peuvent qu'y gagner, puisqu'il n'y a pas grand chose à perdre".

Fédérer les initiatives

L'union faisant la force, il est facile de se dire qu'en fédérant leurs efforts au sein de structures officielles, les acteurs de l'univers musical gagneraient en efficacité et en niveau d'écoute. Mais quel type de fédération' Faut-il suivre l'exemple de l'Union luxembourgeoise pour la production audiovisuelle (ULPA), qui regroupe tous les producteurs indépendants du pays depuis 1996? "Pourquoi pas, mais il ne faudrait pas que cela soit perçu comme une façon de réclamer sans cesse des subventions. Et puis il faudrait, à sa tête, quelqu'un qui puisse s'y consacrer à temps plein. Je ne suis pas candidat!", prévient Gast Waltzing, anticipant la réponse à ceux qui lui reprochent souvent de ne vouloir rouler que pour lui-même.

"On ne peut évidemment pas attendre que l'Etat fasse tout, avertit Robert Krieps, mais il faut néanmoins continuer à encourager les gens qui croient en quelque chose, qui prennent des risques à produire un artiste, à chercher des concerts. Beaucoup de gens gagnent leur vie à côté de la musique... Il faut espérer qu'ils arrivent à faire de leur hobby et de leur passion un vrai métier. Le rôle de l'Etat doit être d'encourager, sans pour autant être une béquille".

Vu du côté de l'Etat, justement, le tempo du discours est forcément le même: "Nous ne voulons pas de diktat de quelque origine qu'il soit, annonce Octavie Modert. Il est évident que le rôle de l'Etat devra se limiter à créer des conditions de base pour que les professionnels de l'industrie musicale puissent pleinement faire jouer leur créativité et leur professionnalisme. Il n'est pas de la responsabilité de l'Etat de créer l'offre, mais il peut stimuler et soutenir cette création. Nous ne voulons pas intervenir sur les contenus, mais nous devons aider à ce que l'industrie musicale au Luxembourg ait une chance de survivre".

Un discours que complète Marco Battistella, conscient que si l'initiative du ministère de la Culture, à Cannes, a pu permettre de rassembler tous les acteurs autour d'une même cause, il était désormais du ressort de ces acteurs d'agir, "en se regroupant et en essayant de trouver des solutions communes aux problèmes posés. A partir d'un certain moment, la vie musicale doit pouvoir voler de ses propres ailes. Mais compte tenu de la situation au Luxembourg, cela ne pourra pas marcher sans un petit coup de pouce de l'Etat, sous la forme d'un apport qui ne doit pas nécessairement être d'ordre financier".

Il existe bien, par exemple, le Fonds culturel national, dont le rôle est d'allouer des aides à des projets culturels. Mais Gast Waltzing a quelques raisons de remettre en doute sa raison d'être. "Je lui ai présenté un projet il y a plusieurs mois et je n'ai jamais eu de feed-back. Entre temps, j'ai produit quatre disques et assuré leur distribution. Aucun représentant du Fonds n'est venu me voir..."

Parmi les initiatives concrètes qu'il serait possible de mener, il y a la création de ce que M. Batistella appelle "une vraie maison de la musique" et M. Krieps "un bureau export", qui puisse être en charge de la promotion et de la distribution des artistes à l'exportation. Sous quel statut? En Belgique, par exemple, il existe l'agence Wallonie-Bruxelles Musiques (WBM), créée il y a 21 ans, afin d'aider les artistes, producteurs et éditeurs de la Communauté française Wallonie-Bruxelles à s'insérer dans les secteurs de l'industrie culturelle musicale. Cette agence est co-gérée par le Commissariat général aux relations internationales et le ministère de la Communauté française.

En Suisse, Etat et fédérations professionnelles travaillent main dans la main dans cet objectif de promotion. En France, il existe un tel bureau qui dépend directement du ministère de la Culture. Pourquoi ne pas imaginer, au Luxembourg, l'implication du ministère de l'Economie, désormais compétent, également, en matière de Commerce extérieur, et habitué aux prospections internationales via le Board of Economic Development?

Rayonnement international

Se faire une petite place à une échelle internationale n'est évidemment pas chose aisée, mais constitue la seule voie de salut possible pour la musique au Luxembourg, qui ne peut évidemment pas se contenter de son propre marché intérieur. Encore faut-il, pour cela, intégrer les bons réseaux. Gast Waltzing regrette, ainsi, que son groupe de jazz, Largo, dont le premier album édité chez Warner Jazz a reçu la récompense d'un disque d'or en octobre 2003, n'ait pas figuré au palmarès de la deuxième édition des European Border Breakers Awards (EBBA), récompensant les artistes dont les premiers albums ont réalisé, au cours d'une année, le plus de ventes dans l'Union, hors de leur pays d'origine. "C'est tout simplement parce que le Luxembourg n'est pas membre de certaines associations internationales, explique-t-il. C'est dommage, car l'investissement pour être membre est certainement moins élevé que celui pour organiser une réception".

