L'entrée de ces deux pays dans l'Union européenne, le 1er janvier prochain, ne changera pas fondamentalement la donne pour nos entreprises, tandis que les échanges commerciaux ne cessent de croître.
L'Union européenne connaîtra un nouvel élargissement, le 1er janvier prochain, avec l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie. L'arrivée de ces nouveaux États membres ouvre-t-elle des perspectives pour les entreprises luxembourgeoises? "Il n'y aura en réalité rien de fondamentalement nouveau, souligne d'emblée Sabrina Sagramola, Head of European Affairs, International Department à la Chambre de Commerce du Luxembourg. Le 1er janvier 2007 est une date butoir, mais nous développons depuis longtemps des activités communes. Des entreprises luxembourgeoises ont déjà négocié des relations précises. D"autres étaient quelque peu sceptiques, mais ont depuis démarré le processus. Nous avions d'ailleurs déjà intégré la Bulgarie et la Roumanie - ainsi que la Turquie - dans notre campagne 2003".
Des entreprises luxembourgeoises sont déjà présentes, d'une manière ou d'une autre, sur les marchés des deux nouveaux pays entrants. "C"est très difficile à chiffrer, relève Mme Sagramola. Lorsque nous avons effectué une mission commune, en 2004, avec l'Agence wallonne pour l'exportation (AWEX), une quinzaine d'entreprises y participaient. Quelques-unes désiraient découvrir ces marchés et d'autres recherchaient des moyens d'outsourcing, puisqu'il y a là-bas une main-d'oeuvre qualifiée dont nos entreprises ont besoin et qui fait défaut ici". Les secteurs économiques concernés sont très variés, mais ceux de la transformation des métaux, de l'informatique et des bureaux d'études sont prédominants.
En revanche, ceux des produits alimentaires et du tourisme présentent un bon potentiel à développer, même si, bien sûr, la taille du Luxembourg fait que les entreprises concernées sont quasi toujours les mêmes. Et la croissance de ces deux pays, oscillant entre 5 et 6% par an, a de quoi attirer les investisseurs. Le taux d'investissement en Bulgarie a ainsi été de 9,5% en 2005-2006, et de 12,5% en Roumanie en 2006.
Les chiffres de la balance commerciale de ces pays avec le Luxembourg parlent d'eux-mêmes, tout en restant, certes, modestes. Les exportations du Luxembourg vers la Bulgarie se sont élevées, selon des chiffres provisoires, à 3,464 millions d'euros en 2005, contre 1,151 million en 1995. Avec, en 2002, une très forte pointe - due aux secteurs du papier et des machines - à 8,519 millions. Cette balance commerciale est nettement excédentaire en faveur du Grand-Duché, puisque les importations du Luxembourg depuis la Bulgarie ont été de 190 millions d'euros en 1995 à 968 millions d'euros en 2005. Il faut toutefois noter que ces chiffres ne reprennent pas les services, pour lesquels nous n'avons pu obtenir les montants.
Pour ce qui est de la Roumanie, la progression est constante depuis 1995. à cette époque, le Luxembourg y a exporté pour 7,859 millions d'euros. En 2005, ce chiffre a atteint 17,128 millions. Ce sont surtout les secteurs des produits chimiques, des matières plastiques, du caoutchouc, du ciment, du verre, des métaux et des machines qui ont permis cette progression. Et, là encore (mais toujours avec la nuance des services), le Luxembourg est en excédent commercial. En 1995, il importé de Roumanie à concurrence de 298.000 euros. En 2005, ce chiffre est passé à 6,358 millions d'euros.
Saisir l'opportunité en toute sécurité
Ces pays, comme d'autres, traînent une réputation de corruption. Y a-t-il là un danger pour nos entreprises qui voudraient s"y implanter? "Il y a corruption. C"était connu, répond Sabrina Sagramola. L'acquis communautaire ne pourra pas être appliqué à 100% dès l'entrée dans l'Union. C"est un travail de longue haleine et la Commission européenne travaille à ce que tout soit fait pour diminuer ce problème. Mais il est clair que cette question touche tous les pays d'Europe de l'Est. Ils recherchent tous des investisseurs et, pour cela, ils tentent de se vendre au mieux de leurs intérêts". Sans oublier que ces états portent encore les signes de l'histoire lourde et récente du rideau de fer. Ces stigmates ne peuvent disparaître en un coup de baguette magique. Cela se fera peu à peu. "Tout cela ne doit pas empêcher nos entreprises de négocier. Il y a simplement des précautions à prendre. Ainsi faut-il passer par une étude de marché qui comporte l'analyse de risque, et ceci avec l'appui d'un consultant local sûr et très bien implanté, de manière à définir une marge de prévention dans le projet budgétaire. Et ne pas perdre de vue qu'il y a de la corruption partout...".
