Le procureur d'État adjoint et le juge avaient multiplié questions et insinuations sur son attitude prétendument active auprès de Raphaël Halet. Mais le tribunal s'est finalement rendu à l'évidence: rien ne peut être reproché au journaliste de 45 ans. (Photo: Sven Beker / archives)

Le procureur d'État adjoint et le juge avaient multiplié questions et insinuations sur son attitude prétendument active auprès de Raphaël Halet. Mais le tribunal s'est finalement rendu à l'évidence: rien ne peut être reproché au journaliste de 45 ans. (Photo: Sven Beker / archives)

M. Perrin, vous avez été acquitté des faits qui vous étaient reprochés. Vous attendiez-vous à ce jugement?  

«J’étais confiant, mais après ce qui s’est passé pendant l’audience, j’étais prudent. Il y a eu des questions très étonnantes de la part du procureur. Ce qui m’a dérangé, c’est de revenir constamment sur des choses qui avaient déjà été évoquées dans le non-lieu (le Parquet avait en premier lieu inculpé le journaliste pour avoir téléguidé Raphaël Halet dans les documents à copier, ndlr).

De manière plus large, il y avait clairement une différence d’opinion sur ce qu’ils attendent d’un journaliste. Quand ils disaient ‘vous avez franchi la ligne’, j’avais un peu de mal à concevoir quelle était leur idée exacte du journalisme.

Je n’étais pas plus inquiet que ça pour mon cas personnel dans la mesure où, le procès passé, j’avais expliqué ce que j’avais à expliquer. J’étais droit dans mes bottes. Je n’ai rien fait de mal. J’étais beaucoup plus inquiet pour Antoine Deltour et Raphaël Halet parce que leur cas était beaucoup plus sérieux et ils ont écopé d’une peine de prison. Même avec sursis, cela reste une peine de prison. C’est cela qui me soucie le plus maintenant.

C’est plutôt une bonne nouvelle de lire que les juges les considèrent comme des lanceurs d’alerte.

Édouard Perrin, journaliste

En parcourant le jugement, il apparaît que le tribunal leur reconnaît le statut de lanceurs d’alerte, tout en considérant qu’ils ne bénéficient d’aucune protection…

«Juridiquement ils disent qu’en droit luxembourgeois il n’y a rien qui les protège, en droit européen non plus. D’ailleurs ils remettent une mention au sujet de la directive sur le secret des affaires. Nous nous sommes acharnés pendant des mois à essayer de faire comprendre aux eurodéputés qui prétendaient que cette directive protégeait les lanceurs d’alerte que ce n’était pas le cas. Ça m’a fait sourire de voir que les juges luxembourgeois utilisent cette directive pour dire exactement le contraire. J’aimerais bien que les eurodéputés lisent aussi le jugement pour voir les conséquences du texte qu’ils ont voté.

Le raisonnement est logique: les lanceurs d’alerte ne sont pas protégés dans ces conditions-là et dans ces cas-là au Luxembourg, il n’y a pas de texte européen, donc ils les condamnent. Mais c’est plutôt une bonne nouvelle de lire que les juges les considèrent comme des lanceurs d’alerte et qu’en plus ça ne fait plus aucun doute. Ils disent: ‘On ne peut pas sérieusement nier leur caractère de lanceurs d’alerte en 2016’.

Le tribunal a aussi reconnu la constitution de partie civile de PwC et condamné les lanceurs d’alerte à lui verser un euro symbolique. Ça fait mal?

«Bien sûr. Quand vous connaissez l’histoire de cette enquête, notamment pour Raphaël Halet, comme ça a été mené avec un ultimatum à 10 millions d’euros, maintenant on lui réclame un euro symbolique... Que PwC soit le plaignant, déjà, m’a toujours surpris. C’est quand même étonnant, chaque fois que la Commission tombe sur un des rulings qui ont été établis, elle trouve que le ruling n’est pas justifié. Il y a encore eu récemment un spécialiste de taxation internationale qui a étudié les rulings qui avaient été rendus publics. Pour lui, il ne s’agit pas de rulings stricto sensu, il s’agit d’agréments fiscaux de confort. C’est la marque de fabrique des cabinets d’audit et entre autres de PwC. Ce sont eux qui participent à ce système de spoliation généralisée des ressources fiscales et ce sont eux qui vont demander un euro symbolique de dédommagement. Oui, ça fait mal, pour toutes ces raisons.

Aujourd’hui, c’est aux dirigeants européens de passer à la vitesse supérieure.

Édouard Perrin, journaliste

Est-ce que ce jugement envoie aux multinationales le message caricaturé par les comités de solidarité avec Antoine Deltour et Raphaël Halet: ‘dormez tranquille, vos intérêts sont protégés’?

«Je ne suis pas sûr de ça. Au contraire. Je pense que toute la procédure n’a pas été à l’avantage des plaignants. On n’a jamais autant parlé des rulings que depuis ce moment-là. Ça leur fait de la publicité, soit, mais en termes d’éducation du public et de l’opinion sur ces enjeux-là, je ne pense pas que ça joue en leur faveur.

Fallait-il alors justement passer par un procès pour ancrer encore plus dans l’opinion cette connaissance des pratiques fiscales de certaines entreprises?

«L’écho que ça a eu au final ne pourra être que bénéfique en ce qui concerne l’opinion publique. Je suis persuadé que l’ensemble des dirigeants européens était au fait de ce qui se passait depuis de très longues années, que ça faisait partie de ces cadavres qu’on a dans le placard et qu’on ne veut absolument pas sortir. Quand l’opinion n’est pas au courant de ce qui se passe, ça ne pose pas de problème. Là, l’opinion est au courant et maintenant la balle est dans leur camp. Tout le monde sait et tout le monde sait qu’ils savaient. Il y a quand même eu des réunions à répétition au niveau européen depuis la fin des années 1990 au sujet des rulings. Il y a quand même eu un projet de directive qui a traîné pendant des années pour arriver à avoir des bases communes sur la fiscalité. Aujourd’hui, c’est à eux de passer à la vitesse supérieure. Parce qu’on ne peut pas sérieusement continuer à construire une Union européenne avec d’un côté des exigences extrêmement fortes en matière de respect des budgets dans les États, et d’un autre côté faire comme si la fiscalité était une affaire qui ne concerne les États membres que chacun de leur côté. C’est une vue de l’esprit qui ne tient plus la route.»