Joseph Kinsch et Michel Wurth (Photo: Andrés Lejona)

Joseph Kinsch et Michel Wurth (Photo: Andrés Lejona)

Messieurs Kinsch et Wurth, à l’heure où l’on fête le 100e anniversaire de la création de l’Arbed, n’est-ce pas aussi un peu du Luxembourg dont on fête le centenaire?

Joseph Kinsch: «C’est évident: la sidérurgie a fait la richesse du pays. Et c’est au moment de la pleine utilisation de la minette que le pays a pris son essor, puisqu’il avait aussi été décidé qu’une grande partie du minerai devait être transformée ici, au Luxembourg, et non pas uniquement exportée. C’est vraiment à partir de cette date de 1911 que tout a commencé, marquant le début des années fastes, tant pour cette industrie que pour le pays.

Michel Wurth: «C’est en tous les cas à partir de ce moment-là que la sidérurgie a permis de planter le drapeau luxembourgeois sur la carte du monde, avec ses produits, ses innovations et développements techniques, sa maturité. A une certaine époque, le petit Luxembourg a tout de même été le 5e pays plus grand producteur de minerais de fer dans le monde et le 7e sidérurgiste.

Il faut aussi voir comment ce succès économique a profondément transformé le pays en étant à la base du bien-être de l’Etat et de ceux qui habitent ici. N’oublions pas que c’est la sidérurgie qui a mis en place les premiers systèmes de sécurité sociale et que c’est dans ce secteur que sont nés les premiers syndicats, qu’ont eu lieu les premières luttes sociales et qu’est née la culture du dialogue social. Enfin, elle a eu également une très grande influence sur l’aménagement même du territoire. Auparavant, Esch n’était qu’un bourg d’un millier d’habitants...

Peut-on comparer cette importance à celle que représente le secteur financier aujourd’hui?

MW: «C’était même plus fort que ça. Jusqu’au début des années 70, avant le premier choc pétrolier, la sidérurgie intervenait encore à raison de 25% dans le PIB du Luxembourg et occupait 30.000 personnes, pour une population active de 130.000 personnes. Aujourd’hui, les banques emploient 25.000 personnes pour une population active de quelque 380.000 personnes. Si, du point de vue de la contribution à la richesse nationale, la comparaison est possible, du point de vue de l’impact macro-économique global et en termes de transformation de la société luxembourgeoise, la sidérurgie a joué un plus grand rôle, pour façonner le pays et son système économique et social, que ne le fait le secteur financier.

Aujourd’hui, le contexte économique est difficile. Comment jugez-vous l’importance de la crise actuelle. Est-elle aussi grave que celle de 2008?

MW: «Elle est différente. Il faut d’abord voir que les effets d’une crise se font toujours sentir avec un ou deux trimestres de retard dans la sidérurgie par rapport aux mouvements boursiers précurseurs. Les commandes faites aujourd’hui le sont pour des voitures déjà vendues… C’est donc dans le 4e trimestre de cette année que nous devrions connaître un certain ralentissement car, à ce moment-là, nos clients feront face à une baisse de la confiance des consommateurs et à une baisse de la demande.

C’est la raison pour laquelle, ces deux derniers mois, il y a eu des corrections de cours boursiers, non seulement d’ArcelorMittal, mais aussi de toutes les sociétés sidérurgiques, alors que, au mois d’août, il n’y a pas eu moins de commandes. C’est simplement une anticipation, car le marché pense qu’il va y avoir des effets réels.

JK: «On doit aussi regarder la situation macro-économique et l’impasse dans laquelle les politiques nous ont menés, avec un endettement excessif des Etats et la réaction, normale, de freiner, voire de réduire l’endettement, alors que pour donner des impulsions à la conjoncture, il faudrait en fait augmenter les dépenses.

MW: «Une autre différence avec 2008 est que cette année-là, les Etats ont immédiatement mis en place des programmes de stimulation de l’économie. En 2011, il est question de durcir l’austérité et de réduire les dépenses pour résorber le déficit public. C’est donc différent.
Par ailleurs, en 2008, nous avions une bulle au niveau des stocks, avec des prix de l’acier très élevés. La bulle a éclaté, entraînant une chute des prix des matières premières et des produits sidérurgiques. Les sociétés ont enregistré une perte du fait de la réduction brusque de leur encours. Cela n’est pas le cas cette fois-ci, car les prix des produits sidérurgiques sont moins élevés, ainsi que les résultats.
Nous n’avons pas observé de chute des prix des matières premières. Le minerai reste cher, le charbon reste cher, la ferraille reste chère. La crise que nous vivons aujourd’hui est la crise du vieux monde et non pas une crise du monde entier, contrairement à 2008.