Niels Dickens, attaché à l'International Department de la Chambre de Commerce, souligne, pour sa part, qu'il n'y a aucun danger de syndrome du "plombier polonais". "L'arrivée de main-d'oeuvre de ces pays chez nous n'est pas permise dans le contexte actuel. Elle ne peut se faire qu'à deux conditions: soit par une entreprise qui fait du détachement de travailleurs, soit si la preuve formelle de l'absence, ici, de la main-d'oeuvre recherchée est apportée. Beaucoup d'organisations professionnelles regrettent d'ailleurs ces dispositions car la main-d'oeuvre qualifiée fait défaut ici et celle qui est disponible là-bas pourrait remédier à cette lacune". Et les travailleurs d'ici n'ont pas de crainte à avoir sur une quelconque concurrence déloyale, puisque cette main-d'oeuvre "importée" devrait au moins être payée au salaire social minimum.
La disponibilité de main-d'oeuvre qualifiée dans ces pays n'est-elle pas étonnante? On pourrait croire, en effet, que leurs systèmes d'éducation et de formation aient pu, avec le passé que l'on sait, présenter de sérieuses lacunes. "Ce n'est pas du tout le cas, explique Sabrina Sagramola. Cette main-d'oeuvre qualifiée existe bel et bien, et elle est jeune. II s"agit surtout d'ingénieurs, de programmateurs IT, etc. Là, d'anciens élèves de la "Vieille Europe" pourraient avoir certaines surprises désagréables. Beaucoup de ces travailleurs sont d'ailleurs déjà partis à l'étranger ce qui, parfois, pose des problèmes sur place. Cela vaut aussi pour toute l'Europe de l'Est".
D"ailleurs, l'élargissement à la Roumanie et la Bulgarie, ainsi que la présence d'une main-d'oeuvre qualifiée a poussé la société Euroscript, spécialisée dans les solutions innovantes de gestion de cycle de vie de documents, dont le siège se trouve au Luxembourg, à prendre une participation majoritaire - 75% - dans la société roumaine Certitude. "Nous avons ana-lysé la possibilité d'une acquisition en Roumanie et en Bulgarie avec plusieurs sociétés, précise Mark Evenepoel, CEO du groupe Euroscript. Nous avions déjà travaillé avec Certitude pour de la traduction. Cette agence de taille moyenne pour la Roumanie - une dizaine de collaborateurs internes -, faisait de la traduction pour des institutions et des industries".
La nouvelle entité, baptisée Euroscript-Certitude, compte un site à Bucarest et un autre ouvrira prochainement à Sibiu. L'effectif, aujourd'hui déjà porté à 35 personnes, devrait croître de 50% dans les mois à venir. "Nous avons aussi engagé des Bulgares, car notre objectif est de disposer d'un pôle régional. Bucarest n'est pas loin de la frontière bulgare. C"est la politique que nous avions déjà appliquée dans d'autres régions comme Riga", poursuit-il. Outre l'élargissement et les contrats d'Euroscript avec les institutions européennes, l'entreprise a cons-cience du potentiel de ce pays en forte expansion de près de 23 millions d'habitants.
M. Evenepoel se réjouit également de la bonne formation des gens, même si ceux amenés à occuper des postes-clés suivront encore une formation au Luxembourg. "L'important est que nous voulons développer le marché local et il est plus simple de trouver des ressources sur place. Côté compétitivité, les salaires y sont également moins élevés. Les écarts salariaux sont moins grands pour les services intellectuels, mais on parle quand même d'une différence de l'ordre de 50%, qui va se resserrer avec le temps".
Certitude réalisait 200.000 euros de chiffre d'affaires et Euroscript-Certitude devrait atteindre, selon le CEO, deux millions d'euros fin 2007. "Nous allons continuer à nous développer pour être présents dans la majorité des États européens, dans les deux ans qui viennent". Euroscript est présent au Benelux, en Allemagne, Hongrie, Lettonie, Pologne, Suisse et maintenant Hongrie.
