Jacques Poos espère que Danièle Fonck et Alvin Sold réagiront à sa lettre, en la publiant et en lui répondant. (Photo: archives paperJam)

Jacques Poos espère que Danièle Fonck et Alvin Sold réagiront à sa lettre, en la publiant et en lui répondant. (Photo: archives paperJam)

Alors que le Tageblatt se prépare à fêter son centenaire, un coup de tonnerre vient de retentir au-dessus du siège eschois du journal. Il a pris une forme inattendue: celle d’une lettre ouverte. Son rédacteur n’est pas n’importe qui: il s’agit de Jacques Poos, qui a dirigé le titre entre 1964 et 1976. 

Ancien ministre et dirigeant d’entreprise, il a répondu par la négative à l’invitation qui lui était faite de participer aux célébrations prévues le 26 juin prochain. Il a même fait plus que cela: dans sa lettre de deux pages, il explique les motivations de son refus, en des termes durs pour la direction actuelle.

Il affirme ainsi qu’il «a suffi à peine de deux ans et demi à la direction générale actuelle pour dilapider l’héritage dont la gestion lui était confiée.» Pour lui, le journal est aujourd’hui «devenu le défouloir de trotskistes, néo-communistes et autres petits Mélenchons.» Peut-être encore plus grave: «Les voix contraires – dont la mienne – sont censurées, voire manipulées.»

«Marine Le Pen ou Alvin Sold: qui (mau)dit mieux?»

Contacté par paperJam.lu, il affirme que «c’est cette censure qui a été la goutte d’eau faisant déborder le vase.» En effet, «j’ai déjà adressé des lettres au Tageblatt, toutes ont été classées dans la corbeille. Aujourd’hui, il s’agit d’essayer de démolir le gouvernement et le parti socialiste. Auparavant, le journal essayait de trouver un équilibre entre les revendications syndicales et les nécessités de la responsabilité gouvernementale.»

Ces reproches sont alimentés par un certain nombre d’éditoriaux et de prises de position de Danièle Fonck et d’Alvin Sold dans différentes éditions du journal, qui pour lui sont celles de la facilité et, encore plus, du renoncement à une position pro-européenne historique. «Le plus pro-européen des quotidiens luxembourgeois est devenu en un tour de passe-passe le terrain de jeu des souverainistes qui n’ont cure, ni pour les institutions européennes, ni pour les règles du Traité, ni pour les indispensables disciplines communes d’une Union Economique et Monétaire», peut-on lire dans sa lettre ouverte.

Jacques Poos conclut cette lettre en faisant le parallèle entre ces prises de position et celles des extrêmes politiques: «La communion de vos poussées de colères anti-européennes avec celles de l’extrême-droite est effrayante. (...) Marine Le Pen ou Alvin Sold: qui (mau)dit mieux?»

Sens des responsabilités négligé

Pour M. Poos, ces attaques contre le LSAP au pouvoir, par un media qui lui a traditionnellement été proche, sont à rapprocher des attaques de Jean-Luc Mélenchon contre François Hollande chez nos voisins français. « Il y a des parallèles, indique-t-il à paperjam.lu. Mélenchon rêve de sortir de l’Europe, de sortir de l’Euro, et de repartir de zéro. C’est exactement ce que préconise Alvin Sold. Il en profite pour refuser aux élus leur représentativité, il les considère comme ‘illégitimes’. Mais cela veut dire contester nos institutions nationales, et tous les traités internationaux que nous avons signés, et qui font partie intégrante de notre législation. Nous ne pouvons pas ne pas respecter ce que nous avons voté!»

Jacques Poos a-t-il une explication à cette différence de vue, à ce changement éditorial? À question simple, réponse simple: «Je ne comprends pas. Je connais Alvin Sold depuis très longtemps. Et il a changé son point de vue au début 2010. J’en ai parlé avec lui, je lui ai écrit, je l’ai invité à me voir, nous avons bu une bouteille ensemble, nous avons discuté… et il a tout ignoré.»

Pour lui, cet appel à une autre politique est visiblement illusoire, et néglige le sens des responsabilités dont le journal devrait faire preuve. «Pour imprimer une nouvelle politique à l’Europe, il faudrait une nouvelle majorité. Et encore, ce que l’on obtiendrait ne serait pas très différent de l’actuelle. Les règles sur les déficits et sur la dette sont inscrites dans le traité de Maastricht. On ne peut pas les gommer d’un trait de plume. On peut être pour ou contre. Et ils sont contre.» Jacques Poos, lui, est pour, et il le fait savoir.

Quant à une réaction de la destinataire directe (Danièle Fonck) et du destinataire indirect (Alvin Sold) de sa missive, il l’espère, bien entendu. «J’espère un retour de lucidité. Et il ne faut pas se méprendre. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une divergence politique, qui date de 2011, pas d’autre chose.»