Si ce "networking" international semble encore faire quelque peu défaut, pour le reste, le pays semble se donner, au fil du temps, les moyens de ses ambitions, comme en témoignent les inaugurations prochaines de la grande salle de la Salle de Concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte ("L'intérêt manifesté au Midem pour la Philharmonie par les milieux culturels initiés et établis a été impressionnant", s'enthousiasme Octavie Modert), dont le concert inaugural marquera la clôture du semestre de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE et la Rockhal, le Centre de Musiques Amplifiées, pour cet automne. "Comme nous avons l'ambition de pouvoir créer ou d'aider à créer des conditions de travail professionnelles, une des premières conditions est la mise à disposition d'infrastructures nouvelles de très grande qualité", confirme Mme Modert, qui refuse d'entrer dans une quelconque polémique au sujet du débordement budgétaire dont a fait l'objet la salle de la Philharmonie (voir notre dernière édition paperJam page 26). "Il faut placer cette salle dans un contexte international approprié", explique-t-elle, comparant les 107 millions d'euros que le bâtiment coûtera finalement aux 337 millions du nouvel opéra de Copenhague, aux 139 millions de l'auditorium Parco della Musica de Rome ou les 246 millions du Walt Disney Hall de Los Angeles.

"Evidemment, il existe des projets beaucoup moins ambitieux dont le coût est inférieur, mais ils ne peuvent pas servir de point de référence. Nous ne pourrons vraiment exister sur la scène internationale que si nos exigences de qualité supportent la concurrence internationale au lieu que l'on nous reproche toujours un air de province". Et de rappeler que, fort de l'expérience de 1995, année où Luxembourg tenait le rang de capitale européenne de la Culture, le pays attirerait certainement moins d'investisseurs étrangers s'il conservait une image de "désert culturel'.

Marco Battistella, lui non plus, n'apprécie guère le discours minimaliste et conservateur de bon nombre "d'anti-culturels". "De toute façon, la culture ne peut pas être rentable. Mais elle peut créer des emplois si elle fonctionne bien et engendrer forcément tout un tas de retombées diverses. 1995 nous avait permis de nous rendre compte que la culture existait, mais aussi que le pays manquait d'infrastructures. On est en train d'y remédier".

Avoir les infrastructures, c'est une chose, encore que se pose toujours le problème de la mise à disposition de locaux de répétition dignes de ce nom pour les groupes. La Rockhal proposera, certes, quelques salles à cette fin, mais cela ne constitue vraiment qu'une goutte d'eau dans un quasi-désert. Ensuite, disposer des compétences pour permettre à ces infrastructures de donner le meilleur d'elles-mêmes, c'est encore autre chose. Gast Waltzing, quelle que soit la casquette qu'il porte, ne peut être que satisfait de cette évolution positive. "L'investissement de la Philharmonie est un investissement futur à regarder à très long terme. Et il ne s'agit certainement pas d'un produit réservé à l'élite. Tout le monde, au contraire, pourra en profiter. Il y aura des compositeurs luxembourgeois qui seront joués par des grands orchestres! A partir du moment où la salle de concerts de la Philharmonie ou la Rockhal seront opérationnels, il faudra que tout artiste international en tournée se dise 'cette salle existe, je dois y passer'. Auparavant, tout ce qui se faisait à l'étranger était systématiquement considéré comme meilleur. Là, il y a un une vraie symbiose. Les choses bougent vraiment".

Pour autant, le compositeur et producteur ne cache pas une certaine retenue devant les défis à venir: "Dans l'absolu, la musique se fait dans les têtes et on a juste besoin d'une petite place pour répéter. C'est tout! Pour la Rockhal, les ressources humaines compétentes seront très importantes. La technique, tout le monde peut la faire, même chez soi, mais c'est autre chose dès qu'il s'agit de production, pour guider les artistes dans chaque partie instrumentale de leur oeuvre. Beaucoup de gens au Luxembourg n'ont jamais travaillé comme cela et croient encore que le producteur est là pour leur voler leur musique. C'est faux! La relation entre un producteur et un artiste doit être la même que pour un mariage".

