Chaque mois, paperJam propose un gros plan sur une start-up luxembourgeoise. (Photo: Olivier Minaire)

Chaque mois, paperJam propose un gros plan sur une start-up luxembourgeoise. (Photo: Olivier Minaire)

Dans la culture populaire, les références à la femme accro au shopping ne manquent pas. Par exemple, les séries télévisées américaines Sex and the City et Desperate Housewives mettent respectivement en scène des personnages hauts en couleur, en l’occurrence Carrie Bradshaw et Gabrielle Solis, pour faire valoir ces frénésies liées à la consommation et au paraître. Des pans entiers de l’économie sont d’ailleurs tournés vers cette clientèle. Pour Anne Canel (voir encadré), si cette image du « shopaholism » n’est pas éculée, elle ne doit en tout cas pas occulter une nouvelle manière de consommer la mode.

Cette néo-entrepreneuse a décelé l’émergence d’une demande pour des produits haut de gamme, « de luxe » selon ses termes, qu’il est possible de se procurer en restant chez soi. « Notre cliente est une femme d’affaires de plus de 30 ans qui gagne environ 100.000 euros par an. Souhaitant gérer sa carrière, sortir avec ses amis et prendre soin de sa famille, elle n’a plus de temps pour renouveler sa garde-robe, elle-même censée refléter son statut professionnel. » Shebusa – la marque exploitée par AAA Fashion désigne la beauté intemporelle en japonais – offre ainsi à ses clientes, des femmes actives, « des biens de luxe uniques et sur mesure, tels que des habits ou des accessoires ».

Le dégriffé sur mesure

A priori rien de bien révolutionnaire. Eh bien si, en fait. Car l’entrepreneuse se focalise sur un créneau – le dégriffé sur mesure vendu en ligne exclusivement aux femmes – qui n’est que peu exploité. La jeune directrice de société voit même en Shebusa le potentiel « leader mondial sur ce marché destiné aux femmes d’affaires ». On trouve effectivement des portails pour hommes. Beaucoup (voir infographie). Des sites de vente pour femmes existent, certes, mais ils visent généralement le luxe griffé ou des niches
(grandes tailles ou bon marché).

Anne Canel emprunte également cette voie de la différenciation en promouvant un produit unique, bien fini (avec les initiales de la cliente, par exemple) et conçu par des artisans européens. « Le luxe aujourd’hui, dit-elle, c’est aussi l’exception. »

En tout cas, le potentiel est là. Au niveau macroéconomique, le marché des biens personnels de luxe représentait en 2011, selon le cabinet de conseil PwC, quelque 53 milliards d’euros. À un niveau plus microéconomique, AAA Fashion essaie de l’exploiter et échelonne ses prix entre 80 euros pour une ceinture et 15.500 euros pour un manteau en renard avec vison. La moyenne du panier tourne, elle, autour de 500 euros.

Après quelques mois d’existence, la société n’enchaîne bien sûr que ses premières ventes. Mais son avenir pourrait s’avérer radieux si elle arrivait à prendre un élan décisif au cours des prochains mois. Pour décoller, elle privilégie une base de coûts fixes réduite à sa portion la plus congrue. La start-up ne compte que deux employés à temps plein, n’a pas de coûts d’inventaire, et n’engage pas d’investissements en R&D puisqu’elle n’est pas propriétaire des technologies de prise de mesures en ligne, via webcam notamment (ce qui l’empêche cependant de protéger l’accès au marché par un brevet).

Pour générer le profit, elle prend une marge moyenne conséquente (50-60 %) sur la vente de ses produits. Et la direction compte en vendre internationalement… et en quantité. Elle vise ainsi une production de 100.000 pièces par an pour générer 50 millions d’euros de revenu annuel.

À moyen terme, l’objectif 2013 se limite à 700 commandes dans les zones francophones et anglophones. En 2014, les ventes pourraient s’élever à 3.600 unités en attaquant les marchés américain et asiatique. Pour la distribution, une méthode multicanal est privilégiée. AAA Fashion opère via Internet et un réseau de conseillers, et envisage des concept stores. Le premier est en cours d’élaboration au Grand-Duché. D’autres pourraient voir le jour à Bruxelles ou à Paris.

La start-up cherche en ce moment à toucher de nouveaux marchés. Le Luxembourg ne constitue qu’un marché éprouvette et une base de lancement, idéale pour sa neutralité. Il ne permet cependant pas d’atteindre les objectifs fixés par l’ambitieuse direction. Reste à faire connaître Shebusa. Le mari d’Anne Canel, Chris Marcilla, a rejoint l’aventure en tant que COO et pourrait être de bon conseil. Il exerce actuellement d’autres activités professionnelles auprès de Seezam (une société de stockage sécurisé de données) et bénéficie d’une expérience concluante dans l’entrepreneuriat. Pour mieux faire connaître et vendre le produit, Anne Canel étoffe le réseau de revendeurs-stylistes. Pour mieux les motiver, chacun perçoit de 15 à 25 % sur les ventes.

Enfin, selon une logique de marketing éprouvée, elle fait valoir une stratégie SEO (search engine optimization) passant par l’exploitation d’un maximum de noms de domaine comme tailleurs.fr ou chemisiers.fr. Un domaine, justement, où un entrepreneur luxembourgeois les conseille, Xavier Buck (président de DCL Group et d’Euro DNS). Il a rejoint Shebusa en janvier 2013 après avoir évalué le projet et l’équipe qui le porte. « Quand ces facteurs sont positifs, dit-il, j’analyse ensuite la capacité à percer sur le web. C’est le point le plus difficile pour toute start-up Internet. »

Mais le bât blesse généralement aussi au niveau du financement. Car le modèle du family, friends and fools – qu’a suivi AAA Fashion – va un temps. La jeune pousse cherche dorénavant à être arrosée par des particuliers, via la méthode du crowdfunding. AAA Fashion et Shebusa passent ainsi par la plateforme Wiseed pour lever quelque 200.000 euros. Un acte pionnier au Luxembourg qui offre, du même coup, un beau coup de pub, car faisant valoir le financement participatif pour développer ses projets. Un gage de crédibilité. 

Focus

Femmes, mode d’emploi

En Union européenne, il y a 70 % de plus d’entrepreneurs hommes que d’entrepreneurs femmes. Au Luxembourg, elles ne représentent que 18 % de l’entrepreneuriat. Pas étonnant donc qu’elles se mettent en réseau(x). Anne Canel est ainsi membre de Luxembourg Pionnières et du Female Board Pool, deux initiatives lancées par Rita Knott pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin à l’échelle grand-ducale et européenne.