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Certains attendent Godot, d'autres leur musée. Une grande différence, pourtant: dans le second cas, ce n'est vraiment qu'une question de temps. L'attente n'est pourtant pas passive, au contraire: l'équipe du Mudam construit la future collection!

On construit au Luxembourg. Les grues poussent dans tous les paysages du Grand-Duché; certaines construisent des bureaux, d'autres des habitations, et quelques autres, plus rares, des musées. Le Musée d'Art Moderne Grand-Duc Jean fait partie de ces chantiers. Il a fait parler de lui: choix d'un architecte célèbre et construction qui ressemble à une saga, chaque saison apportant un épisode supplémentaire. Entretien avec Marie-Claude Beaud, Directrice de ce Musée.

Le Musée n'est pas encore ouvert qu'il a déjà une "longue histoire"? Pouvez-vous simplement nous donner un bref résumé de sa gestation?

«Le Musée d'Art Moderne Grand Duc Jean (Mudam) a été une décision politique. L'idée existait avant 1995, mais cette année culturelle a servi de révélateur. On s'est rendu compte que la culture était indispensable au développement d'un Etat. Concrètement, le projet a connu des rebondissements nombreux et variés avant mon arrivée. Après de nombreux débats, on a abouti à un projet "coupé en deux", c'est-à-dire le Musée de la Forteresse et le Mudam. Je suis en charge du Mudam. Le bâtiment est construit selon les plans de Ieoh Ming Pei. Ce choix a été fait, entre autres, grâce à la Pyramide du Louvre, dont il a été l'architecte. C'est une personne qui a la réputation d'être un véritable amateur d'art, et il l'est. Il a un sens de l'architecture, classique et très élégante, basée sur une spiritualité forte. L'art pour lui est une aspiration vers un au-delà qu'il ne décrit pas.

Vous n'êtes pas arrivée au début du projet? Vous avez "hérité" d'une première étape?

«Quand je suis arrivée, le projet était déjà bien engagé grâce au travail de Bernard Ceysson, mon prédécesseur. Il a créé les bases du Musée. J'ai compris, comme lui, la dénomination "Musée d'Art Moderne" dans le sens de la modernité. La modernité est internationale, universelle et incompressible. Les limites historiques avaient été définies avec beaucoup d'intelligence? Bernard Ceysson a été un grand directeur de musée avec une passion pour l'art des années 50 et 60. Il avait également réalisé, très tôt, des expositions à Saint-Etienne sur l'art des années 70 et 80.

Pour le Musée, il mesurait la nécessité d'avoir un lieu adapté au temps présent... Il va accueillir des oeuvres des années 80 à nos jours. Les années 80, logiquement, sont encore "achetables", si je peux dire. Quoique Jean-Michel Basquiat ou Jeff Koons sont d'ores et déjà très difficiles à acquérir.

Il a pris une deuxième décision que je trouve plutôt intelligente : nous sommes dans un pays qui est un carrefour, entre le nord, le sud, l'est et l'ouest de l'Europe. C'est un pays traversé. Je m'en rends compte aujourd'hui certainement plus qu'il y a deux ans quand je suis arrivée. On ne mesure pas si vite cette diversité, ce multilinguisme, cette multiculture. Bernard Ceysson a donc ancré la collection dans un vrai regard, non exclusif, mais poussé, sur l'Europe. Autrement dit, l'art européen des années 80 à nos jours. Moi j'ai repris ça, tranquille, en élargissant un peu. La seule chose que je n'ai pas reprise, c'est la commission qui accompagnait les achats.

Les achats, justement, comment fonctionnent-ils?

«Avant la création effective de la Fondation, Bernard Ceysson travaillait sur un système d'achat qui était lié au Fonds Culturel National présidé par Paul Reiles. Bernard Ceysson était responsable de la commission d'achat, composé pour l'essentiel de Luxembourgeois.

Je ne connaissais pas du tout le milieu luxembourgeois. J'ai, en revanche, une très forte habitude d'un certain nombre de pratiques liées à l'art, et notamment à l'art contemporain. J'avais l'impression qu'ici, il me fallait avoir l'appui de grands professionnels internationaux. Donc, au lieu d'avoir une commission faite de gens tout à fait honorables, mais que je ne connaissais pas, j'ai préféré travailler avec des gens que je connaissais, professionnellement parlant s'entend. L'objectif? S'assurer que l'on ne fera aucune concession ni aux lobbies, ni aux professionnels et spécialistes locaux.