A quoi faut-il s’attendre plus spécifiquement pour les sites de la Grande Région?

MW: «En Europe, il y a une consommation d’acier qui reste encore inférieure de 20% à 25% à ce qu’elle était avant la crise de 2008. On a donc des problèmes de surcapacités. Cela varie d’un pays à l’autre et d’un marché à l’autre. C’est, par exemple, mieux en Allemagne qu’en France.
Or, qui dit surcapacité dit arrêt momentané des installations, comme à Florange, pour tenir compte de ces phénomènes-là. Par ailleurs, le 2e semestre est toujours moins fort en demande. Nous sommes donc dans une situation difficile. Par ailleurs, la sidérurgie luxembourgeoise est essentiellement axée sur des produits pour la construction. Là, il y a manifestement une crise partout dans le monde et ce que l’on voit sur un plan macro-économique n’est pas fait pour améliorer les choses…

Le haut fourneau P3 de Florange va-t-il rouvrir?

MW: «On ne prévoit pas, pour l’heure, de rallumer ce haut fourneau qui a été arrêté, en tous les cas certainement pas avant la fin de l’année. Florange tourne donc avec un seul haut fourneau et on verra ultérieurement comment le marché va évoluer.

Et au Luxembourg? Comment se profile l’avenir immédiat?

MW: «Ici, il y a deux familles de produits. Il y a ceux à haute valeur ajoutée, qui sont des vraies niches de spécialité, où la sidérurgie luxembourgeoise est leader mondial au niveau des compétences et des technologies. Cela s’applique directement au site de Belval pour les palplanches, ou bien au site de Differdange avec les poutrelles Grey, utilisées pour les immeubles multi-étages du monde entier. Ou encore pour le site de Dudelange où nous produisons l’acier le plus sophistiqué à destination de l’industrie automobile.

En revanche, sur le site d’ArcelorMittal Rodange & Schifflange, qui a encore annoncé de très mauvais résultats, on est davantage axés sur les commodités et le marché de la construction. Et là, on a des problèmes économiques qui sont importants et qui ont nécessité la prise de certaines décisions…

Le fait d’être une institution nationale met-il d’autant plus de pression dans la gestion de ce type de crise sociale?

JK: «En 1974, comme nous l’avons dit, la sidérurgie représentait 25% du PIB et 25% de la population active. Tout le pays était concerné s’il se passait quelque chose et donc, automatiquement, les dirigeants de la sidérurgie avaient une grande responsabilité.

C’est alors qu’on a développé des modèles qui n’existaient pas à l’étranger, comme ce qu’on appelle encore aujourd’hui le modèle luxembourgeois. Ces modèles ont pu être développés grâce, justement à cette responsabilité qui émanait tout autant des hommes politiques que des syndicats et des dirigeants de la sidérurgie…

Tout autour du Luxembourg, les sociétés sidérurgiques avaient été nationalisées, notamment en France et en Belgique, mais aussi partiellement en Allemagne. La sidérurgie luxembourgeoise avait son propre modèle qui avait été développé pour éviter la faillite de la société. Et nous avons beaucoup plaidé auprès du gouvernement et des syndicats pour ne pas la nationaliser. Il semblait clair que la gestion serait meilleure si elle restait privée plutôt que publique, et cela avait été reconnu tout autant par l’Etat que par les syndicats. C’est pour cela que le gouvernement n’a jamais pris la majorité dans le capital de l’Arbed. De toute façon, les ministres eux-mêmes avaient peur de diriger l’Arbed…

Lorsque nous avons discuté avec M. Mittal au moment de la fusion, nous avons beaucoup parlé de gouvernance. On avait dit ‘Vous devrez respecter à l’avenir la gouvernance qui a été développée par Arcelor, notamment ici au Luxembourg’. Lorsque je regarde aujourd’hui ce qui se passe, la société ArcelorMittal travaille exactement dans la lignée de ce que faisaient Arbed et Arcelor auparavant. Et ça, c’est remarquable.

Il n’y a donc aucune dégradation du dialogue social?

