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 (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Goedert, le marché automobile est un marché difficile: beaucoup de concurrence, des constructeurs en difficulté. Comment définit-on la stratégie d’un concessionnaire dans un tel secteur?

«Un concessionnaire est un commerçant… Et comme tout commerçant, nous n’avons que peu d’impact, si ce n’est aucun, sur les produits que nous vendons. Nous devons choisir des marques dont le potentiel émotionnel est suffisamment fort, en plus de leurs autres qualités, pour réussir à les vendre. Le fait est que nos clients choisissent leurs véhicules en fonction de nombreux critères: leur statut, le plaisir que conduire leur procure, et bien entendu l’utilité qu’ils retirent de l’usage de leur automobile.
Il y a aussi le fait qu’Autopolis est un distributeur multimarque, ce qui est plutôt rare. Nous pouvons donc choisir celles qui nous intéressent et font du sens dans notre ‘portefeuille’. Par exemple, à partir du 1er janvier de l’année prochaine, nous allons distribuer Alfa Roméo, et à partir du 1er juin nous distribuerons Lancia. Nous proposerons donc au total 13 marques différentes.

Etre multimarque, c’est essayer de concilier des contraires. Comment faire le lien entre l’identité forte d’un constructeur automobile et la multiplication des choix possibles? Comment faire pour rester attractif pour les clients?

«Ce n’est pas contradictoire. En interne, nous sommes structurés comme autant de concessionnaires indépendants. Tous sont simplement réunis sous le même toit. Nous sommes une ‘accumulation’ de concessionnaires monomarques. La situation est en fait une conséquence ‘historique’. Autopolis est liée à l’histoire d’Euro-Motor. Nous distribuions alors le groupe Ford et avions un espace pour la marque phare, et pour ce qui s’appelait alors PAG (Premier Automotive Group). On y retrouvait les constructeurs haut de gamme de Ford: Volvo, Land-Rover, Jaguar, Aston Martin. Entre les faillites des uns et les restructurations des autres, nous ne distribuons aujourd’hui plus que Volvo.

Pour revenir à la question initiale, notre stratégie est simple. Lorsqu’un client veut acheter un produit de grande consommation, il peut aller dans un supermarché. S’il veut un produit exclusif, il y a des magasins spécialisés. Notre objectif est de proposer des voitures pour 80% des acheteurs d’automobiles. Les 20% restants, qui sont des aficionados d’une marque particulière ou d’un style de voiture atypique, ne nous intéressent pas. Avec Autopolis, j’ai un outil comparable à un petit salon automobile permanent… Nous proposons tout au long de l’année 220 véhicules sur 5.000 mètres carrés, ce n’est pas rien! Un client qui n’est pas clairement décidé pour un modèle peut venir chez nous et faire le tour de nombreuses possibilités

Parlons un peu management. Comment gérez-vous Autopolis? Comment pensez-vous votre rôle de CEO?

«J’ai commencé par me libérer de toutes les charges qui ne sont pas les miennes. Quelle est ma mission? Où puis-je apporter le plus de valeur ajoutée? Aujourd’hui, je m’occupe de la stratégie et du développement de la marque Autopolis, et je veille à ce que cette vision soit respectée en interne. Je suis le premier interlocuteur des constructeurs et je veille également à rester très proche du personnel.

Concrètement, nous organisons quatre séances d’informations plénières, auxquelles tous les employés participent, du management aux personnes de l’atelier. Nous y informons tout le monde sur tout, à chaque fois. Nous annonçons les chiffres, nous ne trichons pas.

La transparence est l’outil le plus efficace dans ce type de contexte. Par exemple, lorsque le devenir d’Opel était très incertain, nous consacrions toujours, lors de la réunion quotidienne avec les cadres, deux ou trois minutes au dossier, avec les dernières nouvelles. En ne cachant rien, d’une certaine manière, nous réussissions à faire tomber la pression.

Il y a un aspect humain lié à mon poste. Je suis quelque part le ‘père’ d’Autopolis. Cette entreprise est ma fierté, ma maison. J’y passe mes journées, et comme pour une famille, j’y ai des responsabilités. Je pratique le management by walking. Je passe partout, dans les bureaux, dans les ateliers, au moins 30 minutes par jour. Attention, être présent et parler avec tout le monde, cela ne veut pas dire être laxiste. Je suis très dur, mais j’essaie également d’être honnête, juste et ouvert

L’organisation interne doit donc être très rigoureuse? «Nous avons dans la structure un noyau de gens extrêmement doués…

Et toute la maison est truffée de procédures. Nous fonctionnons sur une base de best practices que nous généralisons. Encore un exemple: chaque jour, nous livrons une trentaine de véhicules neufs. Chaque vendeur, chaque marque, veut que ce soit ‘la sienne’ qui passe en premier. Nous évitons la loi du plus fort avec un suivi de la voiture, de la commande à la livraison, en passant par la réception, la vérification, le contrôle technique… Ce sont ces procédures, et le travail des cadres, qui permettent, comme l’on dit ici, de ‘garder l’église au milieu du village’.

Vous devez malgré tout faire la promotion de vos marques, des nouveautés… Comment faites-vous pour choisir entre Autopolis et les marques?