Ceci est faisable, d'autant que dans mon conseil d'administration, il y a déjà les trois responsables d'équipements qui s'occupent d'art à Luxembourg, c'est-à-dire Paul Reiles (directeur du Musée national d'histoire et d'art) - qui fait également partie du comité scientifique - Danièle Wagener, qui dirige le Musée de la Ville et Enrico Lunghi, le Casino'Forum d'art contemporain.

Je n'allais pas leur demander à eux trois de faire partie du comité. J'ai donc pris un "otage", Paul Reiles, au choix artistique très pertinent et mesuré. Avec l'accord du conseil d'administration, j'ai également constitué ce comité en fonction de ce qui me semblait le plus juste par rapport à la collection qui était déjà là; il y avait 80 pièces quand je suis arrivée. C'est pourquoi j'ai choisi Nicholas Serota, directeur des Tate Gallery en Angleterre. La Tate Modern venait d'ouvrir et je connais Nick depuis des années, au début de ma carrière. J'admire sa constance. Il est d'une certaine manière l'opposé de moi. On n'a pas les mêmes méthodes pour arriver, mais il est aussi têtu? C'est notre point commun. Il représente une caution artistique internationale incontestable.

La deuxième personne, Carmen Giménez, je la connais également depuis très longtemps. Elle représente, en tant qu'Espagnole, des cultures qui sont aussi indispensables à la connaissance et la construction d'une collection européenne... sans perdre de vue qu'elle est "Curator at large" au Musée Guggenheim à New-York et à l'origine de celui de Bilbao.

Le troisième, Stephan Schmidt-Wulffen, je ne le connaissais pas personnellement. Je lisais ses textes et appréciais ses choix artistiques, remarquables. Il est allemand ; je voulais dans le comité une vision plus de l'Est. Il est extrêmement structuré et a une vision de l'histoire de l'art contemporain exigeante.

Voici pour le comité scientifique, donc?

«Vous savez, tout le monde pense qu'il peut dépenser 700.000 Euro sans problème. Enfin non ! Pas tout le monde. Tout le monde peut le dépenser. Tout le monde ne peut pas le dépenser bien. Tout le monde ne peut pas le dépenser bien pour une collection publique.

Je n'achète pas pour moi. J'achète pour un musée et mon Conseil d'Administration me demande des comptes et c'est logique. C'est pour cela que je préférais avoir des pairs qui puissent cautionner les propositions que je pouvais faire. Ma politique d'achat n'est pas celle où chacun apporte son panier de légumes pour faire un potage (c'est une expression qui vient d'un grand marchand d'art, Jean Fournier). Je choisis les légumes, nous faisons et nous mangeons le potage ensemble. Ce qui est beaucoup plus agréable. Cela ne veut pas dire non plus que de temps en temps il n'y a pas un légume qui arrive sans être choisi par moi.

Vous offrez cependant une certaine reconnaissance à des artistes, et donc à leur "prix", sur le marché?

«Oui, car nous faisons partie d'un circuit international qui doit permettre aux différents acteurs de vivre de l'art. Au Luxembourg, Mudam sert à construire un public le plus large possible. Les collectionneurs représentent une proportion plus petite et les fous d'art contemporain, il y en a toujours très très peu et pas seulement au Luxembourg.

Un rôle d'éducation, de pédagogie, donc, pour le public grand-ducal?

«Il ne faut pas s'arrêter à la seule collection. Il y a également des expositions et du travail de sensibilisation que l'on fait par ailleurs.

Le rôle qu'un musée joue par rapport au marché de l'art n'est pas seulement lié à ce qu'il achète, il est aussi lié à ce que l'on montre, à ce que l'on fait passer dans le public. Dans mon esprit, je fais déjà une collection 'patrimoniale'. Personne ne me croira, mais c'est vrai ! Pour moi, dès que quelque chose est fait, il est déjà patrimonial.

Les Luxembourgeois ont collectionné une toute petite partie de l'art moderne. Principalement l'École de Paris des années 50. Il faut partir de cette passion, qui a habité un certain nombre de gens à cette époque. Il faut également prendre conscience qu'il y a ici des institutions dans la grande région qui font un travail professionnel historique très sérieux Il ne faut pas oublier que le Casino travaille pour nous? Enrico Lunghi ne forme pas uniquement pour Mudam, mais il initie les gens à l'amour de l'art, à être ouverts et curieux.