MW: «L’accord du mois d’avril dernier est la preuve que non. En 2008, nous avions signé l’accord Lux2011 qui nous a permis de passer une crise de 2009 dont la gravité n’était alors pas du tout anticipée. Même les exemples les plus récents montrent que tout le monde a pu prendre ses responsabilités pour résoudre les problèmes, mais aussi se renforcer. C’est ce qu’on a réussi à faire à Belval et à Differdange, par exemple.

JK: «Ce qui est remarquable, c’est que lorsqu’il y a des restructurations dans le cadre du groupe ArcelorMittal, on ne parle jamais de licenciements, alors que dans les autres entreprises, c’est le premier terme qui est employé. Chez nous, on entend le mot réduction de personnel, mais pas celui de licenciement. Nous cherchons toujours des solutions. A Fontaine-L’Evêque (le site belge dont la fermeture a été annoncée fin août, ndlr.), une unité de 60 personnes, il a été décidé que les gens partiraient en pré-retraite ou seraient affectés à d’autres postes au sein du groupe, ce qui est tout de même remarquable du point de vue social. Donc, oui, le dialogue social continue à fonctionner.

Lorsqu’au plus fort de la crise des années 70 la tripartite a été créée, sous l’impulsion, entre autres, de l’Arbed, avez-vous eu le sentiment d’écrire une page de l’histoire en instaurant un mécanisme qui est toujours en vigueur aujourd’hui?

JK: «Quand on gère une société, on n’est pas là pour écrire l’histoire. On fait de la gestion et on essaie d’être un peu visionnaire pour structurer et préparer l’avenir. Mais la première priorité est la gestion courante: il faut que les usines marchent, il faut soigner la clientèle et il faut parvenir à payer les salariés à la fin du mois.

Les gens de l’époque savaient-ils qu’ils allaient écrire une page d’histoire? Personnellement, j’ai des doutes. On a pu s’en rendre compte plus tard, mais sur le moment, ce n’était pas du tout la motivation. Il s’agissait seulement de trouver des solutions pour les opérations journalières.

MW: «La crise de l’époque constituait un vrai tremblement de terre et tout le monde avait conscience qu’il fallait alors sortir des sentiers battus. La Tripartite était une des voies à suivre. A l’époque, aussi, il y avait un nouveau gouvernement, avec la coalition libérale-socialiste menée par Gaston Thorn, qui a mis en place de grandes réformes de la société. Au niveau social, c’était par exemple l’introduction de la cogestion, c’est-à-dire l’entrée des syndicats dans les conseils d’administration de la société.

JK: «D’une certaine façon, en fait, on écrit l’histoire tous les jours.

Surtout en temps de crise…

MW: «Oui, mais aussi quand on a du succès! A Differdange, on a laminé les poutrelles qui sont maintenant dans la Freedom Tower qui s’élève à la place du World Trade Center de New York. Cela aussi, c’est écrire l’histoire. Ce nouveau bâtiment est, techniquement, parmi les plus modernes jamais construits et c’est avec de la technologie de chez nous! Il faut toujours se rendre compte que la sidérurgie a fait beaucoup pour développer le génie humain.

Un autre exemple: nos palplanches luxembourgeoises constituent aussi la pièce majeure du projet Moïse, pour sauver la ville de Venise des inondations et qui sera opérationnel d’ici deux à trois ans. Il ne faut pas perdre de vue cet aspect moins connu de la sidérurgie luxembourgeoise, où les ingénieurs et les entrepreneurs du pays ont aidé à façonner le monde. Ce sont, par exemple, les ingénieurs d’ici qui ont été les premiers à construire une usine sidérurgique au Brésil, qui est, aujourd’hui, l’un des premiers pays sidérurgiques au monde…

La poutrelle Grey et la palplanche sont vraiment les produits caractéristiques du Luxembourg, mais ils s’accompagnent de tout un savoir-faire en matière d’ingénierie. Car nous ne vendons pas une simple poutrelle, on vend aussi le système qui permet de construire, avec, un immeuble de 300 m de haut. Nous avons en la matière la plus grosse gamme et nous sommes le leader mondial de façon incontestée. Et c’est du pur produit made in Luxembourg. Nous n’avons pas beaucoup d’autres exemples similaires dans l’économie du pays.

Cela veut dire qu’il y a encore de la place pour une vraie activité industrielle au Luxembourg?