Dans quelle mesure la qualité technique de ces nouvelles infrastructures permettra-t-elle l'avènement de "produits" musicaux luxembourgeois d'une qualité, elle aussi, supérieure, qui puisse être en mesure de susciter un intérêt de la part des diffuseurs? Voilà un autre des défis auxquels doivent faire face les artistes luxembourgeois, qui sont loin d'être des prophètes en leur pays. Pour reprendre l'exemple de l'Islande, cité en modèle, le taux de diffusion des artistes nationaux sur les médias islandais atteint les 35%, sans le moindre quota! Au Luxembourg, les doigts d'une main suffisent pour évaluer ce rapport. "Le taux de présence des oeuvres luxembourgeoises sur nos médias est, en moyenne, de 2,5%, dans une fourchette entre 1% et 4% en période de pointe sur RTL', nous indiquait récemment Robert Krieps. Le chemin est donc encore long... Et Marco Battistella en est conscient. "Pour prétendre à ce que les médias luxembourgeois diffusent aussi des artistes luxembourgeois, encore faut-il qu'il y ait une réelle offre de qualité, que ce soit la qualité de l'oeuvre en elle-même, mais aussi la qualité technique, d'enregistrement. Dans ce domaine là, tout reste à faire au Luxembourg".

Quotas or not quotas?

Et revient donc, sur le devant de la scène, la problématique des quotas de diffusion... Une version améliorée de la discrimination positive qui pourrait donner aux artistes luxembourgeois une meilleure visibilité. Les intentions sont louables, mais "Le problème vient aussi des radios. Il y a 20 ans, c'était plus facile: on amenait le disque, il était joué..., se souvient Gast Waltzing. Aujourd'hui, un artiste qui n'est pas sur une play-list n'est pas, ou presque pas joué, que ce soit en radio ou en télé. Il y a bien la radio culturelle 100,7, mais elle ne diffuse que des artistes d'un certain microcosme... Suis-je pour les quotas? Oui et non... Je ne suis pas d'accord, par exemple, de diffuser des artistes luxembourgeois sous le seul prétexte qu'ils sont luxembourgeois. Il faut qu'il y ait de la qualité aussi. Mais qui doit décider de cette qualité? Pas moi en tous les cas..."

Faudra-t-il passer par une loi, ou bien peut-on compter sur un certain esprit de bon sens de la part des diffuseurs? "Il faudrait qu'il y ait un consensus entre les différentes radios pour consacrer plus de temps d'antenne aux luxembourgeois et ne pas placer les émissions à des heures impossibles", estime Gast Waltzing. Une voie consensuelle à laquelle Robert Krieps a du mal à croire. "Nous sommes favorables à l'élaboration de quotas. Il faut raccourcir au maximum le chemin pour que le produit musical - CD ou concert - arrive vers le public. Tous les moyens sont bons pour le faire. Si on peut le faire de manière conviviale, ce serait bien sinon il faudra réglementer".

Les feux de la rampe de Cannes se sont éteints et l'heure est désormais à la réflexion post-Midem. Si le bilan "à chaud' est positif pour tout le monde, un vrai bilan, plus concret, chiffres à l'appui, devrait être tiré d'ici à quelques mois, afin d'élaborer une véritable stratégie à plus long terme. "S'il n'y a pas, à l'heure actuelle, de véritable 'road map', car la culture restera toujours un chantier, nous avons d'ores et déjà décidé de répéter l'expérience Midem à l'avenir", annonce Octavie Modert.

Robert Krieps, lui, espère bien que l'expérience du Midem 2005 permettra une "prise de confiance" des acteurs concernés. "Le courage du ministère de la Culture a déjà été récompensé puisque nos avons été remarqués sur place dans un contexte positif. Cet argent n'a pas été dépensé pour rien. Tout commence! Pourquoi ne pas, par exemple, éditer un guide pour tous ceux qui aimeraient se lancer et leur indiquer les démarches à accomplir et les aides disponibles. On voit qu'il y a beaucoup de projets qui se lancent, beaucoup plus qu'avant et on ne peut que souhaiter plus de présence de la part des acteurs privés, qui ont besoin d'un marché. Ce serait un résultat fantastique si le Luxembourg pouvait se positionner en tant que lieu fédérateur pour tous les gens qui ont passé leur jeunesse ici mais qui ne sont pas restés. Edward Steichen nous a fait cadeau de 'Family of man'. Ce serait bien qu'un Brian Molko (le chanteur du groupe Placebo, né à Bruxelles, mais qui a fait ses études au Luxembourg, d'où il est parti à l'âge de 17 ans, NDLR), ou un autre, nous fasse cadeau de son disque d'or ou installe sa société ici..."

La perspective de Luxembourg et Grande région, capitale européenne de la Culture en 2007, offre tout naturellement une autre formidable