Si on va dans un musée pour ne voir que des artistes que l'on connaît déjà, ça ne m'intéresse pas. Je ne suis pas là pour ça. Je ne suis pas là non plus, comme on le pense, pour choquer et déstabiliser. J'ai une mission très particulière qui est d'ouvrir un musée d'art actuel avec une bonne collection et un programme généreux et je voudrais ainsi que le public comprenne ce qu'est un artiste. Ce n'est pas un rigolo qui fait n'importe quoi sur le coin d'une table !

Justement, qu'est-ce qu'un artiste?

«Je n'ai pas une définition proprement dite de l'artiste. Je pense que les artistes sont des gens qui vivent dans le réel. Ils ne sont pas hors du temps et du monde. Seulement, ils réagissent différemment, de façon plus forte, plus rapide que nous. Ils ne sont pas forcément les porteurs d'un message universel, mais ils n'ont pas d'autres moyens de s'exprimer que ceux qu'ils prennent, qu'il s'agisse d'un appareil photo, d'un pinceau, d'un crayon, d'un ordinateur.

On a une chance inouïe ! En dix-neuf siècles, il n'y a pas eu la révolution qu'il y a eu depuis l'invention de la photographie, il y a un peu plus de cent ans ! La photo, le cinéma, la vidéo, le multimédia. En très peu de temps, un bouleversement incroyable s'est produit, sans rien interdire de ce qui est précédent. On peut toujours utiliser un crayon. Autre chose importante pour moi, un artiste n'est pas défini par sa technique. Les gens seraient d'ailleurs plus curieux s'ils se disaient que ce n'est pas la technique ou le savoir-faire qui définit la qualité d'un artiste?

L'artiste creuse un sillon, c'est comme un paysan qui, chaque année, laboure son champ, le réensemence. Un artiste, c'est la même chose, et c'est beaucoup de travail! Dans les sciences, on admet de ne pas comprendre immédiatement un Prix Nobel lorsqu'il s'exprime. Pourquoi ne permet-on pas la même chose à un artiste?

Les galeries grand-ducales sont-elles de "bon' niveau?

«Il faut le dire, et que ce soit entendu, il est rare qu'une ville de 80.000 habitants, qu'un pays de 400.000 habitants (c'est à peine un quartier d'une ville américaine) aient autant de galeries que Luxembourg. C'est sûrement unique.

Cependant, je dirais qu'il y a trois cercles de galeries ici. Il y a un cercle très pointu de niveau international. Il y a également certaines galeries de bon niveau, mais plus liées au marché local. Il y a enfin un cercle beaucoup plus classique.

Tout le monde doit vivre certes, mais il ne faut pas m'en vouloir si je ne vais pas voir tout. Je ne vais pas collectionner pour un nouveau musée des artistes qui n'ont rien remis en question. J'ai besoin de ceux qui sont dans l'urgence. Leur oeuvre, même malhabile en apparence, doit être porteuse de quelque chose d'unique.

Si c'est pour reprendre la peinture du 19e ou du début du 20e siècle, je n'en veux pas. Il y a une authenticité des artistes. Il y a un avant et un après. Il y a des artistes "fondateurs". On essaie, dans les musées, avec prétention peut-être, de se dire qu'on n'achète que des fondateurs. On voudrait bien ne pas se tromper. Certains nous disent que c'est l'histoire qui donne raison ou tort. L'histoire donne tort parfois pendant très longtemps et donne raison parfois trop vite. Je pense qu'il faut être extrêmement vigilant et se remettre en question continuellement.

Le plaisir de l'art pour moi n'est pas forcément la béatitude. Ça peut se comparer à beaucoup d'autres choses, je ne rentrerai pas dans des choses trop intimes, mais je pense que le plaisir n'est pas toujours dans la facilité. Il faut un travail. Pour moi l'art est une des pratiques que l'homme a entrepris dès qu'il s'est mis debout. Ça n'est pas quelque chose de nouveau. Comme le dit si bien Maurizio Nannucci: "All art has been contemporary".

Pour moi, c'est une nourriture indispensable. Ma nourriture personnelle, privée, n'est pas forcément la nourriture des autres et pas celle du Musée. Un musée est un lieu de référence, et donc acheter pour un musée, cela veut dire acheter une oeuvre, en espérant qu'elle sera regardée et comprise par le plus grand nombre. Je peux me tromper dans l'achat d'une oeuvre, mais je pense faire mon travail, en tant que professionnelle, entourée de professionnels amoureux comme moi, sans complexe, de l'art de notre temps.