MW: «Il y a une vraie tradition industrielle en Allemagne. De ce fait, il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même ici. Il faut simplement que l’environnement macro-économique soit adapté, et que l’on tienne la barre au niveau de l’évolution des salaires et des coûts. Et là, ce n’est pas le dirigeant d’ArcelorMittal qui parle, mais le président de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises: c’est là un des sujets que l’on traite depuis dix ans dans les différentes tripartites, et c’est un problème qui n’est manifestement pas entièrement réglé.

Un certain nombre de coûts, et notamment le coût unitaire salarial, a augmenté, notamment par rapport à l’Allemagne, ce qui nous fragilise et ne facilite pas notre compétitivité. Mais clairement, à condition d’avoir les bons produits à haute valeur ajoutée, on peut être compétitif dans le monde, même face aux Chinois.

Lorsqu’il y a eu la fusion, d’abord avec Usinor et Aceralia, puis avec Mittal Steel, avez-vous eu le sentiment qu’Arbed y a perdu un peu de son âme à chaque fois?

JK: «Certainement oui. Déjà en 1911, lorsque les trois sociétés ont fusionné, ceux d’Eich disaient que ce n’était plus comme avant. Et ceux de Dudelange aussi! Lorsqu’il y a eu, en 1982, la fusion avec Röchling, en Sarre, on disait ‘Röchling, ce n’est pas le même esprit qu’Arbed’… ce qui était vrai, du reste. Lorsqu’il y a eu la fusion avec Usinor, ici au Luxembourg, certains pensaient que ce ne serait pas évident, car les Français ont une autre approche que les Luxembourgeois. Mais ils oubliaient que nous avons toujours eu beaucoup de Français dans notre groupe.

Bien sûr, il y a eu des changements au moment de ces deux fusions et l’ouvrier dans son usine à Florange ou à Belval aurait sans doute préféré le statu quo et rester pour l’un Usinor et pour l’autre Arbed. Mais avec une telle mentalité, on n’évolue pas, on ne progresse pas. Mais c’est compréhensible de la part d’un ouvrier qui n’aime pas les imprévus dans sa vie quotidienne.

MW: «Encore que pour l’ouvrier de Belval, pas grand-chose n’a changé, car le bureau de son directeur n’a pas changé de place et le directeur non plus n’a pas changé.

Je dirais plutôt que la transformation majeure entre Arbed et ArcelorMittal est qu’Arbed était une société luxembourgeoise avec des filiales à l’étranger, alors qu’ArcelorMittal est le leader mondial de la sidérurgie avec son siège social au Luxembourg et une partie de son état-major, de ses services centraux et son activité industrielle dans le pays. C’est surtout ce changement qui a eu lieu et qui est plus substantiel.

Le choc des cultures entre Arcelor et Mittal Steel n’a donc pas été aussi violent qu’on le prédisait?

MW: «Cela s’est très bien passé, car quand on met ensemble des hommes et des femmes, ce n’est pas comme des gouvernements ou des généraux de deux armées qui doivent coopérer. Il n’y a pas eu de problème d’intégration. Nous sommes devenus plus multiculturels, avec des expériences très enrichissantes. Il y a des gens de tous les continents dans nos équipes et on est sans doute le groupe le plus cosmopolite dans le monde. C’est très enrichissant et cela n’a rien à voir avec de quelconques mauvais sentiments.

Je dois aussi indiquer que l’un des plus grands succès que nous avons connus dans ce groupe, ce sont les progrès en matière de sécurité du travail. Nous avons réduit la fréquence de nos accidents de 50% depuis la création d’ArcelorMittal. Cela prouve que les gens savent bien travailler ensemble! Il est moins dangereux de travailler dans une usine sidérurgique que de rouler en voiture. Il faut le savoir et ne pas l’oublier.

A vous entendre, on se dit que tout a été facile. Pourtant, il y a quelques points plus délicats, notamment en matière d’intégration des fonctions support…

MW: «La fusion génère automatiquement un effet de taille. En fusionnant nos services de support, nous avons évidemment procédé à un restructuration et cela a eu parfois des impacts locaux. C’est normal. Regrouper notre hardware sur un même site est simplement une décision nous permettant d’être plus compétitifs. Il est normal que cela bloque parfois un peu, mais cela n’a rien à avoir avec la fusion en elle-même.