Des choix stratégiques
Les perspectives de développement en Roumanie et Bulgarie, elles, ne sont pas marginales, même si elles sont à relativiser puisque, selon la Chambre de Commerce, des entreprises luxembourgeoises ont déjà un pied à terre en Bulgarie ou en Roumanie. Elles y sont soit directement établies, soit par le biais d'outsourcing de lignes de production. Mais d'autres suivront car ces deux pays sont très attractifs. "Même si la République tchèque l'est plus en termes de qualification, note Mme Sagramola. Cela peut toutefois changer car la Bulgarie et la Roumanie se situent à un autre endroit et que cela implique des choix stratégiques et géographiques pour les investisseurs. La Roumanie et la Moldavie viennent, en outre, de signer un accord de libre circulation, ce qui peut rendre la situation plus attrayante. De plus, tous les investisseurs et autres acteurs économiques sont surpris par le développement économique déjà réalisé et par le dynamisme qui balaient certaines idées reçues".
Quant au risque de délocalisation, Mme Sagramola et M. Dickens l'écartent. Ce qui pouvait être délocalisé l'a, en effet, de toute façon déjà été, que ce soit dans ces deux pays ou ailleurs. "Et les entreprises qui pratiquent l'outsourtcing ne quittent pas pour autant le Luxembourg".
Certains milieux économiques déchantent aussi, parfois, car ils considèrent qu'il y a, dans les pays vers lesquels les délocalisations sont effectuées, un manque de savoir-faire et de créativité. "C"est très subjectif, considère Sabrina Sagramola. Bien sûr, il y a des expériences négatives. Cela peut arriver partout. L'important, pour une entreprise d'ici intéressée par ces marchés, est de bien s"organiser, d'avoir de bons contacts sur place et de travailler à s"établir avec l'aide d'un spécialiste local. Il faut se préparer, ne pas partir à l'aventure. Le tout sans oublier les fluctuations du marché. Mais l'atout majeur de ces pays est le dynamisme et une main-d'oeuvre qualifiée, jeune et moins chère que dans d'autres pays où le coût de cette main-d'oeuvre a tendance à se développer. Tout ce contexte fait que des transferts au sein même des pays de l'Est ne sont pas à exclure".
Enfin, un signe ne trompe pas: fin septembre 2007, l'International Technical Fair, dans la prestigieuse et touristique ville bulgare de Plovdiv accueillera la Grande Région comme "pays d'honneur", sur un stand commun, en collaboration avec la très active AWEX. Cette foire vise les entreprises pour biens d'équipement principalement dans le secteur industriel. La Grande Région - dont une dizaine d'entreprises luxembourgeoises - y ont déjà été présentes, en 2004, mais en ordre dispersé, chaque Land allemand ayant son propre stand. Cette fois, le statut de "pays d'honneur" prouve tout l'attrait de nos entreprises pour les économies de ces nouveaux États membres qui participeront d'ailleurs aussi - dans un autre domaine, mais c'est encore un fait révélateur - aux activités de Luxembourg, capitale européenne de la culture 2007
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Les nouveaux entrants en chiffres
Roumanie (ROM)
Capitale: Bucarest (2,08 millions d'habitants en 2003)
Superficie: 238.391 km2
Population: 21,7 millions (est. 2004)
Monnaie: le Leu (1 euro = 3.6503 RON)
Chef de l'État: Traian Basescu
PIB par habitant: 3.590 euros (2005)
Taux de chômage: 5,1% (juillet 2006)
Taux de croissance: 7,8% (2e trimestre 2006)
Taux d'inflation: 8,6% (2005)
Déficit/PIB: -9,4%
Bulgarie (BG)
Capitale: Budapest (1,695 million d'habitants en 2005)
Superficie: 110.910 km2
Population: 7,97 millions (2005)
Monnaie: le Lev (1 euro = 1,95583 BGN)
Chef de l'État: Gueorgui Parvanov
PIB par habitant: 2.771 euros (2005)
Taux de chômage: 10,1% (2005)
Taux de croissance: 5,5% (2005)
Taux d'inflation: 5% (2005)
Excédent/PIB: 2,4% (2005)
Données comparatives équivalentes pour le Luxembourg
Capitale: Luxembourg (76.600 habitants en 2006)
Superficie: 2.586 km2
Population: 459.500 (2006)
Monnaie: l'Euro
Chef de l'État: Jean-Claude Juncker
PIB par habitant: 64.200 euros (2005)
Taux de chômage: 4,5% (octobre 2006)
Taux de croissance: 4,0% (2005)
Taux d'inflation: 3,8% (2005)
Déficit/PIB: 6,1% (2005)