Pour revenir aux galeries, passez-vous par elles pour vos achats?

«Dernièrement, j'ai proposé d'acheter une pièce de Thomas Hirschhorn. Je l'avais vue avant de venir ici, à la Biennale de Venise en 1999. À l'époque, je m'étais dit : "ça c'est génial, si j'avais un musée, je l'achèterais". Je n'avais pas de musée. J'arrive ici. Une des premières expositions que j'ai vues à Luxembourg était de lui, chez Erna Hécey. Je me suis donc adressée à elle, en lui disant : "Je veux la pièce de Venise". Je lui ai demandé d'être l'intermédiaire avec les autres galeries, qui représentent l'artiste ailleurs. Il serait vraiment honteux de passer par des galeries étrangères pour acheter des oeuvres d'artistes qui sont présentées dans des galeries luxembourgeoises. C'est simple: si les gens sont professionnels, et bien tout marche.

Certains débats ont lieu sur les acquisitions du Mudam…

«Je sais qu'il y a des gens qui sont contre ce que je fais, qui disent que j'achète de travers. Je sais que ça se dit, que ça s'écrit. Bon. Je peux être remplacée, mais tant que je serai là je ferai ce que je pense être bon pour ici. Et je le ferai avec conviction, et pas forcément avec tendresse. Plus on vieillit, plus on est tolérant pour ceux qui n'ont pas "eu de la chance" comme on dit, et souvent épouvantable avec ceux qui ont eu cette chance et qui n'en font rien. Ceux qui ont reçu doivent donner.

Je pense que si Mudam a un rôle à jouer, c'est celui d'un forum où l'on est intrigué, surpris. Un lieu où tout le monde est bienvenu, où l'on puisse poser des questions et avoir des réponses peut-être. Notre culture est essentiellement visuelle, et l'on n'a peu de moyens de la décrypter. Les musées sont des lieux où, en dehors du plaisir réel qu'il y a à regarder des oeuvres, on apprend - grâce aux artistes - une autre façon de voir le monde.

Avec votre budget d'achat, quelques marchands doivent faire votre siège?

«Non! Je n'ai aucune pression de cet ordre-là. La pression ici pourrait être de choisir des artistes luxembourgeois plutôt que non-luxembourgeois. J'ai lu il n'y a pas très longtemps, dans un hors-série du 'Land', un article de quelqu'un qui est, je crois, conservateur de bibliothèque. Il disait que les musées de Los Angeles n'achètent que de l'art californien, et américain (ce qui d'ailleurs est inexact), et que ce n'est pas comme ici. Je voudrais lui demander si la bibliothèque dont il s'occupe n'accueille que des livres de Luxembourgeois ou de Saar-Lor-Lux. Je trouve que c'est un principe un peu ridicule et dépassé. Il y a des artistes luxembourgeois que je trouve formidables, même si je ne les connais pas encore tous.

Au Luxembourg, il y a une différence à faire entre les amateurs et les professionnels. J'adore les amateurs. Mais ils ne seront ni Picasso, ni Monet. Si on me dit que le travail de ces amateurs est le même que celui de Bert Theis ou de Jan Fabre, on va commencer à en discuter.

Ensuite il y a des professionnels, qu'ils aient appris ou soient autodidactes. Certains produisent des oeuvres vraiment passionnantes, d'autres ne font que des copies ou des ré-interprétations pas très intéressantes de mouvements qui ont existé, il y a 50 ans.

Quand ce sont des personnes qui ont entre 30 et 40 ans, et qu'ils font ce qu'ils font parce que l'on dit que c'est ce qui se vend et que c'est ce qui plait, cela m'attriste !

Votre budget d'achat est d'environ 700.000 Euro? Est-ce facile de faire des choix?

«Pour l'instant c'est difficile, parce que l'on trouve toujours que l'on n'a pas assez. D'ailleurs des crédits supplémentaires ont été demandés pour l'ouverture. En fait, pour acheter des pièces historiques, je trouve que c'est très difficile, car leur coût est élevé. Il y a une série de pièces que l'on voulait absolument.

Elle va certes hypothéquer notre budget pour trois ans, dans une certaine proportion chaque année, mais c'est un ensemble d'oeuvres géniales, et l'on sera vraisemblablement les seuls au monde à les avoir ainsi regroupées.