En revanche, au niveau des synergies internes, il y a un énorme échange de connaissances qui se réalise dans tous les domaines techniques. Il y a des spécialisations de production qui sont des opportunités pour la société. Quand on fait des petites séries dans deux endroits différents, on les regroupe, c’est normal.

Et puis cela se mesure aussi en termes de recherche. Le fait de pouvoir faire de la recherche pour un groupe qui produit 100 millions de tonnes, c’est un avantage plus grand que si vous faites le même effort de recherche pour un groupe qui a 10 ou 20 millions de tonnes comme la plupart de nos concurrents. C’est ce qui nous permet, précisément, d’être leaders dans les grosses poutrelles, les applications automobiles, etc.

JK: «Il est important de voir que nous ne proposons pas que des produits, mais des solutions qui répondent à un besoin. Pour le projet de Venise, nous avons apporté une solution. Diminuer le poids des voitures de 25%, c’est un progrès énorme et c’est aussi une solution.

MW: «C’est tout à fait clair que la recherche est un des atouts majeurs du groupe. Nous avons un centre de recherche pour les produits longs, ici, à Esch, et nous avons également, tout près d’ici, à Maizières-lès-Metz, le plus grand centre de recherche du groupe.

Le groupe poursuit sa politique d’acquisition et d’intégration verticale. N’y a-t-il pas une certaine incompréhension de cette stratégie d’expansion, quand on voit par exemple l’évolution du cours de Bourse?

MW: «Il ne faut jamais dire qu’il y a de l’incompréhension de la part des investisseurs. Il y a eu la crise et le groupe est en train, partiellement, de se transformer, en se rendant compte que dans la chaîne de valeur de la sidérurgie, les matières premières prennent un rôle de plus en plus important.
Il y a quelques années, le charbon et le minerai de fer représentaient moins de 50% du prix de revient. Aujourd’hui, c’est plus de 75%! On se dit donc qu’il est peut-être intéressant d’allonger la chaîne de valeur, en essayant d’être plus présent dans le minerai de fer. C’est un processus qui est en cours. Nous avons deux grands projets de minerai de fer qui se développent, l’un au Liberia et l’autre au Canada. Ce sont des projets d’infrastructure dont l’investissement dure quatre à cinq ans avant que l’on passe au stade de la production. Le groupe est en train de faire aujourd’hui un effort énorme pour réussir cette transformation.

Une fois que ce processus sera terminé, ArcelorMittal aura des perspectives qui sont tout à fait remarquables.

Il n’en reste pas moins vrai que la sanction des marchés est brutale…

MW: «Oui, mais c’est clairement l’effet de la crise. Il se trouve qu’une bonne partie de nos actifs, aujourd’hui, est dans des pays développés: l’Amérique du Nord est en crise, l’Europe est en difficultés… C’est normal que nous soyons frappés négativement par ces phénomènes. D’où la nécessité de nous renforcer et de transformer notre groupe afin d’avoir, dans ces pays développés, la meilleure compétitivité possible.

Votre endettement, bien que réduit, est-il également de nature à être perçu négativement?

MW: «Je crois que notre bilan aujourd’hui est plus fort qu’il ne l’était en 2008. Nous avions alors un endettement de l’ordre de 32 milliards d’euros. Nous sommes descendus à 24 ou 25 milliards aujourd’hui. De plus, à l’époque, nous n’avions que du financement bancaire. Aujourd’hui, nous sommes financés essentiellement par le marché, avec une durée de vie moyenne de notre dette qui est de l’ordre de 4,5 années. Nous avons donc un bilan extrêmement solide…

Certains s’interrogent sur le fait que le CEO du groupe est à Londres alors que le siège est à Luxembourg. Existe-t-il une menace que la présence du siège au Luxembourg soit remise en cause?

MW: «Non, la question ne se pose pas. La décision prise lors de la fusion, celle d’établir le siège à Luxembourg, a été entièrement appliquée. Il y a 700 personnes qui travaillent au siège ici. Ils ne sont qu’une centaine à Londres. Les réunions du conseil d’administration ainsi que les assemblées générales ont lieu ici.

En outre, depuis la fusion, il y a eu des nouveaux services qui se sont développés et l’échelle de compétence du siège a plutôt tendance à s’agrandir.»