«Chaque manager fait, en toute autonomie, ses choix, ses prévisions, et obtient son budget pour atteindre ses objectifs. On respecte l’objectif premier de chaque vendeur qui est de vendre sa marque. Il faut simplement – s’il réalise que son client n’achètera pas le modèle qu’il lui propose – qu’il essaie de le réorienter vers une autre de nos marques… Mieux vaut que ce soit son collègue, qui est sous le même toit, qui vende, qu’un autre concessionnaire.

De plus, notre budget communication est global… Nous prélevons un budget de l’ordre de 0,5% à 0,7% du chiffre d’affaires pour l’investir en publicité. Une partie est prélevée pour la promotion globale d’Autopolis, et le solde est dédié à la marque qui génère le chiffre d’affaires, en rapport avec les budgets de soutien proposés par les constructeurs. Dans nos publicités, nous allons parler de moins en moins d’automobile, de plus en plus de la marque.

Pour le moment, depuis janvier 2003, nous n’avons fait que progresser. Notre situation financière à l’époque n’était pas brillante, et elle n’a fait que s’améliorer. Aujourd’hui, notre situation est extrêmement saine.
Autopolis doit devenir au Luxembourg la référence dans le domaine de l’automobile. Nous devons tout mettre en œuvre pour arriver à construire cette image. A côté de cela, nous travaillons à la création de marques complémentaires, comme Autopolis Occasion ou Autopolis Compétition.

Quelles sont les prochaines étapes dans le développement d’Autopolis?

«Lorsque l’on veut présenter des voitures au public, il faut se mettre là où il y a du passage. Nous allons ouvrir un point deprésence en ville… un Autopolis City, qui ne fera qu’une soixantaine de mètres carrés. On n’y présentera qu’une seule voiture, une nouveauté dans les marques que nous vendons, mais qui changera tous les 15 jours. A l’arrière du magasin, nous allons proposer une librairie automobile et on y trouvera du merchandising… Si quelqu’un veut acheter des cadeaux en rapport avec l’automobile, il pourra y trouver satisfaction. Encore une fois, Autopolis est un mot qui doit devenir synonyme d’automobile…

Dans le même temps, à Bertrange, nous avons ouvert un café-restaurant public. Il y a une centaine de personnes qui y passent tous les jours. Nous avons également un salon de beauté et un coiffeur. Les gens viennent passer du temps dans le bâtiment et s’y sentir à l’aise…

Même en étant dynamiques, les rapports avec les constructeurs ne sont pas forcément simples…

«En haut de la pyramide alimentaire de l’automobile, vous avez les constructeurs. Ils nomment un sales manager national, qui saitqu’il va avoir quatre ou cinq ans pour faire bouger les choses sur le marché dont il est en charge. C’est son résultat qui conditionne son futur poste… Il veut donc montrer un progrès, des meilleurs chiffres de vente… Il va donc mettre la pression sur ses distributeurs et essayer d’améliorer sa position.

Prenons maintenant le marché luxembourgeois. Vous avez d’un côté des sociétés plutôt traditionnelles, classiques, familiales, qui n’évoluent pas beaucoup, ni très vite. De l’autre, une société anonyme, avec un actionnariat international, qui avance, et dont la pérennité est garantie. Cela aide dans les relations avec les constructeurs…

Vous êtes présent depuis longtemps dans la structure… Le temps est un ennemi impitoyable… Pensez-vous déjà à votre succession?

«Il faut penser à sa relève! Je suis une personne importante dans la société, mais si je ne porte pas et ne prépare pas ma succession, il y aura un jour un problème monstre… C’est pourquoi mon successeur est déjà choisi. C’est quelqu’un qui travaille ici depuis de nombreuses années. Cela me permet également de me retirer doucement. Idéalement, l’année prochaine, je commencerai à travailler un jour de moins par semaine… puis encore un an, et je ne travaillerai plus que trois jours par semaine… C’est la raison pour laquelle nous ne planifions déjà plus les grandes réunions qu’entre le mardi et le jeudi!
Je sais que je dois être remplacé, je sais également que mon successeur doit se mettre en place, doucement, sans rien déstabiliser. Je ne dois conserver que les activités pour lesquelles ma valeur ajoutée est encore significative.»

 

 

CV
A deux ou quatre roues

 

Agé de 57 ans, Ed Goedert a toujours baigné dans les milieux mécaniques,
à deux ou quatre roues. Pendant deux années, il a appris le métier de concessionnaire auprès de Jean Muller, avant de tenir sa concession «propre» pour
la marque Mazda. Dans le même temps, il fut également responsable de toutes les opérations de l’écurie de compétition Tom Walkinshaw Racing pour l’Europe continentale.
Si l’aventure Autopolis a commencé
en 2001, Ed Goedert était déjà devenu, dès 1998, concessionnaire Volvo sous l’enseigne ScanCar, dans le cadre
d’Alcopa. «Ma première voiture a été
une Mini... Ensuite, les voitures que j’aime, ce sont les grosses cylindrées,
les V8 américaines, les muscles cars. Aujourd’hui, je roule dans une petite Abarth 500 ou une Volvo S80 V8, pour les grandes distances. Mais au fond
de mon cœur, je suis plus motard qu’automobiliste. J’ai une BMW GS
1200 et une Honda Pan European.
Si l’on devait me demander de renoncer à conduire entre voiture ou moto,
je choisirais la voiture...»  V. R.