Pour l'ouverture, les projets d'achats et de commandes vont de 10.000 à 500 000 Euro selon l'importance de l'oeuvre ou de l'artiste.

Quels rôles les banques et d'autres entreprises privées jouent-elles dans le développement du marché de l'art au Luxembourg?

«Pour le Musée, certaines banques, comme la BEI ou la KBL, ont offert des pièces formidables, négociées du temps de Bernard Ceysson. Je pense qu'il faut continuer ces relations? Nous sommes en train de préparer un cahier de propositions d'achats qui sera envoyé aux entreprises, aussi bien au Luxembourg qu'à l'étranger, en espérant obtenir un résultat positif en mécénat.

Pour revenir à la question, je crois que les banques ont joué un rôle, à un moment donné, extrêmement important dans la diffusion de l'art, avec des expositions, parfois très bien faites. Après, de savoir si une banque a pour rôle de se substituer à un musée, je ne suis pas certaine. Donner l'envie de vivre avec l'art et de collectionner? Sûrement.

Avec certaines banques, nous réussissons à engager un dialogue différent, comme la Banque de Luxembourg avec ARTfiles et la Banque Générale pour le site mudam.lu. Plus récemment une banque nous a demandé d'assurer la formation de ses principaux conseillers en expliquant que leurs clients sont parfois demandeurs d'information sur l'art contemporain, et que leurs conseillers, malheureusement, n'avaient aucune compétence dans ce domaine.

Ce rôle est très intéressant. Certaines banques ont de toute façon déjà des conseillers et c'est bien ainsi. La KBL nous a demandé de visiter le site du Musée pour mieux comprendre le rapport entre patrimoine et modernité, initiative qui prouve que les choses bougent.

Décidément, on ne cesse de revenir vers le rôle de formation que vous pouvez jouer?

«Ce que l'on peut déplorer, c'est le peu de cas fait de l'éducation artistique dans le monde. Ce n'est pas Christian Schaak (NDLR : artiste et Professeur d'Education Artistique au Lycée Technique des Arts et Métiers Luxembourg), qui est dans notre Conseil d'Administration, qui va me démentir!

Lui aussi se bat pour qu'il y ait un enseignement plus approfondi. On enseigne le sport, les mathématiques, la littérature. Pourquoi n'apprend-on pas l'histoire d'images et des formes, alors que l'on vit dans un monde essentiellement d'images? Je pense que ce n'est pas neutre.

Dans cet ordre d'idée, j'ai beaucoup aimé que LL.AA.RR. le Grand-Duc et la Grande-Duchesse aillent visiter le Palais de Tokyo, à Paris. J'ai trouvé formidable qu'ils visitent ce nouveau lieu de culture contemporaine et internationalement le plus "gonflé" en ce moment.

Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud, les créateurs du Palais de Tokyo, sont allés au bout de leurs idées, ils ont eu envie de faire un lieu ouvert. On dit que ce n'est pas bien pour l'art, que les gens ne viennent là que pour écouter des DJ, pour manger, draguer? Et alors? Cette visite officielle, je l'ai prise pour une reconnaissance du rôle que peut tenir la culture contemporaine dans un pays moderne. Voilà!

Pour revenir à la constitution de la collection du Musée, est-ce que le soutien politique a été sans faille?

«Il y a une vraie volonté politique. Sans elle le Musée ne se serait jamais fait. Dans mon Conseil d'Administration, la plupart des gens ont déjà depuis longtemps rêvé de ce Musée. Ils en ont eu envie. Et ça, c'est positif. Ce qu'ils voulaient, ce n'est pas forcément ce qu'on va faire. Mais l'idée de créer un lieu qui représente la culture de notre temps, c'est cela qui doit être retenu.

Certains ont peur de ce qui est provocant. Je pense qu'au Luxembourg il y a en fait très peu de gens comme ça. Ils pensent avoir le pouvoir, mais je suis persuadée qu'ils n'en ont pas, ou à peine lors des dîners en ville.

Ce matin, j'ai croisé dans la rue quelqu'un qui était allé au Casino voir L'Effet Larsen, à l'occasion des journées portes ouvertes. "Vous savez", m'a-t-il dit, "je n'ai pas tout compris". Pour moi, le fait d'y être allé, c'était déjà gagné. C'est pour cette raison que le Musée d'Art Moderne Grand-Duc Jean a été conçu et ouvrira.»