 

Express - Joseph Kinsch

  • 78 ans
  • Il a été président de la direction générale d’Arbed entre 1992 et 1998
  • Il a été président du conseil d’administration d’Arbed entre 1993 et 2002, puis d’Arcelor entre 2002 et 2006, puis co-président du conseil d’administration d’ArcelorMittal entre 2006 et 2008
  • Il préside la Fondation ArcelorMittal
  • Il a présidé la Chambre de Commerce de 1993 à 2004 et a été le premier président de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises, entre 2000 et 2004

Express - Michel Wurth

  • 56 ans
  • Membre du group management board d’ArcelorMittal, responsable monde des produits longs carbone
  • Entré chez Arbed en 1979, il y a occupé de nombreuses fonctions, dont celles de secrétaire du conseil d’administration
  • Il a rejoint le group management board d’Arbed en 1996 aux fonctions de CFO, puis est devenu executive vice president en 1998
  • Il a conservé ces fonctions de senior executive vice president et de CFO lors de la création d’Arcelor en 2002
  • Il est également président du conseil d’administration de la Chambre de Commerce et de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises

Il y a 100 ans - Fusion historique

L’histoire de la sidérurgie au Luxembourg remonte évidemment bien plus loin que 1911… Le premier haut fourneau de la société Auguste Metz & Cie, à Eich, entra en fonctionnement en 1846; la Société Anonyme des Mines du Luxembourg et des Forges de Sarrebrück fut fondée dix ans plus tard à Burbach et celle des Hauts fourneaux et Forges de Dudelange en 1882. «Le capital de ces sociétés était principalement détenu par quelques grandes familles, notamment la famille Metz, qui avait créé les usines d’Eich et de Dommeldange, et la famille Tesch, qui avait fondé l’usine de Burbach», explique Joseph Kinsch.

Ensuite, au début du 20e siècle, on retrouve les héritiers de ces familles, puisque le premier directeur général d’Arbed, Emile Mayrisch était le petit-fils d’Auguste Metz et que Gaston Barbanson, le président du conseil d’administration, était le petit-fils de Victor Tesch. «La gestion de plusieurs usines en parallèle n’était pas évidente et il apparaissait déjà à cette époque qu’il y avait des synergies importantes à développer en les regroupant», indique M. Kinsch.

La société Aciéries réunies de Burbach-Eich-Dudelange, plus facilement appelée Arbed, fut officiellement créée le 30 octobre 1911, à l’issue des assemblées générales extraordinaires des trois partenaires. Le premier secrétaire général du conseil d’administration fut Léon Laval, à qui l’on doit, entre autres, la fondation du groupe d’assurances Foyer…

CO2 - Les quotas mal vus

A l’heure où le débat fait rage sur les obligations faites aux industriels de réduire toujours plus leurs émissions de gaz à effet de serre, Michel Wurth tient à rappeler que sur ce plan là, la sidérurgie luxembourgeoise est «très écologique. Elle consiste surtout à recycler de l’ancienne ferraille pour en faire des produits à haute valeur ajoutée, et cela dans des fours électriques qui émettent donc très peu de CO2

Mais ArcelorMittal est un groupe mondial, très présent en Europe, et pour qui les orientations prises en la matière ne vont pas nécessairement dans le bon sens. «Pénaliser la sidérurgie européenne et la rendre moins compétitive en imposant des quotas plus sévères est une invitation à la délocaliser dans des pays où il n’y a pas de contraintes de CO2, estime-t-il. Ce serait la chose la plus idiote qu’on pourrait faire, puisque la sidérurgie européenne est parmi les plus efficientes qui existent du point de vue énergétique. Le système de quotas qui se profile pour 2012 est une très mauvaise décision pour la compétitivité européenne et il n’apporte pas de solution au problème écologique qui est posé.»

Michel Wurth préfère ainsi se pencher sur les développements de projets d’amélioration de l’efficience énergétique, comme Ulcos (Ultra Low CO2 Steelmaking), visant à capter les émissions de CO2 émises par des hauts fourneaux pour l’enfouir sous la terre), un projet européen partagé avec
l’ensemble des acteurs du secteur.

Florange devait d’ailleurs servir de site-pilote. «Mais c’est un projet qui est de l’ordre de 500 millions d’euros. Le financement n’est pas encore bouclé. Il n’est finançable qu’avec des fonds européens et des fonds non luxembourgeois. Les discussions sont en cours.»